�a s�appelle du flair, �a ! Comment mettre un terme � une situation g�nante ? Il y a plusieurs m�thodes� Comment, en l�occurrence, aborder la question des harraga, pos�e d�sormais devant le tribunal social avec une gravit� telle qu�on ne peut s�en d�fausser comme nagu�re le Premier ministre, en la r�duisant � une vell�it� juv�nile d��pater les copains avec des voitures dernier cri et des lunettes Ray Ban made in l�-bas ? Comment arr�ter une h�morragie de �forces vives�, pour puiser encore dans le pathos nationalo-progressisto-boumedienien, qui se r�pand crescendo comme une catastrophe ? De quelle mani�re juguler ce mouvement de r�pulsion pour le pays des brigands, r�solue dans la fuite p�rilleuse qui a commenc� par le goutte-�-goutte avant de s�aggraver en v�ritable torrent devant lequel aucune digue ne tient ? Bien s�r, il y a l�approche, superficielle, inop�rante, l�g�re comme une plume de pigeon. Elle s�appuie sur l�identification des causes de ce d�sir puissant d�aller voir ailleurs et doit aboutir � l�action. Puis, entre autres fa�ons, il y a la m�thode verbeuse, �verboyante� m�me, fondamentale celle-l�, efficace au degr� supr�me. Elle consiste � nommer, � d�cr�ter, � s�en tenir, penaud, � l�entr�e des choses, l� o� les mots, gratuits, ne veulent encore rien dire parce qu�ils ne prennent pas corps et ne prennent surtout pas � brasle- corps la r�alit� dramatique qu�ils expriment, signifient et qu�ils peuvent m�me modifier. En un mot, le coup de g�nie vient de Ould Abb�s. Il pense avoir clos un dossier br�lant (harrag), cuisant m�me, celui de ces jeunes qui crament leurs vaisseaux pour ne pas pouvoir revenir sur leurs pas, en jetant un d�finitif : �Je n�aime pas le mot �harraga�. Il faut cr�er � son intention un prix. Pour s�r que cette approche ludique m�rite d��tre prim�e. Un prix pour la meilleure phrase de l�ann�e, par exemple. Dans le registre comique ou tragique ? �a se discute, �a� �Mal nommer les choses ajoute au malheur du monde� : en camusien endurci, notre ministre esp�re sans doute que de changer le nom des harraga changera les harraga eux-m�mes. Petit essai sur une information cueillie dans ce m�me journal. Elle rendait compte de l�enterrement de dix harraga � Tiaret. Reprenons-l� en ne pronon�ant pas ce mot honni que le ministre Ould Abb�s n�aime pas : ��col�re suite � l�enterrement de dix jeunes�. � tous de la r�gion � ayant p�ri la semaine pass�e au large d�Arzew, alors que cinq autres sont toujours port�s disparus. Le rapatriement des corps qui, � partir de l�h�pital d�El Mohgon dans la wilaya d�Oran, a �t� la v�ritable �tincelle pour exciter les proches, les voisins et les amis des victimes au point de se donner le mot t�t le matin de jeudi pour observer un sit-in au niveau de la place Regina�. On voit bien que �a bouleverse tout. Si on ne parlait pas de harraga, le ph�nom�ne dispara�trait ipso facto. Un claquement de doigts, un mot aval� par le tourbillon du silence et voil� un douloureux drame qui se d�noue ! Dix jeunes enterr�s ou dix jeunes harraga enterr�s, ce n�est pas la m�me chose. Ould Abb�s a parfaitement raison. Mais il faut bien les d�signer, ces jeunes qui votent avec leurs pieds, voire avec leur vie. Harraga veut dire �br�leur�. Il signifie aussi, et surtout, la volont� de survivre en transgressant les lois, les fronti�res, les censures, les �dits des gardiens des dogmes, les �mois hypocrites sur la nationalit� et la patrie. �Harraga� veut dire, au fond, non-retour. C�est un peu cela que le g�n�ral berb�re Tarik Ibn Zyad au VIIIe si�cle, de la tribu des Nefzaoua, avait voulu exprimer en br�lant les vaisseaux pour que ses hommes ne puissent pas faire machine arri�re. Il avait prononc� le fameux dilemme en cette phrase, rapport�e par El Maqqari, controvers�e, devenue d�une certaine mani�re le credo instinctif des harraga d�aujourd�hui : �La mer est derri�re vous et l'ennemi est devant vous, et vous n'avez, par Dieu, que la sinc�rit� et la patience.� Les harraga, ce sont symboliquement des br�leurs de leurs propres vaisseaux de telle sorte que le retour ne soit plus dans l�ordre du possible. La seule voie qui leur reste, celle qu�ils laissent ouverte, c�est d�affronter les difficult�s qui sont devant, les pr�f�rant � ce qu�ils ont quitt�. Or le mot harraga, qu�Ould Abb�s a des raisons de ne pas aimer, rend compte par sa force s�mantique � la fois des dangers encourus en transgressant toutes les lois et les al�as de l�aventure et de la disposition � laisser tout derri�re soi, car ce tout ne vaut plus la peine d��tre gard�. C�est en soi un jugement politique impitoyable, un rejet total et irr�versible de ce en quoi la politique pr�datrice des pouvoirs a transform� l�Alg�rie : un pays invivable, en particulier pour les jeunes. Il est dommage qu�Ould Abb�s n�ait pas propos� de noms de remplacement pour les harraga. Ces noms n�auraient, bien entendu, d�autres fonctions que d��clairer sur sa propre fa�on de voir les choses. Un nom comme harraga, c�est l�usage qui le donne et l�usage qui le prolonge. Et qui d�cide de le garder ou non. Que monsieur le ministre ne l�aime pas, �a se con�oit. Mais il est � une place o� il peut agir dans le but non pas de le changer, ce qui est impossible, mais changer les conditions sociales qui le g�n�rent. Mais peut-�tre que, autant que son gouvernement, ne fait-il pas partie de la solution, mais du probl�me. Et � ce niveau, le troc d�un mot contre l�autre n�y peut rien.