Cette semaine, une d�l�gation de l'ambassade des Pays- Bas a effectu� une visite au mausol�e de Mama Binet, situ� � B�ni Haoua, ville c�ti�re de Chlef, dans le but de s'assurer de la bonne restauration de cet �difice. Mais comment en est-on arriv� � v�n�rer cette sainte � telle enseigne que pas mal de commerces et produits alimentaires portent son nom (fromage Mama Binet, limonade Mama Binet...). Les versions sont nombreuses et parfois contradictoires. Notre but est surtout de faire la distinction entre r�alit� et affabulation. Pour ce faire, suivons le r�cit de Boudia Mohamed, �crivain et homme de grande culture : �Le 15 janvier 1802, le bateau Banel, avec � bord des nonnes, appareille � partir de Toulon en direction de l'Afrique du Sud. Il est pris dans une violente temp�te qui le fait �chouer sur les c�tes alg�riennes, pr�s de Gouraya et B�ni Haoua. Les hommes sont tu�s dans des affrontements avec les autochtones et les femmes sont int�gr�es dans des harems de notables de la r�gion. La m�re sup�rieure Mama Binet va b�nir ces unions et toutes les naissances qui vont suivre. Pour cela, elle va jouir d'un grand respect de la part de la population locale. En son honneur, on va �riger un mausol�e qui va �tre visit� par les habitants tous les vendredis et pendant les f�tes religieuses. Elle sera en quelque sorte consid�r�e comme un marabout musulman.� Les captives du Banel, paru en 1954, est l��uvre de l'ethnologue Alberte Sadouillet, consacr�e � cette chr�tienne qui aurait embrass� l'islam. Un autre homme de th��tre, Laurence Huet, s'est int�ress� aussi � cette personnalit�. Pour ce faire, il s'est adjoint les comp�tences d'un artiste plasticien, natif de B�ni Haoua, Hachemi Mokrane. De ce travail d'�quipe va na�tre un magnifique ouvrage D�li�es, superbement illustr� par des photographies de Jean-Yves Mougin et les splendides calligraphies de Hachemi Mokrane. Il reste quand m�me �tonnant que M. Huet n'ait pas trouv� trace de femmes dans ses documents. A sa d�charge, nous pouvons faire remarquer que les archives du port de Toulon, qui se trouvaient � Brest, ont �t� d�truites pendant les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Notons qu'en 1802, l'Alg�rie �tait sous domination ottomane et que les relations avec Bonaparte �taient bonnes car la France avait en charge l'instruction de l'arm�e turque. Il n'en reste pas moins qu'un incident diplomatique a �t� fr�l� � cause de ce naufrage. En atteste la correspondance qui a eu lieu en cette occasion entre le dey Mustapha et le premier consul de France. Lettre du mois d'avril 1802 adress�e par le charg� d'affaires Dubois Thinville au dey Mustapha. �Le vaisseau fran�ais, Le Banel, � son bord 200 marins et 9 femmes, s'est perdu sur vos c�tes. Les habitants ont d�truit leur radeau et vol� leur argent. Les rescap�s ont �t� tra�n�s vers les montagnes. Bonaparte demande solennellement la restitution des effets, la lib�ration des prisonniers et une s�pulture digne pour les d�pouilles.� De cet �change �pistolaire, il ressort une certitude : ces religieuses ont s�rement exist� et auraient �t� int�gr�es � la population, mais rien ne prouve que Mama Binet ait �t� mari�e au seigneur Mokrane. Elle aurait bien pu mourir chr�tienne et c�libataire, donc sans descendance. Ses pouvoirs de gu�rison de certaines affections et la possibilit� pour elle de rendre f�condes des femmes st�riles sont � mettre au conditionnel. Toutefois, l'histoire reste belle comme toute l�gende. Le mausol�e ajoute un charme particulier � la r�gion de B�ni Haoua et une animation commerciale pendant l'�t� � cette zone enclav�e. Quoiqu'il en soit, l'ancre rouill�e du Banel est toujours l�, t�moin de cet �v�nement qui n'a pas fini de faire couler beaucoup d'encre .