�Thomas Robert Malthus a laiss� un principe plus que jamais d�actualit� : �Pour qu�une soci�t� puisse prosp�rer, trois conditions pr�alables sont � r�unir : de bonnes institutions, une bonne �ducation et le respect de la personne et de sa propri�t� priv�e�.� Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah Mohamed Chafik Mesbah : D�sol� de vous apporter la contradiction. Comme tous les opposants, vous en �tes au stade du constat� Sid Ahmed Ghozali : On ne r�p�tera jamais assez l�illusion d�une d�marche, celle du pouvoir politique r�el, qui pr�tend instaurer une sc�ne politique viable par le faire-semblant. Comme m� par une tentation irr�sistible de ne voir dans les civils que des servants serviles. Il existe bel et bien des hommes publics qui n�ont gu�re rechign� � commenter et � informer l�opinion sur le pr�sent tout en lui parlant de l�avenir. Pour ma seule part, cela s�est traduit depuis 1999, par une centaine de contributions personnelles ou d�interviews � vos coll�gues de la presse priv�e. Pourquoi des hommes qui totalisent 30 ans de service public sont-ils interdits de m�dias publics ? Pourquoi sont-ils interdits d�action publique ? Est-il juste vis-�-vis de vos lecteurs et de l�opinion de reprendre � votre compte l�anath�me prononc� par le pouvoir contre tous les hommes publics qui ne sont cibl�s comme ennemis que parce qu�ils ne sont pas serviles ou soumis ou au moins complaisants ? Si j�ai cr�� le FD en mai 1999-mai 2000, avec 170 membres fondateurs, 10 000 militants et 1 100 congressistes, ce fut tout simplement pour contribuer avec d�autres � r�tablir les connexions rompues entre l�opinion et la politique, entre le citoyen et la chose publique. Pour faire reprendre espoir aux Alg�riens. On ne cr�e pas un parti pour s�opposer. Vous ne trouverez pas une ombre de cela dans leur profession de foi, qui est la somme d�une d�claration de principes et d�un programme d�action � propos de toutes les valeurs et les probl�mes concrets du citoyen et de la soci�t�. Vous ne trouverez rien de comparable dans les propositions des partis dits de gouvernement, ni m�me dans celles des gouvernements qui se succ�dent ! En contravention ouverte � la loi et en contradiction flagrante avec le discours politique officiel, le pouvoir, � ce jour, interdit de facto cette initiative civique apr�s qu�elle ait �t� accept�e explicitement par la loi. Est-ce � dire qu�il faut baisser les bras ? L�obstacle majeur � l�action publique est, qu�oubliant la cuisante le�on de 1991, le pouvoir ne laisse la parole qu�� la soumission ou � la violence. Il ne vous agr�e que si vous lui montrez des raisons de vous m�priser ou si vous le convainquez d�une volont� ou d�une capacit� de nuisance ou de violence de votre part. Oubliant l�adage populaire �Ton ami est celui qui te fait pleurer�, il n�entend toute critique que comme une dissonance � ses oreilles. Le contredire ou seulement le mettre en garde c�est �tre son ennemi. Quelle diff�rence entre pareille d�marche et le slogan de ceux qui disaient en 1990 �Si tu votes pour nous tu vas au paradis. Si tu ne votes pas pour nous tu vas en enfer� ? Il n�est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, ni pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Il est path�tique, que dis-je, il est tragique que le pouvoir n�ait pas confiance en son peuple. N�est-il pas significatif qu�il le voit tant�t comme le �peuple des miracles� tant�t comme �un peuple m�diocre� ? Les deux �valuations sont �galement absurdes autant qu�elles sont �galement irrespectueuses. Elles ne sont pas sans rappeler la fameuse tirade o� le g�nial Berthold Brecht fait dire � Arturo Ui dans sa R�sistible ascension : �Le peuple a perdu la confiance du gouvernement : il faut changer de peuple !