Photo : S. Zoheïr Dès les premières chaleurs, c'est à une véritable ruée vers les lunettes de soleil que l'on a assisté. Les stands se trouvant à l'intérieur du marché Michelet, comme les tables qui essaiment à travers les différents marchés d'Oran, sont «assiégés» par des jeunes et moins jeunes, désireux de se protéger les yeux d'un soleil de moins en moins clément. Mais pas avec n'importe quelles lunettes car même si, en général, on se moque un peu de la «qualité chinoise», on est plus intransigeant avec la forme et la couleur. Et il faut dire que les vendeurs de lunettes offrent un très large choix et à des prix tout simplement imbattables : 200 DA la paire, quelles que soient les lunettes. «Le fait que je mette des lunettes Taiwan ne me gêne pas, confesse un jeune trentenaire au marché Michelet. De toutes les manières, je ne peux pas me permettre quelque chose de très cher.» Après avoir essayé plusieurs paires, le choix du jeune acheteur se porte sur des Ray-Ban : «On ne se refait pas, sourit-il, un brin nostalgique. Lorsque j'étais plus jeune, c'étaient les lunettes à la mode. Y en avait des seniors, des juniors, des pilote... Aujourd'hui, je me sens vraiment largué.» Sur l'une des nombreuses tables qui jalonnent désormais le marché Michelet, des dizaines de modèles de lunettes sont mis en évidence, provenant tous de la contrefaçon. Cela va des lunettes dites sixties (les préférées de Sharon Stone) aux colorées, en passant par les vintage, les masques, les aviateurs, les Matrix... bref, une gamme à satisfaire tous les goûts, pourvu qu'on ne rechigne pas sur la qualité. Une jeune adolescente, vêtue à la dernière mode d'un jean serré, les cheveux à la garçonne, essaie toutes sortes de lunettes colorées, en faisant la mimique devant le miroir. La femme qui l'accompagne, sa mère sans doute, se contient à grand-peine : «Prends celles-là pour que nous puissions partir… Il fait tellement chaud. Elles te vont très bien, je t'assure.» Les exhortations de la mère ne semblent pas atteindre la jeune fille, visiblement résolue à trouver «sa paire», et ce n'est que quelques essais plus tard, sous le regard amusé du vendeur, qu'elle jette son dévolu sur des lunettes bleutées. «Il y a tellement de modèles, explique le vendeur en désignant sa marchandise, que les acheteurs ont souvent du mal à choisir.» Il arrive aussi parfois que le choix des lunettes, comme d'ailleurs celui de la tenue vestimentaire, réponde à un seul souci : imiter sa star préférée. C'est ainsi qu'il n'est pas rare de voir des adolescents, vraisemblablement fous de Brad Pitt, arborant «sa» coupe de cheveux et «ses» lunettes (celles qu'il porte dans Ocean's Twelve). Sans vraiment lui ressembler, Yazid, lycéen, fait partie de cette catégorie de fans qui, outre la coupe de cheveux, avoue avoir choisi des lunettes «genre Brad Pitt et, en plus, elles ne sont pas chères [200 DA]», sourit-il. Il reste cependant que cette formidable ruée sur les lunettes de soleil made in China occulte l'existence de risques réels pour les yeux. Régulièrement, les spécialistes attirent, via la presse, l'attention sur les risques découlant de l'utilisation de «verres non traités» qui peuvent aller de la simple allergie à des problèmes autrement plus graves comme les troubles de la vision, les problèmes de cataracte, le dessèchement du cristallin ou le décollement de la rétine. Ce qui ne semble pas émouvoir outre mesure les Oranais qui, mal ou pas du tout informés et n'ayant pas les moyens d'en acheter de vraies, continuent d'acheter des lunettes contrefaites. Le tout sous les yeux de pouvoirs publics pour le moins indifférents.