Vendredi 9 mai 2008. Il est 9 heures du matin quand notre v�hicule prit la direction de Tagnit. Tagnit, un village perch� en haute montagne � 1100 m�tres d�altitude, en plein c�ur du Djurdjura dans son versant sud, � 20 km de Bouira et � 10 km au nord-est de Ha�zer. Un village envo�tant, b�ti dans un d�cor f�erique o� l�on hume l�air pur et r�parateur, et entend le gazouillis des oiseaux qui semblent ajouter au tableau d�j� idyllique. Reportage r�alis� par Yazid Yahiaoui Le village face aux hordes terroristes Cependant, ce d�cor ne doit pas cacher une certaine r�alit� am�re que le village avait certes v�cue. Le cauchemar de la d�cennie noire, la d�cennie du sang et des larmes. Cette d�cennie, le village Tagnit l�a v�cue dans la dignit� et dans l�honneur tant, pendant toute la p�riode des ann�es 1990, le village n�avait pas courb� l��chine. Les gens de Tagnit font partie de ces valeureux et authentiques Imazighen (Hommes libres). En pleine montagne, au moment o� le pays �tait livr� � lui-m�me, au moment o� tout le monde doutait, o� les int�gristes faisaient la loi y compris dans les villes, le village Tagnit a r�sist� ; les gens ont d�fendu leur honneur, n�ont pas accept� le diktat des terroristes. Ils ont pris les armes pour d�fendre leur village. Ils ont refus� la fuite, l�exode ; ils ont pr�f�r� mourir sur leurs terres ancestrales plut�t que de �vivre dans des garages ou des taudis pr�s des villes, dans le d�shonneur et la honte� comme a tenu � le souligner l�un des cheikhs du village, Dda Mokrane. Cependant, si le village avait r�sist�, ce ne fut pas de tout repos ni gratuitement. Le village a pay� du sang de ses propres enfants cette bravoure. Le 3 septembre 1997, � 7h30, une bombe a explos� au passage de quatre jeunes du village. Les jeunes Zougari Ahmed, �g� alors de 33 ans, Zougari Slimane �g� de 31 ans et Hniniche Hammouche �g� de 24 ans, venaient de tomber dans un v�ritable guet-apens tendu par les terroristes. Le jeune miracul�, Slimane �g� de 40 ans, n�a d� son salut qu�� la providence : quelques secondes avant l�explosion de la bombe sur la route qu�ils venaient d�emprunter, il devait enlever et ranger le brodequin qui lui faisait mal. Ce faisant, il s��tait fait distancer de plusieurs dizaines de m�tres par ses copains sur lesquels la bombe venait d�exploser actionn�e � distance par des terroristes embusqu�s dans les parages. Juste apr�s l�explosion, des coups de feu retentirent. Le jeune survivant sauta pour se cacher dans le ravin, mais non sans avoir essuy� une balle qui lui avait transperc� la clavicule. Cependant, malgr� cette blessure, il riposta avec sa kalachnikov et les terroristes ont d� abandonner la partie en voyant les renforts� Ces trois martyrs ne furent pas malheureusement les seuls. Bien avant cette date, le village avait d�j� perdu deux de ses valeureux enfants ; Sma�li Rezki, �g� de 60 ans, patriote de son �tat, assassin� en plein mois de ramadhan en f�vrier 1997 � Ha�zer et Zougari Belkacem, quinquag�naire, policier de son �tat, lui aussi, assassin� en 1996 dans un caf� � Ha�zer. Cependant, et malgr� ces pertes, le village n�a pas abdiqu�. Il a r�sist�. Il a tenu t�te dans cette �Tagnit aux sept richesses� comme l�appelait le saint du village, Sidi Messaoud, fondateur du village au XIe si�cle. La l�gende du saint Sidi Messaoud On raconte que le village fut fond� par un certain saint Sidi Messaoud qui serait venu du Sahara occidental (Saguia El Hamra) vers le XIe si�cle. D�s son installation dans cette partie m�ridionale du Djurdjura, il s�appliqua � propager la bonne parole parmi les gens de la r�gion. On l�adopta aussit�t et tr�s vite, beaucoup de