� Encore une fois, le peuple alg�rien est en attente de messages d�espoir clairs, port�s par des perspectives concr�tes le d�passant du statu quo� Je regrette d�avoir � vous le dire aussi brutalement, le peuple alg�rien n�est pas � l��coute des hommes publics. Cela fait longtemps qu�il a d�sesp�r� d�eux. Vous me demandez de vous dire si j�ai personnellement quelque chose � lui proposer comme d�marche d�espoir. Bien s�r que si. Je n�ai fait que �a durant ma vie publique. Pas aux fins de lui plaire et encore moins � titre de pieux mensonge. Je l�ai montr� en plusieurs occasions, dans les secteurs o� j�ai servi, y compris sur le plan national quand j�ai �t� chef du gouvernement. Les �crits restent. Mon programme s�adressait � toutes les pr�occupations des Alg�riens� Des d�put�s m�ont en m�me fait reproche ! �Tu nous dis que tu es l� pour six mois pour pr�parer les �lections mais tu nous pr�sentes un programme comme si tu allais t��terniser � ce poste.� Notre culture politique s�est pervertie au point que des d�put�s s��tonnent qu�un gouvernement se pr�occupe des probl�mes des citoyens. Ils ont vot� le programme quand m�me � l�unanimit�. Mes initiatives politiques se sont toutes fond�es sur un projet fait de propositions et d�objectifs concrets et d�taill�s, tendus tous vers les pr�occupations des citoyens. Ainsi en a-t-il �t� lors de mes candidatures aux �lections pr�sidentielles de 1999 et 2004 : sont d�pos�s au Conseil constitutionnel des programmes d�action qui ne se sont jamais r�duits � des g�n�ralit�s. Ainsi en a-t-il �t� aussi de la fondation du FD : elle n�est pas all�e sans une d�claration de principes et d�un programme d�action. L� aussi les �crits sont rest�s. Dans toutes les situations mes programmes et propositions ont �t� autant de messages d�espoir, formul�s autrement que par de simples bonnes paroles. Plus concr�tement� Cessez d�abord d��garer les Alg�riens dans les d�rivatifs politiciens, parlez leur de politique � travers leurs pr�occupations, toutes leurs pr�occupations. Prendre leurs probl�mes, un � un, concr�tement : le ch�mage, la sant� et la pauvret� ; l�eau, l��nergie et les ressources naturelles ; la justice, la solidarit� et la s�curit� publique ; la culture, l��ducation et les m�dias ; la bureaucratie, la corruption et la violence ; l�agriculture, le tourisme et l�industrie ; l��conomie de march�, le commerce et la monnaie ; le logement, les transports et l�am�nagement du territoire ; le syst�me bancaire, les t�l�communications et l�informatique, sans oublier les questions de s�curit� et de d�fense nationales, les relations ext�rieures, la g�opolitique, les relations intermaghr�bines, les rapports avec nos voisins imm�diats, avec la France et l�Europe, avec l�Afrique et le monde arabe, avec les continents asiatique et am�ricain. Leur livrer les donn�es de base et les analyses qui vont avec et dont ils ont �t� de tous temps priv�s. Ne pas chercher � l�nifier. Dire donc la complexit� de ces probl�mes mais d�montrer aussi qu�il existe pour chaque probl�me des solutions et leur dire lesquelles. Les aider � objectiver les liens entre ces probl�mes et la gouvernance. Dire les actions et les conditionnalit�s de la bonne gouvernance. Dire quelles sont les implications sur le plan institutionnel de la nature de ces probl�mes et de leur r�solution. Sans faire tout cela, on en restera � la bonne parole au mieux, � la langue de bois au pire. C�est un travail de long terme. Il proc�de du devoir permanent de tout homme public, qu�il soit � l�int�rieur du pouvoir ou � l�ext�rieur. C�est � ce prix que l�homme public gagnera l��coute du citoyen et contribuera ensuite � l��veil indispensable des consciences sur le plan civique. Ce sera � partir du r�tablissement de l��coute, un pas de g�ant dans notre probl�matique, que commencera � se fonder l�espoir d�un d�but de la solution � nos probl�mes. Mais comment remplir ce devoir pour un homme public interdit de m�dias publics, interdit d�action publique ? Vous parlez de redonner espoir aux gens. Nos partenaires businessmen am�ricains quand ils d�couvraient pour la premi�re fois notre pays, nous disaient �� l�Alg�rie c�est au nord la Californie et, au sud, le Texas...