Les �conomistes alg�riens de la premi�re g�n�ration sont peu prolifiques, et peu bavards aussi, mais en d�pit de la raret� de leurs �crits, ils s�accordent tous � souligner, � plus ou moins gros traits, la faillite des actions �conomiques initi�es par les pouvoirs publics. Au risque de d�plaire, notamment par omission, � certains d�entre eux, on constate qu�ils interviennent en fonction d�approches soit �conom�trique (Ahmed Souam�s), soit g�n�rale (Abdelmadjid Bouzidi), soit politique (Ahmed Benbitour, Abdelatif Benachenhou et Ghazi Hidouci). Nous d�rogerons aux m�urs locales, empreintes de pr�jug�s et d�exclusion, pour essayer de conna�tre la grille de lecture (et ce qu�elle sugg�re comme traitement) du courant r�formateur, � la lumi�re des derni�res interventions publiques de Ghazi Hidouci, principalement, et de Omar Benderra, accessoirement. Le dernier constat qu��tablit Ghazi Hidouci sur la conduite de la politique �conomique(*) est s�v�re, profond, structur� et exigeant � l�extr�me, voire sans appel : absence de discours �labor�, absence d�id�es directrices, autoritarisme. Cons�quence : aucune lisibilit�, absence de cr�dibilit� interne et externe et perte de confiance des acteurs �conomiques, absence de formule de r�gulation et pr�cipitation pseudo-lib�rale. �Aujourd�hui, le champ politique est ferm� et l�Etat livr� � la ruse improductive des clans, � l�ambition s�nile, � la d�ch�ance sous toutes ses formes (�) Nous continuons de nous enfoncer dans la r�gression.� Ghazi Hidouci constate que le pouvoir est en panne �de pens�e d�une politique �conomique quelconque� ; il ne per�oit l�existence ni d�un mod�le �conomique lib�ral ni dirigiste ; �on fait n�importe quoi dans le d�sordre et il est difficile d�y discerner du sens� ; tout au plus lui conc�de- t-il �un m�lange h�t�roclite de recettes toutes faites sans id�es directrices et sans coh�rence, un autoritarisme s�nile et capricieux bloquant tout d�bat, toute perspective de mouvement et ruinant la confiance des acteurs �conomiques n�cessaire � la production et au fonctionnement des march�s�. C�est le terreau id�al pour l��closion de �l�affairisme nocif, le creusement des in�galit�s et la multiplication des drames sociaux�. Pourtant le pays ne manque pas de ressources. Non, argumente Hidouci, il ne s�agit que �de mauvaises r�serves� : �Avec des moyens financiers consid�rables, la machine est en panne et les Alg�riens manquent de tout.� Que dire de l�usage fait de ces ressources ? Les exc�dents financiers ext�rieurs ont pouss� le pouvoir � proc�der au remboursement anticip� de la dette. Une d�cision qui lui semble inopportune compte tenu de �la situation de r�f�rence � et des �soucis de souverainet� et de stabilit� financi�re et mon�taire�. Faute de quoi, le remboursement anticip� s�apparente � �l�apurement en catimini de dettes priv�es et publiques internes crapuleuses �. Il pr�conise alors, au pr�alable, �plut�t que de rembourser des dettes accumul�es quelquefois de fa�on ill�gitime et souvent pour des raisons raisons inavouables�, de les auditer avant de n�gocier une restructuration des dettes �qui partagerait les co�ts de fa�on moins in�quitable pour les finances publiques et les citoyens�. En effet, pourquoi faire payer � l�ensemble de la communaut� nationale, notamment la moins lotie, la charge de dettes destin�es � constituer des cr�ances douteuses, opaques, discr�tionnaires et non remboursables ? Une mani�re de traduire en termes �labor�s le vieil adage arabe : �Qui mange, paie.� Si le remboursement anticip� absorbe une partie des exc�dents ext�rieurs nouvellement constitu�s � la faveur de l�embellie p�troli�re et occulte le paiement en douce de dettes priv�es et publiques internes crapuleuses, qu�en est-il de l�usage fait du reste de la manne, notamment l�accumulation d�actifs � l��tranger ? L� aussi, Hidouci anticipe que cela n�augure rien de bon : �Les g�rants de portefeuille sur les march�s attirent les n�tres par des num�raires ridicules � court terme pour les mener � l�abattoir ensuite. Les Alg�riens et d�autres ressortissants de pays mal g�r�s ayant des exc�dents verront peut-�tre leurs banques centrales afficher, dans les prochaines ann�es, des milliards de dollars de pertes � cause de la crise des emprunts immobiliers aux Etats-Unis, mais on ne pourra rien y faire, �tant donn� le manque g�n�ral de responsabilit� politique. C'est une grande pr�dation que les citoyens subissent sans contr�le.� Sur le court terme, il reste aussi � comparer ce que rapportent ces placements avec le co�t de la dette interne � fort taux d�int�r�t et dont il faudra bien assurer le service. Le Tr�sor rembourse la dette interne � des taux �lev�s alors qu�il re�oit des int�r�ts de plus en plus bas pour ses placements � l��tranger, n�gatifs en dollars constants. Sont cons�quemment en voie d��tre r�unies �les conditions de la ruine explosive du pays par les sp�culateurs�. Il propose alors de �regarder de pr�s l�endettement interne des compagnies qui investissent dans l��nergie et ailleurs et se couvrent pour l�amortissement de leurs dettes. Il faut voir ce que peut leur rapporter comme profits sp�culatifs sur une ann�e l��volution compar�e du dinar et du dollar sans qu�ils ristournent au fisc ces b�n�fices� �Le r�sultat de tout ceci est la mise en place graduelle et sournoise d�un nouveau m�canisme de spoliation plus grave et plus pernicieux que celui de l�endettement des ann�es 1970 et 1980 portant de graves pr�judices pour la souverainet� financi�re, mon�taire et politique d�une part et pour l��crasante majorit� des pauvres � revenus fixes dans ce pays d�autre part, au b�n�fice des acteurs des march�s internationaux et de leurs interm�diaires sur le territoire national.