Le secteur de la sant� va mal. Le constat, �tabli depuis de longues ann�es, risque de s�aggraver avec la multiplication des anachronismes. Plut�t que de sauvegarder un secteur moribond, les pouvoirs publics ferment les yeux sur des pratiques qui, � terme, finiront par achever la sant� publique. En instaurant, en 1998, l�activit� compl�mentaire permettant aux praticiens du secteur public d�exercer dans le priv� sans pour autant instaurer des garde-fous, le minist�re de la Sant� a ouvert la porte � des d�rives que les sp�cialistes avaient pourtant pr�dites. Dix ann�es plus tard, le constat est sans appel : certains m�decins du secteur public d�sertent leurs services, d�tournent et les malades et le mat�riel au profit des cliniques priv�es. Des chefs de service violent un d�cret pr�sidentiel leur interdisant d�exercer dans le priv�. Tout se fait au vu et au su de la tutelle qui laisse faire. Amar Tou a bien fini par r�agir par circulaire mais sans plus. Pourquoi ? Derri�re beaucoup de cliniques priv�es se cachent des personnes influentes ayant d�couvert le bon filon. Ces derni�res font tout pour que le statu quo reste de mise. Et pour cause ! Les cliniques priv�es font de gros profits en ne d�clarant pas le personnel issu du secteur public, en profitant de la mati�re grise et du mat�riel du secteur public qui est en plus pourvoyeur de �clients�. De grosses sommes d�argent �chappent totalement au contr�le des imp�ts. L�enjeu est � la taille des pressions qui s�exercent sur les responsables de la sant�. Son premier responsable, Amar Tou estime qu�il s�agit d�une question de morale. Faux ! r�torquent les concern�s qui affirment que la solution r�side dans l��laboration d�un statut qui r�ponde aux attentes des praticiens. En donnant aux m�decins du service public les moyens d�exercer, une r�mun�ration qu�ils m�ritent, l�activit� compl�mentaire cessera alors d��tre consid�r�e comme un compl�ment de salaire. Il s�agit ni plus ni moins d�une d�cision politique qui sauvera ce qui reste du secteur public. Nawal Im�s L'activit� compl�mentaire, qu'est-ce en th�orie ?... Instaur�e en 1998, dans une conjoncture particuli�re, l�activit� compl�mentaire concerne les m�decins g�n�ralistes et sp�cialistes exer�ant dans le secteur public. En th�orie, les dispositions de la loi autorisent les m�decins � exercer dans des structures priv�es deux demi-journ�es au maximum additionnellement aux jours de cong� l�gal. Ces apr�s-midi doivent �tre fix�es par le directeur de l��tablissement apr�s consultation du conseil scientifique. Pour pouvoir exercer, l�int�ress� doit recevoir l�aval du directeur de l��tablissement public de sant�, apr�s avis du chef de service et du conseil m�dical ou scientifique. Une copie de la d�cision d�autorisation est adress�e pour information au ministre de la Sant� et de la Population, � la Direction des services de sant�, aux DSP territorialement concern�s, au directeur de la caisse de S�curit� sociale concern�e, au doyen de la facult� de m�decine concern�e. Elle doit indiquer le ou les lieux d�exercice, et les demi-journ�es identifi�es de fa�on pr�cises ainsi que la nature de l�activit�. En 2002, un d�cret ex�cutif stipulait que �l'activit� compl�mentaire est incompatible avec la chefferie de service ou d'unit� �, c'est-�-dire qu'on ne permettait plus aux professeurs, chefs de service de le faire. Sous d�autres cieux, l�activit� compl�mentaire se fait au sein de l�h�pital et avec ses moyens et ce, sur la base de m�canismes appropri�s relatifs notamment � l�indexation du volume d�activit� compl�mentaire au volume de l�activit� normalement r�mun�r�e par l�h�pital. De ce fait, les cat�gories concern�es par cette activit� compl�mentaire ne peuvent pas exercer dans le priv�. Ils doivent faire un choix entre les deux secteurs. N. I. ...et en pratique ? � Plut�t que d�exercer deux demi-journ�es par semaine, des praticiens font le contraire et passent le plus clair de leur temps dans les structures priv�es. � Les praticiens ne s�embarrassent plus de l�autorisation de leur hi�rarchie pour exercer dans le priv�. � Des chefs de service violent l�interdiction d�exercer dans le priv�. � En plus de d�tourner les malades, certains m�decins d�tournent m�dicaments et mat�riel. � Les m�decins exer�ant l�activit� compl�mentaire continuent de toucher la prime d�int�ressement. � L�argent vers� aux praticiens qui font de l�activit� compl�mentaire �chappe aux imp�ts. � M�me les r�sidents ne r�sistent pas � l�appel du priv�. N. I. Les param�dicaux, en toute ill�galit� Encourag�s par le laxisme et le