� Cela veut dire que notre pays d�tient une somme de ressources climatiques et de richesses mat�rielles naturelles comparables � celles deux Etats qui sont les deux Etats les plus riches des Etats-Unis d�Am�rique. Ce sont l� des atouts consid�rables quand on sait que s�y ajoute la richesse humaine, une population jeune, un niveau de formation g�n�rale, de qualification technique et de savoir-faire manag�rial qui constitue une base d�part non n�gligeable pour favoriser la cr�ation de richesses autres que celles qui ont �t� cr��es par la nature. Thomas Robert Malthus n�a pas laiss� que l� Essai sur le principe de population sur la d�natalit�, th�orie qui a �t� rapidement d�mentie par les progr�s de la science et de la technique. Il a laiss� un principe qui est aujourd�hui plus que d�actualit� sur toute la plan�te, � savoir que, pour que pour qu�une soci�t� puisse prosp�rer, il y a trois conditions pr�alables � remplir : de bonnes institutions, une bonne �ducation et le respect de la personne et de sa propri�t� priv�e. Le pouvoir politique ne pourra pas infantiliser ind�finiment la soci�t� civile et politique. Rien ne peut se faire dans une nation sans l�utilisation de toutes ses �nergies cr�atrices. L�attachement obsessionnel de l�oligarchie au gouvernement dans l�irresponsabilit� ne peut conduire qu�� la perte du pays comme de l�oligarchie. Notre exp�rience est assez riche pour nous enseigner que nous devons organiser le changement dans l�ordre. Faute de quoi le changement nous sera impos� dans le d�sordre. Il faut combattre l�id�e violemment trompeuse que le p�trole est une mal�diction : c�est un slogan absurde, fait pour couvrir l�incurie des pouvoirs � mobiliser l��nergie cr�atrice individuelle. Si ce n��tait pas cette incurie qui �tait la vraie source de notre indigence �conomique, il faudrait donc croire alors � une incapacit� cong�nitale nationale. Et dans cette derni�re et scabreuse hypoth�se, peut-il exister des richesses naturelles qui seraient en mesure de r�parer une incapacit� nationale pr�tendue cong�nitale ? Les tenants de cette absurde th�se ne se rendent m�me pas compte de son incoh�rence. En pesant bien mes mots, je situe pour ma part cette id�e au rang du blasph�me �conomique. Car la possession de richesses naturelles est au contraire une b�n�diction. Encore faut-il savoir en tirer le profit, qui consiste � les utiliser comme un starter, un puissant levier pour r�former notre �conomie, restructurer les instruments de r�gulation �tatiques, de fa�on � triompher du ch�mage, de la pauvret� et de l�injustice. La lutte contre le ch�mage repose sur un d�veloppement intensif de l��conomie fond�e sur la cr�ativit� et l�initiative individuelles, la libert� d�entreprendre et la concurrence, ainsi que sur un r�am�nagement radical du territoire national. Nous sommes neuf Alg�riens sur dix � occuper moins du dixi�me du territoire national. Le fait que nous vivions ainsi en tournant le dos � notre pays, est un gaspillage monumental de nos potentialit�s et c�est en m�me temps une source de dangers mortels pour l�int�grit� du territoire. La lutte contre le ch�mage �tant une �uvre de longue haleine, elle sera socialement insoutenable et donc vou�e � l��chec si elle n�est pas accompagn�e d�un programme d�urgence de lutte contre la grande pauvret�, si elle n�est pas doubl�e de la mise en place d�instruments permanents de redistribution pour un fonctionnement p�renne de la solidarit� nationale. Accepterez-vous de vous livrer � quelque pronostic � court et moyen terme ? Par exemple, quels sc�narios d��volution possibles selon vous pour la situation g�n�rale en Alg�rie ? La situation est caract�ris�e par une fragilit� g�n�rale propice aux lendemains incertains. Fragilit� de la soci�t� parce que celle-ci est abandonn�e � elle-m�me, livr�e aux tracas des difficult�s quotidiennes, sans information sur son pass� et son pr�sent, sans projet social national qui donne des raisons de r�ver, sans autre perspective que les cauchemars du lendemain et le sentiment d�ins�curit� d�ensemble. La d�sesp�rance vis-�-vis de l��tat d�faillant sur toutes les lignes d�truit le sens civique, annihile le syst�me immunitaire de pens�e, ouvrant tous grands les exutoires refuges vers les populismes et les extr�mismes violents sous toutes les formes. Fragilit� des pouvoirs publics parce que, par essence, le pouvoir solitaire entrave d�une mani�re g�n�rale les �nergies