familles lui pr�t�rent all�geance. Etant tout le temps appliqu�s � l�enseignement du Coran, la coutume voulait que ce soit les �Kabyles� qui subviennent aux besoins des marabouts ; les hommes ram�nent du bl�, des figues, de l�orge, des fruits ainsi que de l�eau depuis une certaine source situ�e dans le territoire des Kabyles, la source des Iheddaden, pour Sidi (le saint marabout), et les femmes tissent, font le m�nage et pr�parent des mets pour Lalla (la femme du marabout). Cela fut le cas pendant de longues ann�es ; les Kabyles offrent le meilleur de tout ce qu�ils poss�dent pour le saint marabout et toutes les familles maraboutiques de sa tribu. Jusqu�au jour o� les Iheddaden d�cid�rent de ne plus approvisionner le marabout en eau depuis leur source. On vint informer le saint Sidi Messaoud de cette d�cision inattendue. Imm�diatement, le saint prit sa canne et donna plusieurs coups dans la terre, et apr�s chaque coup jaillit une source. Depuis, la meilleure source �Tala�, n�a jamais tari et les femmes du village Tagnit pouvaient s�approvisionner en eau � leur guise sans passer par la source des Iheddaden. Mohamed Sma�li ou ammi Moh qui nous raconta cette histoire, nous montrera cette fontaine bien am�nag�e depuis et construite et dont l�eau coule toujours. Il nous racontera �galement d�autres l�gendes attribu�es � Sidi Messaoud, celui-l� m�me qui baptisa le village �Tagnit aux sept richesses�, tant pendant toute l�ann�e, � chaque saison, il se trouvait toujours des fruits et des l�gumes, du bl� et de l�orge mais aussi, les vaches et les b�ufs pour le lait, le petit lait et le beurre, pour que tous les membres du village en disposent � sati�t�. Le saint Sidi Messaoud fut enterr� � l�int�rieur de la mosqu�e du village ; plusieurs autres Salihine (saints) furent enterr�s � ses c�t�s � l�int�rieur de cette mosqu�e, source de communion entre toutes les familles qui forment le village de Tagnit : les Sma�li, Zougari, Rabia, Aoun, Messaoudani et Hniniche. A c�t� de cette mosqu�e, existe le cimeti�re o� sont enterr�s tous les autres gens du village. Et � propos de ce cimeti�re, on raconte qu�un jour, lors de la pr�sence fran�aise, un �tranger au village qui �tait retrouv� mort dans les parages, avait �t� enterr� dans ce cimeti�re. Le lendemain de son enterrement, on retrouva son corps � quelques kilom�tres en bas dans la plaine : la l�gende pr�tait bien s�r les pouvoirs au saint Sidi Messaoud qui, m�me mort, a expuls� ce corps du cimeti�re� Tagnit livr�e � elle-m�me Ce vendredi, lors de l�organisation d�une wa�da � laquelle furent convi�s plusieurs responsables parmi lesquels on pouvait citer le d�put� et ex-ministre, Kara Mohamed-Seghir, le P/APW, Gaci Abdelkader, le P/APC de Ha�zer, Zouaghi Slimane, et tant d�autres �lus de l�APW, tous les gens de Tagnit �taient pr�sents. Ils �taient l� et sont m�me venus d�Alger pour assister � cette c�l�bration. Et avant d�offrir le repas, le fameux couscous aux convives, une vir�e � la mosqu�e fut op�r�e par les responsables, avant qu�une Fatiha ne soit lue devant les tombes des trois jeunes assassin�s � la fleur de l��ge par les terroristes et enterr�s c�te � c�te dans le cimeti�re du village. Et bien que l�occasion ne se pr�tait pas pour faire des dol�ances, il n�en demeurait pas moins que tous les intervenants avaient insist� sur la r�sistance h�ro�que du village face aux terroristes. Dda Mokrane qui parlait au nom du village, avait insist� sur les routes qui manquent affreusement � la route qui y m�ne n�a pas �t� retap�e depuis les ann�es 1970 � et les taxieurs refusent de s�y rendre ; l�assainissement, l��clairage public, ainsi que l��cole primaire