laisser-aller, les param�dicaux se sont engouffr�s sans difficult� dans le dispositif. Sollicit�s par les cliniques priv�es, les infirmiers ne se sont pas embarrass�s de la r�glementation pour y exercer alors qu�aucun texte ne les y autorise. Il faut dire que la situation arrange assez bien les deux parties : d�une part, les structures priv�es emploient du personnel sans avoir � le d�clarer, et d�autre part, les infirmiers arrondissent leurs fins de mois. Un arrangement qui se fait au d�triment des malades du secteur public. Des infirmiers avouent dormir pendant leurs gardes dans les h�pitaux pour pouvoir assurer dans les cliniques priv�es o� ils sont soumis � l�obligation de r�sultat. Interpell� � ce sujet, M. Gachi, secr�taire g�n�ral du Syndicat alg�rien des param�dicaux (SAP), reconna�t l�anarchie qui r�gne et l�impute aux pouvoirs publics. Il estime que si les param�dicaux avaient un meilleur statut et une r�mun�ration d�cente, ils n�auraient pas besoin d�avoir recours � cette pratique qu�il souhaite d�ailleurs voir r�gularis�e pour �viter les d�rives. M. Gachi va plus loin en demandant la l�galisation de l�infirmier lib�ral qui pourra prodiguer en toute l�galit� des soins au domicile du malade. N. I. Des m�decins "touristes" exercent en toute impunit� ! Dans cette anarchie quasiment institutionnalis�e, des m�decins �trangers �exercent� en toute impunit� dans certaines cliniques priv�es. Ces m�decins qui arrivent en g�n�ral durant leur week-end, op�rent et repartent aussit�t. Cette pratique ill�gale est en passe de se g�n�raliser, provoquant l�indignation du Conseil national de l�Ordre des m�decins. Son vice-pr�sident, M. Gaceb Mostefa, a d�nonc� cette pratique �frauduleuse et pr�judiciable au citoyen en cas d'erreur m�dicale�. Il a ajout� que �ces m�decins, pour la plupart des Fran�ais, touchent des sommes d'argent faramineuses et quittent les a�roports du pays en toute qui�tude sit�t l'acte m�dical accompli�. Ces m�decins, qui exercent sans �tre inscrits au niveau de l�Ordre, violent all�grement la r�glementation sans parler de l�argent qu�ils per�oivent et du fait qu�ils sont soustraits � tout contr�le. Une situation qui n��chappe pas au ministre de la Sant� qui, une fois de plus, r�agit par circulaire alors que les cliniques qui ont recours � ce genre de pratiques sont clairement identifi�es et que la loi est on ne peut plus claire ! N. I. La circulaire de Tou Il aura fallu � Amar Tou plusieurs ann�es pour enfin r�agir� par circulaire. Plut�t que de trouver une parade, le ministre de la Sant� pr�f�re rejeter tout le tort sur les praticiens et parle de �perversion �, d��effets pervers� et de �d�rives� en mati�re d�exercice de l�activit� compl�mentaire. S�adressant aux directeurs des h�pitaux et conscient des �silences complices �, voire des complaisances, Tou n�h�site cependant pas � demander � des chefs de service eux-m�mes en violation des textes en vigueur de veiller au strict respect de la r�glementation. Dans la missive envoy�e aux directeurs des structures de sant�, Tou �num�re les d�rives et rappelle ce qui est d�sormais du domaine public. �Certains sp�cialistes n�h�sitent pas � �vacuer d�lib�r�ment des malades qu�ils sont cens�s soigner dans le secteur public vers des structures priv�es, plus grave encore, ils vont jusqu�� les r��vacuer vers les structures publiques en cas de complications graves allant jusqu�au d�c�s. Comme certains praticiens du secteur public vont jusqu�� traiter ill�galement des malades qui leur sont orient�s par ces derni�res en leur fournissant des soins et des produits pharmaceutiques gratuitement�, �crit Tou. Mais, au-del� du constat, le ministre n�a pour l�heure pris aucune mesure. Interpell� � ce sujet, le ministre de la Sant� a avou� avoir eu �� un moment donn� l�intention de revenir sur le principe m�me de l�activit� compl�mentaire avant de se r�tracter. �En �tant l�galis�e, la pratique a �t� d�voy�e si elle �tait interdite, �a risque d��tre pire. Rien n�interdirait � ceux qui le veulent de continuer � le faire en toute clandestinit�, dit-il. Quelle solution alors ? La r�ponse du ministre est toute trouv�e : �C�est une question de morale !