cr�atrices individuelles dans tous les compartiments de la vie de la soci�t� ; sur le plan des libert�s individuelles fondamentales, il emp�che le d�bat public et la contestation politique et, de ce seul fait, s�interdit � lui-m�me l��clairage de la lumi�re contenue dans la discussion et la contradiction, il d�daigne les pr�cieux apports de la participation citoyenne qui est incontournable dans la mise en �uvre des programmes, des politiques et des lois ; s�agissant de la s�curit� du pays le pouvoir solitaire prive les services qui en sont charg�s de l�indispensable coop�ration des citoyens dans la pr�vention des graves menaces attentatoires aux biens et aux personnes. Fragilit� des acteurs sociaux et politiques qui sont dans l�incapacit� de jouer le r�le de grands interm�diaires de la vie associative politique et civile indispensables � un fonctionnement harmonieux de la cit� ; ne pouvant exister qu�en tant que leurres dans un simulacre de vie associative civile ou politique, ils sont discr�dit�s d�s lors qu�ils sont asservis en rouages d�un syst�me qui fonctionne en cycle ferm� sur lui-m�me et pour lui-m�me. Alors que leur raison d��tre est de multiplier les passerelles entre les gouvernants et les gouvern�s, le d�voiement de leur vocation en fait des agents aggravants de la rupture entre le pouvoir et la soci�t�. Fragilit� des institutions parce que les principes fondamentaux qui pr�sident � la bonne gouvernance sont en permanence battus en br�che : non-observance des lois, d�s�quilibres et confusions de pouvoirs, opacit� dans la prise de d�cisions et dans les pratiques politiques, absence de contr�les institutionnels cr�dibles dans les processus de d�signation des responsables, de prise des d�cisions et de mises en �uvre de ces d�cisions. La primaut� des pr�occupations de pouvoir dans la pratique politique, par rapport aux pr�occupations des citoyens, s�op�re au d�triment de l�attention qui doit �tre port�e au traitement des probl�mes. Nous la payons par la d�gradation continue des conditions de vie et par la prolif�ration du ph�nom�ne de la d�sesp�rance. D�o� la multiplication des fractures sociales b�antes o� viennent s�engouffrer les mouvements violents, acteurs b�n�ficiaires uniques d�une situation o� la seule certitude vers laquelle convergent les esprits est l�incapacit� av�r�e du r�gime � apporter des r�ponses aux angoisses du lendemain. Sortir de ces fragilit�s conjugu�es implique la sortie du cycle de la d�fiance mutuelle entre le citoyen et la soci�t� politique. C�est un cycle auto-entretenu qui ne peut que s�emballer si chacun de nous se cantonne dans la posture que se limite � se d�fausser de ses responsabilit�s pr�sentes, politiques ou citoyennes, � se d�fausser �sur les autres� ou sur le pass�. Rompre le cercle vicieux dans lequel nous nous trouvons enferm�s est donc l�affaire de tous les acteurs : la soci�t�, les acteurs de la vie associative civile et politique, les pouvoirs publics et les acteurs institutionnels. La soci�t� ne pourra pas s�en sortir si elle ne reprend pas d�abord elle-m�me avec la volont� de s�en sortir, pour pouvoir ensuite agir par la force de son �nergie propre. Quelle que soit la l�gitimit� de leurs complaintes, les citoyens, et � leur t�te les �lites, doivent se dire une bonne fois pour toutes que personne ni aucune force ne viendra spontan�ment leur apporter sur un plateau d�argent tous les ingr�dients n�cessaires � l�accomplissement de leur destin. Il est � la fois illusoire et incoh�rent que, d�un c�t� et � juste titre, nous pleurions sur notre condition et qu�au m�me moment nous nous abandonnions � une r�signation passive ou � un d�dain, voire un d�go�t vis-�-vis de la chose publique. Une telle attitude, qui consid�re la politique comme �une sale chose� et qui conduit � laisser en somme la politique aux autres, revient en fin de compte � esp�rer que le r�glement de nos probl�mes et de notre sort viendra un jour de ceux-l� m�mes qui se sont disqualifi�s � nos yeux ! Le temps comme la nature travaillent contre nous tous, dans la mesure o� ils nous �loignent sans cesse des solutions qui sont l�objet de