� L�auteur reprend ici l�argumentaire d�une �tude de 2004 mettant en avant des interm�diations mafieuses d�abord locales : �Depuis les ann�es 1990, la culture de gestion �conomique par l�administration continue sous les formes renouvel�es d�une privatisation �s�lective� ; elle est revendiqu�e par le secteur priv� industriel et de services non concurrentiel, car elle lui permet l�acc�s aux rentes de client�le en mati�re de subventions, de d�fiscalisation et de cr�dit : le gouvernement transmet des injonctions au syst�me commercial, financier et bancaire pour privil�gier les op�rateurs priv�s op�rant sous protection des pouvoirs r�els (comme l�a montr� en 2003 le cas spectaculaire de la machine � d�tournements que fut l��ph�m�re Banque Khalifa) �� Plus loin, il est �tabli une filiation de type n�o-colonial entre les pr�dateurs locaux et leurs parrains �trangers, en des termes qui donnent des sueurs froides aux souverainistes que nous sommes : �Les acteurs internes se transforment en p�les porte-parole des strat�gies des acteurs �trangers : hommes politiques ou hommes d�affaires, aux premiers rangs desquels les Fran�ais ; ces derniers apportent � leurs correspondants alg�riens les n�cessaires relais politiques sur le plan international et l�indispensable garantie �d�mocratique �, ainsi que les instruments techniques internationaux de recyclage des produits de la spoliation (comptes bancaires dans les paradis fiscaux, avocats et financiers�). Les r�seaux d�affaires �trangers, habitu�s � partager les d�tournements et � organiser leur distribution, ont agi durant toute cette p�riode pour renforcer la subordination de l��conomie alg�rienne aux firmes p�troli�res occidentales et aux entreprises exportatrices (fran�aises et italiennes en particulier) assurant l�approvisionnement de la population en biens et services indispensables (�) Avec cette mise sous tutelle mal dissimul�e des finances publiques et du syst�me bancaire alg�rien, le pacte colonial se r��crit sans alt�ration majeure, si ce n�est le d�placement de la responsabilit� des politiques r�pressives vers des mains autochtones. Les privil�ges que le droit international accorde aux Etats sont ainsi privatis�s et utilis�s aux fins des int�r�ts de r�seaux d�linquants nationaux et internationaux. Les r�cents scandales � non dissimulables � de banques en faillite d�montrent que le Tr�sor public et la Banque centrale participent aux transferts vers les places offshore des d�tournements frauduleux par des milieux d�affaires int�gr�s dans le c�ur du pouvoir, ins�r�s dans les m�canismes officiels de coop�ration et de commerce.� Quelles propositions peuvent suivre un constat aussi d�primant ? A la lumi�re de ce qui se passe autour de nous, Hidouci propose �trois grands th�mes d�analyse� : - une capacit� de discernement et d�apprentissage qui fait �merger le �capital social collectif�, clef de vo�te pour sortir des �trappes de pauvret� �, pour mettre en place des strat�gies sp�cifiques efficaces et pour d�ployer des capacit�s productives ; - une intensification des �changes multiformes internes et externes ma�tris�s et de construction d�une politique budg�taire, financi�re et mon�taire contr�l�e : �� l�endettement se substituent les flux d�investissements durables compl�tant l��pargne nationale bien r�mun�r�e, faisant de la mondialisation, en d�pit de ses injustices, un facteur favorable, soutenant les facteurs structurels internes� ; - la construction de configurations �tatiques solides et bien souvent interventionnistes, bas�es sur des alliances politiques et sociales d�int�r�ts et une relative �galit� sociale interne. Ainsi, quelles que soient leurs nuances quant � la gravit� du bilan que dressent tous nos �conomistes, ils sont unanimes � r�duire l��quation de la crise � sa dimension politique, � l��mergence d�acteurs repr�sentatifs et libres. Comme s�il suffisait d�enlever une �pine pour tenir la rose. A. B. (*) Depuis la publication de son livre Alg�rie, la lib�ration inachev�e, chez la D�couverte en 1996, l�ancien ministre des Finances dans le gouvernement Hamrouche (1989-1991), s�est tr�s peu exprim�. Il a, notamment, co-sign� avec Omar Benderra, l�ancien P-dg du CPA, � la m�me p�riode, une contribution Alg�rie : �conomie, pr�dation et Etat policier avant d�accorder, tout r�cemment � le 24 mars dernier � un entretien au site www.lematindz.net, sous le titre : �L��conomie alg�rienne est en panne, l�avenir est sacrifi�.