� qui doit �tre jumel�e avec un meilleur statut pour les praticiens de la sant� publique que Tou esp�re r�gler gr�ce au r�gime indemnitaire puisque le coche a �t� rat� avec le statut que les syndicats estiment �tre en de�� de leurs attentes. Ce qui, une fois de plus, cr�dite la th�se de la volont� politique qui reste elle-m�me otage de lobbies qui font pression pour que le statu quo reste de mise. N. I. CE QU'EN PENSE LE CONSEIL DE L'ORDRE "Il faut abroger le texte !" Outr� par la tournure prise par l�exercice de l�activit� compl�mentaire, le Dr Bekkat, pr�sident du Conseil de l'ordre des m�decins, ne m�che pas ses mots. Il consid�re que le texte sur la loi compl�mentaire a �t� vot� dans des conditions �particuli�res� qui ne sont plus en vigueur. �Aujourd�hui, le nombre de m�decins a doubl� et il est temps que �a change. Il faut revenir � un principe : il y a deux secteurs, le priv� qui doit exercer dans le strict respect des lois de la R�publique et le public qui doit assurer des fonctions multiples (enseignement, formation, pr�vention). Comment voulez-vous que dans les conditions actuelles, le secteur public puisse r�pondre � ces attentes ?� Pour le Dr Bekkat, �il est temps que les m�decins puissent choisir en toute libert� entre le secteur public ou priv� puisque les effets n�fastes de l�activit� compl�mentaire sur le secteur public ne sont plus � d�montrer. Comme partout ailleurs, c�est le secteur public qui doit �tre dominant�. Il ajoute qu��il n�est plus question de discuter. Il faut prendre un certain nombre de dispositions, penser par exemple � des conventions avec le priv� dans les wilayas o� il y a un manque de sp�cialistes par exemple�. Cat�gorique, le pr�sident du Conseil de l'ordre des m�decins consid�re que �l�Etat n�a pas �t� en mesure de contr�ler l�activit�. Nous ne pouvons pas accepter de proposer une solution lucrative � un malade � la recherche d�une solution �tatique. C�est l�affaire des syndicats que de n�gocier les salaires mais ce n�est pas une raison pour que des m�decins s�adonnent � un trafic de malades. Il faut du courage politique pour trouver une autre solution, la meilleure serait de l�abroger en donnant plus de moyens � ceux qui sont en charge de la sant� publique�. N. I. CE QU'EN PENSENT LES CONCERN�S "Il faut geler le texte et donner des moyens aux m�decins" Sans d�tours, le pr�sident du Syndicat national des praticiens sp�cialistes de la sant� publique (SNPSSP) dit �tre contre l�activit� compl�mentaire mais avec des �conditions pr�cises�. Le Dr Yousfi estime qu�il faut �imp�rativement � un statut digne du corps m�dical avant de penser � son gel, et rappelle les conditions qui ont men� � l�instauration de l�activit� compl�mentaire. �On avait dit en 1997, � l��poque de Yahia Guidoum, que la solution ne r�sidait pas dans l�instauration de l�activit� compl�mentaire. C�est tr�s grave de la consid�rer comme un compl�ment de salaire. Il fallait plut�t penser � un salaire digne pour les m�decins. On conna�t la r�alit� du terrain et en 1997, on avait dit que cette activit� allait d�truire le secteur public�. Pour le Dr Yousfi, c�est l�absence de gardes-fous qui est � l�origine de cette situation. �Ailleurs, cela se fait au niveau de l�h�pital et reste soumise au contr�le du conseil de l�Ordre et de l�administration et n�est permise qu�aux comp�tences reconnues. L�argent est vers� aux bureaux des entr�es et pas au praticien directement ; de ce fait, l�h�pital prend sa part, le m�decin et les imp�ts �galement. Chez nous, les gestionnaires qui ont essay� de mettre de l�ordre n�ont pas �t� soutenus par la tutelle�. Formel, le Dr Yousfi consid�re que la mise en place de l�activit� compl�mentaire s�est faite sans qu�aucune condition soit r�unie. �On n��tait pas pr�ts ; il aurait fallu certaines conditions. Il fallait agir rapidement en am�liorant le statut des m�decins. Faute de cela, il s�est pass� ce qu�on a pr�dit : les m�decins d�sertent les services ; c�est devenu de l�activit� compl�mentaire au niveau de l�h�pital et pas au niveau du priv�. Plus grave encore, poursuit le pr�sident du SNPSSP, le laisser-aller a pouss� m�me les personnes non autoris�es � exercer l�activit� compl�mentaire � le faire. �Aujourd�hui, des �quipes enti�res travaillent pour le compte des cliniques priv�es et per�oivent au m�me titre des m�decins qui ne le font pas la prime d�int�ressement�, affirme-t-il estimant que �derri�re cette situation, il y a de gros int�r�ts. Les cliniques priv�es font de gros b�n�fices, elles emploient du personnel sans le d�clarer, pratiquent des tarifs faramineux. Beaucoup sont dans l�informel.� La situation est-elle pour autant d�sesp�r�e ? Non, r�pond Dr Yousfi qui plaide pour un gel du texte, le temps d�assainir la situation. �Il est du devoir des pouvoirs publics de sauver le secteur public. A partir du moment o� le personnel de la sant� publique dispose d�un statut digne, l�activit� compl�mentaire ne sera plus n�cessaire�, conclut-il.