notre qu�te passive. Au m�me moment, ils attisent les tentations du recours � la violence d�vastatrice qui, non seulement n�am�liorera pas notre condition d�aujourd�hui, mais acc�l�rera davantage notre descente aux enfers. L�ennemi apparent et autoproclam� de ce que tu d�testes n�est pas forc�ment ton ami. Quant � se mettre � tricher, voler ou contourner les lois sous le pr�texte que les �autres� ou les tenants de l�Etat trichent, volent ou contournent les lois, il s�agit l� de rien moins que de comportements antisociaux dont la seule et premi�re victime est la soci�t� elle-m�me. Ce sont des comportements suicidaires, qui de surcro�t enl�vent toute l�gitimit� aux reproches les plus justifi�s que l�on est en droit de faire aux pouvoirs publics. En v�rit�, notre soci�t� doit se souvenir que rien ne se donne pour rien. Le mieux que la soci�t� puisse exiger l�gitimement de ses gouvernants est que ceux-ci s�attachent en urgence � lever tous les obstacles qui l�emp�chent de se donner les moyens de prosp�rer par elle-m�me et ses propres �nergies cr�atrices. Il revient � la soci�t� une grande part de ce qui est � faire pour qu�elle assume son destin. Les �lites ainsi que les acteurs sociaux, politiques et civils ne peuvent �tre d�aucune utilit� publique s�ils se r�signent, de gr� ou de force, au r�le de faire-valoir d�un r�gime parvenu � bout de souffle, tant il s�affaire � sa propre p�rennisation, � �tre et � para�tre plut�t que d�agir pour le bien g�n�ral. Faute de revenir � leur vocation premi�re qui est de recentrer les d�bats et les activit�s sur les probl�mes de la cit� et leurs solutions, ils participent au contraire � l�aggravation de la fragilit� d�ensemble. En se consacrant par contre � l��veil de la conscience citoyenne, tout en contribuant � d�ciller les yeux d�un pouvoir bloqu� sur lui-m�me et enlis� dans l�erreur, les forces de bonne volont� se donneront la voix qui les rendra plus audibles au sein de la soci�t� comme face au pouvoir en place et seront de ce fait plus � m�me de peser sur le cours des choses. Les pouvoirs publics se condamnent eux-m�mes � l��chec s�ils pr�tendent servir l�int�r�t g�n�ral en faisant fi de la participation active de la population. Or il n�existe pas de d�cisions en mati�re de lois, de r�glements ou de programmes politiques et sociaux, fussent-elles de la meilleure conception et de la plus grande justesse, qui puissent �tre mises en �uvre sans une coop�ration consciente de la population. Cette coop�ration repose sur la motivation, c'est-�-dire sur une conscience qu�acquiert chaque individu du lien qui existe entre les d�cisions d�un c�t�, et son int�r�t ou l�int�r�t g�n�ral de l�autre. La motivation est fonction, non seulement du degr� de participation des citoyens dans le processus des d�cisions, non seulement de l�efficacit� incitative de ces d�cisions, mais aussi et surtout de la qualit� du travail informatif et p�dagogique en direction des citoyens, travail qui rel�ve du devoir des pouvoirs publics et des acteurs sociopolitiques. C�est un devoir naturel, � la fois politique et institutionnel. Les donn�es diagnostiques de base �tant ainsi pos�es et si on les accepte comme je les vois moi-m�me, existe-t- il des solutions � la �sortie de crise�, pour reprendre l�expression consacr�e chez nous pour d�signer une situation qui perdure pourtant depuis des d�cennies ? Avant de se hasarder � un pronostic, on peut raisonnablement poser deux constats. Le premier est que la solution est l�affaire de nous tous, soci�t� et acteurs sociopolitiques et institutionnels confondus. Le second est l�incapacit� av�r�e des acteurs institutionnels � produire la solution, en tout cas pas eux tout seuls. Mais ont-ils pris conscience de cela ? L� est la grande question. Vous le savez bien, la vie politique est submerg�e, au point de s��touffer, par un activisme politicien qui est l�apanage de cercles tr�s restreints du pouvoir. Depuis des d�cennies nous sommes gouvern�s par les rumeurs et la d�sinformation. L�inexistence d�un programme politique coh�rent et d�clar�, l�absence de vision et l�indigence de la pens�e se nichent derri�re des