ferm�e depuis le d�but des ann�es 1990, sont autant de probl�mes �voqu�s lors de cette journ�e. Bien entendu, ces dol�ances ont �t� appuy�es par le pr�sident de l�association citoyenne du village, Nacer Zougari qui a promis au P/APW �de lui casser la t�te jusqu�� l�obtention de tous les besoins de ce village�. Pour sa part, le d�put� Kara comprenant et voyant de visu l��tat des routes et le manque de moyens pour ce village, a promis de faire tout le n�cessaire pour intervenir aupr�s des diff�rents minist�res concern�s afin de prendre en charge les dol�ances de �ces vaillants citoyens qui sont rest�s dans leurs terres malgr� toutes les privations�. L�ex-ministre a rappel� � cet effet les efforts du pr�sident de la R�publique et son attachement aux citoyens qui gardent l�originalit� en ne cachant pas son �tonnement face aux valeurs d�authenticit� dont font preuve les gens de Tagnit. �Le v�ritable Alg�rien s�accorde avec sa culture amazighe authentique d�pourvue de toute connotation �francisante � et sa religion musulmane � laquelle il tient tant� devait dire Kara Mohamed-Seghir. Le P/APW �galement a promis de faire de son mieux pour r�pondre aux besoins de ces gens valeureux et hospitaliers en rappelant sa disponibilit�, lui et tous les �lus de l�APW � r�pondre pr�sents � chaque fois que les citoyens leur font appel. Enfin, le P/APC pr�sent et qui s�est dit tr�s content, a rappel� certaines v�rit�s notamment concernant les routes dans le cadre des PCD en insistant aupr�s du P/APW afin que le budget allou� pour 12 kilom�tres soit revu � la hausse � 18 kilom�tres pour pouvoir toucher l�ensemble des villages. Il demandera �galement l�apport du d�put� et ex-ministre pour le d�gagement d�un bus et d�une ligne pouvant assurer le transport vers ce village situ� en pleine montagne afin de le d�senclaver� Une wa�da et des offrandes pour la mosqu�e Apr�s le repas offert aux convives et pr�par� par� un certain Slimane, celui-l� m�me qui avait �chapp� miraculeusement � la mort le 3 septembre 1997, et apr�s le d�part des h�tes, l�ensemble des gens du village furent convi�s � leur tour au couscous puis aux offrandes. Tous les pr�sents se mettent en cercle. Deux vieux du village, El Hadj Sa�d Hnininche et Dda Mokrane Sma�li ainsi que l�imam, Si Hammouche, s�assoient et mettent devant eux un tapis et les offrandes pouvaient commencer. A chaque fois qu�une personne fait don d�une somme d�argent, son nom est �voqu� publiquement et les b�n�dictions pleuvaient sur lui et sa descendance ; tous les pr�sents l�vent leurs mains vers le ciel pour que les b�n�dictions soient exauc�es par Dieu. L�op�ration se poursuivait pendant plus d�une heure ; chaque personne du village qui fait don aura droit aux m�mes louanges et b�n�dictions jusqu�au dernier. L�argent collect� servira � l�entretien du cimeti�re, � l�achat du ciment et du sable n�cessaires pour les nouvelles tombes et m�me pour les anciennes, � l�entretien de la vieille mosqu�e et enfin, � aider les familles dans le besoin surtout lorsque celles-ci se retrouvent frapp�es soudainement par un malheur, la mort d�un des leurs par exemple. En somme, disons que les gens de Tagnit gardent cette authenticit�, ce verbe qui fait tant plaisir, ce sourire et cet air innocents ; cette organisation qui fait d�faut dans beaucoup de villages kabyles d�aujourd�hui, ce respect des petits pour les grands, ce respect mutuel entre les gens, l�art d��couter l�autre mais aussi de parler court et direct, bref, en l�espace d�une demi-journ�e, les gens de Tagnit nous ont fait plonger dans l�univers encore pr�sent des �tres humains aux c�urs purs, semblables � l�air qu�ils respirent.