slogans ou � l�abri d�un discours officiel qui est, soit mensonger, soit creux. Elles excitent l�attrait obsessionnel pour les effets d�annonce ; elles disqualifient la capacit� � fournir des solutions aux vrais probl�mes de la nation. Si par �situation g�n�rale� vous entendiez les soudaines et concomitantes rumeurs qui vont s�amplifiant sur le pr�tendu sentiment g�n�ral de d�gradation de la situation sociale ou sur la ritournelle du changement de la constitution et le refrain du ni�me mandat pr�sidentiel ou sur les �mois que susciterait la corruption ou enfin sur la pr�tendue question angoissante relative au nom de celui qui serait le prochain pr�sident, si c�est donc tout cela que vous d�signiez par le vocable de �situation g�n�rale� alors c�est que quelque part on ne cesse pas de s��vertuer � d�tourner l�attention des vrais probl�mes. La violence meurtri�re ? Mais c�est depuis 1999, ann�e de la �concorde civile� que nous sommes dans le �r�siduel� ou dans l���piph�nom�ne� pour reprendre certains des termes ahurissants du discours officiel. Que dis-je 1999, c�est depuis 1994 que nous entendons qualifier les actions meurtri�res de �derniers soubresauts d�un terrorisme aux abois�. Aussi ne peut-on que r�p�ter que le r�gime n�a pas compris ou fait mine de n�avoir pas compris que le terrorisme est un ph�nom�ne politique, que ses causes profondes sont politiques, sociales donc institutionnelles. Et que la r�sorption du terrorisme ne peut s�accomplir que par des voies politiques, sociales et donc institutionnelles. Ce sont ces m�mes causes qu�il s�agit d��radiquer. La situation sociale n�a jamais cess� de se d�grader depuis plus de deux d�cennies et le fait que nos recettes p�troli�res annuelles aient d�cupl� en dollars courants entre 1989 et 2007, prouve bien que notre probl�me se situe ailleurs que dans les ressources financi�res. Une soci�t� maltrait�e continuera � produire plus de candidats terroristes que les services s�curitaires ne peuvent en �liminer. Surtout quand ces services ne b�n�ficient pas du soutien spontan� et entier de la population. La recrudescence des attentats n�a pas d�autre signification, � savoir que la relation de d�fiance mutuelle entre le pouvoir et la population est de se dissiper. Aussi la r�conciliation nationale dont notre pays a le besoin imp�ratif le plus urgent est-elle celle qui r�tablira les liens rompus entre le citoyen et l�Etat. La vraie question est celle de l�incapacit� du r�gime, dans sa configuration actuelle, � faire face aux probl�mes graves qui se posent. Le constat conduit directement � la deuxi�me question qui proc�de de la capacit� du r�gime � prendre conscience � temps que faute d�un premier pas vers ce que j�appelle le changement dans l�ordre, il nous expose de mani�re acc�l�r�e au changement dans le d�sordre, ce qui serait la pire des �ventualit�s parmi celles qui nous pendent d�j� au nez. En mati�re s�curitaire on s�est laiss� abuser par les accalmies passag�res au point de perdre de vue que, faute d�un traitement politique, �conomique et social des causes profondes qui concourent au d�veloppement et � l�entretien de la violence, on a laiss� perdurer une situation, o� l�Institution militaire a �t� confin�e au traitement des sympt�mes du mal, avec pour perspectives � long terme, au mieux un endiguement de la barbarie � mais non son �limination � et au pire, un enlisement dans des t�ches qui sont d�autant plus frustrantes, qu�elles distraient l�institution de sa vocation premi�re et qu�elles s�accomplissent au prix de sacrifices humains sans fin. Le processus d�cisionnel est la combinaison d�une construction institutionnelle et d�un legs historique. Un tel �difice ne peut tenir que si les r�les y sont bien d�finis, les responsabilit�s bien d�limit�es, donc pleinement assum�es, ce qui est le gage de l�efficacit� et du progr�s, de la s�curit� et de la stabilit�. Dans une situation de construction institutionnelle virtuelle, ce qui est le cas actuellement, ce ne peut �tre que n�importe quoi. Celui qui est le �responsable� visible ne d�tient pas forc�ment l�autorit� pour assumer ses responsabilit�s tandis que celui qui d�tient l�autorit� r�elle n�est ni visible ni comptable de ses d�cisions. Se sachant non comptable, il sera peu regardant, sur la s�ret� de ses d�cisions ainsi que sur le choix de celui qui sert de �devanture�. Quant � ce dernier, sans le pouvoir r�el de d�cision, il est condamn� � �tre inop�rant puisque discr�dit� aux yeux de l�opinion, des appareils administratifs ou des op�rateurs �conomiques. D�o� le r�gne de l�occulte et de l�irresponsabilit�, d�o� le cort�ge d�immobilisme, de mauvaises d�cisions et en fin de compte de gaspillages de ressources. Qu�il s�agisse de la conduite d�un ensemble quelconque, un Etat, une entreprise, jusque et y compris une cellule familiale, le d�couplage de l�autorit� et de la responsabilit� ne peut conduire qu�� la confusion, � la r�gression et au chaos. C�est l� un pr�cepte fondamental de la bonne gouvernance qui devrait inspirer l�ordre institutionnel nouveau dont nous avons besoin et de la place qui devrait y �tre celle de l�Arm�e. Le r�le d�une arm�e moderne consiste � assurer la d�fense de la nation, la pr�servation de son unit� et de ses institutions, la d�fense du territoire et de son int�grit� et non point la gestion de l�Etat ou le fonctionnement de la soci�t�. Quant � la probl�matique du terrorisme, elle ne saurait se r�duire � l�aspect s�curitaire � c�est-�-dire la l�gitime d�fense � mais embrasser surtout les aspects politiques, �conomiques et sociaux que seule la soci�t� dans toutes ses composantes � institutions �tatiques, opinion et soci�t� civile � est en mesure de prendre en charge. C�est cela le r�le du pouvoir civil dont l�arm�e doit �tre le bras. Commen�ons donc par engager les premiers pas en direction de cette exigence. Cela doit se faire avec l�arm�e. La pire des �ventualit�s serait que des �v�nements ext�rieurs � notre volont� interviennent pour imposer le changement malgr� l�arm�e, voire contre l�arm�e. Oublions tout type de rapports entre civils et militaires qui reposerait sur une sorte de subordination servile des uns aux autres, et misons sur l�alliance patriotique et r�publicaine fond�e sur des r�alit�s historiques, sociologiques et culturelles de notre pays, une alliance franchement proclam�e, sans complexe, exempte de toute all�geance ambigu� et qui s�imposerait � elle-m�me, pour seule raison d��tre, la sauvegarde de l�unit� nationale et le service exclusif des int�r�ts sup�rieurs du pays. Il faut ajouter qu�il n�est pas d�avenir concevable si nous continuons � nous reposer sur une institution unique car toute strat�gie efficiente pour entrer dans l�ordre institutionnel nouveau, repose sur l��dification d�un Etat de droit moderne dot� d�institutions r�publicaines et d�mocratiques authentiques et fortes, avec l�adh�sion de tous les Alg�riens. Cela demandera du temps. On en a d�j� perdu assez comme �a. Il faut commencer avec patience et r�solution. Dans une telle perspective, nos soldats gardiens de la nation, de son unit� et de ses institutions se situent en retour sous l�irrempla�able et in�galable aile protectrice du peuple � travers ses institutions supr�mes. Emanant de la volont� populaire, celles-ci n�en seront que plus �loign�es de toute tentation pour l�intrigue et donc mieux � m�me de pr�server en toute garantie le statut des corps de s�curit�, hors d�atteinte de toutes vis�es, jeux ou intrigues � caract�re politicien ou revanchard. Un statut d�volu, au demeurant par notre Histoire et dont la cruciale validit� est corrobor�e par les risques inh�rents � tout processus d��dification d�un Etat de droit et authentiquement d�mocratique. Les douloureuses �preuves que notre pays et notre peuple ont v�cues de 1988 � ce jour nous ont appris que de tels risques ne sont pas seulement hypoth�tiques ou th�oriques. Telle est ma r�ponse � votre derni�re question sur la situation g�n�rale et sur les pronostics � court et moyen terme. Si vous m�avez lu auparavant, vous rel�verez que je n�ai fait que r�p�ter ce que j�ai dit ou �crit � plusieurs reprises. C�est que les faits sont t�tus et que l�une des lois de la physique �dicte que les m�mes causes produisent les m�mes effets