[email protected] Donald Trump a entrepris de relancer les pourparlers de paix au Moyen-Orient de façon peu ordinaire : il a dépêché à cet effet son jeune et novice gendre, Jared Kushner, pour rencontrer des monstres de la politique des deux camps rivaux, parmi les Israéliens et les Palestiniens. Ce faisant, il a perturbé un protocole installé de longue date qui valorise plutôt les «éléphants» et vieux routiers de la diplomatie. L'échec de Kushner, aussi embarrassant soit-il pour la Maison-Blanche, n'altère en rien l'intérêt de l'initiative américaine de ranimer une flamme de paix déjà réduite à une dimension plutôt rhétorique depuis un bon moment. Steven A. Cook, du journal américain Politico ne partage pas la démarche de Trump : «Il existe de nombreuses raisons de s'inquiéter de l'approche peu orthodoxe de cette démarche en matière de politique étrangère.»(*) A ses yeux, le nouveau locataire de la Maison-Blanche accumule déjà nombre de faits peu enviables, comme les allégations d'ingérence du Kremlin dans sa campagne, l'invitation «de l'homme fort philippin et du fier meurtrier Rodrigo Duterte», ou encore l'hostilité affichée aux alliés de l'Otan. Trump a également rallié, début juin, la décision de plusieurs pays arabes ou musulmans de sanctionner le Qatar, au nom d'un front déclaré anti-extrémiste et anti-iranien. Au-delà du «fiasco du Qatar, la vérité est que la politique de Trump au Moyen-Orient n'est pas, en tous points, mauvaise», tempère toutefois l'auteur de l'article. «En fait, à bien des égards, elle reflète une bonne compréhension de ce que les Etats-Unis peuvent entreprendre dans la région et, surtout, ce qu'ils ne peuvent pas réussir. L'effort récent de l'administration pour faire pression sur l'Iran et la Russie sur la Syrie, par exemple, semble refléter le retour d'une approche américaine plus traditionnelle au Moyen-Orient, et là nous pourrions être meilleurs.» Le discours de Trump devant les représentants de plus de 50 pays arabes et musulmans en Arabie Saoudite en mai est plein de bon sens et s'apparente à un appel à la modération dans la perception de «l'autre» dans un monde pluriel : «Nous ne sommes pas là pour faire des conférences, nous ne sommes pas là pour dire aux autres comment vivre, quoi faire, qui être ou comment adorer.» Aussi, comparativement à l'hégémonisme habituel de l'Empire, cette déclaration a été lue comme le retour à un plus grand respect de la volonté souveraine d'Etats habituellement aux ordres (Bush) ou commandés à distance (Obama). C'est, du moins, la lecture qu'en a fait «l'homme fort égyptien, Abdel Fattah al-Sissi qui a chaleureusement accueilli les propos du Président». L'espoir d'un désengagement américain, au sens d'une non-ingérence dans les affaires intérieures, a été variablement accueilli outre-Atlantique mais Steven A. Cook donne franchement raison à Donald Trump : «Ce serait merveilleux pour les peuples du Moyen-Orient que la démocratie gagne toute la région, mais l'expérience des 16 dernières années indique que les efforts des Etats-Unis pour promouvoir des sociétés plus ouvertes et justes n'ont pas fonctionné. L'administration Trump semble comprendre cela et a déplacé de manière pragmatique la politique américaine vers des objectifs réalisables comme renverser l'Etat islamique et contenir l'ambition de l'Iran d'étendre son influence dans la région.» Les Etats-Unis évoluent dans un espace où ils ambitionnent de conforter un processus historique, enclenché par les anciennes puissances coloniales, et destiné à asseoir l'influence égyptienne, dans le cadre d'une cohabitation avec Israël. Lorsqu'en juillet 1798, un contingent militaire français débarqua dans le port égyptien d'Alexandrie, sa mission était, certes, «de protéger le commerce français, d'élargir l'influence de la France en Méditerranée et d'affaiblir l'accès britannique au sous-continent indien». Au-delà des intérêts qui leur sont propres, «les missions de colonisation occidentales dans la région étaient souvent des missions «civilisatrices» (...) Les expéditions françaises et américaines à la fin du 18e et au milieu du 19e siècles ont été les précurseurs de l'assistance économique et militaire que les Etats-Unis ont accordée à l'Egypte depuis la fin des années 1970. La logique qui commandait cette aide, en dehors de l'achat de la paix entre l'Egypte et Israël, était simple: l'assistance économique aiderait à générer une croissance économique, ce qui donnerait au régime égyptien sa légitimité de leader, et rendrait moins probable une révolution ou une déstabilisation. L'aide militaire était destinée à faire en sorte que le corps d'officiers égyptiens puisse défendre le pays sans menacer Israël.» C'est en gros ce que dicte le «Freedom Agenda» annoncé par le Président George W. Bush en 2003 selon lequel les Etats-Unis devaient utiliser leur aide pour promouvoir le changement démocratique en Egypte et dans le reste de la région. Un agenda dont on constate aujourd'hui le fiasco : une inspection interne de l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) jugeait «imperceptible l'impact des programmes de démocratie et de gouvernance» de 2004 à 2008. Ces programmes étaient souvent récupérés par les dictateurs locaux comme vitrine de modernisme de façade destinée à la consommation externe. Les Américains admettent aujourd'hui leur manque d'imagination également plus tard, à l'heure des «printemps arabes» : «Tout effort américain pour forger des systèmes politiques plus démocratiques et ouverts dans la région devait échouer parce que la liesse étalée dans les célèbres places du Moyen-Orient masquait la réalité de sociétés profondément divisées. Les soulèvements n'ont pas produit de chef ou de groupe de dirigeants qui ont apporté des réponses satisfaisantes aux questions sur l'identité, la forme appropriée de gouvernance, la relation entre l'individu et l'Etat et le rôle de la religion dans la société. Dans les débats sur ces grandes idées, l'unité nationale a rapidement laissé place à des luttes existentielles sur le cœur et l'âme des pays arabes.» En clair, au mieux, un romantisme sans lendemain. Le pragmatisme et la défense exclusive des intérêts étroits des Etats-Unis supplantent le vernis idéologique d'avant : «Que ce soit par perspicacité ou par accident, Trump a signalé que lui et son administration comprennent les limites du pouvoir américain au Moyen-Orient et poursuivront une politique qui remonte à la base: assurer la libre circulation de l'énergie, aider à sécuriser Israël, s'assurer qu'aucun autre pays que les Etats-Unis ne domine le golfe Persique, lutter contre le terrorisme et la prolifération des armes nucléaires (...) Mettre l'accent sur les intérêts fondamentaux de Washington est le chemin le plus judicieux, et il n'y en a pas d'autre. Les projets d'ingénierie sociale du passé ont peu contribué à changer la direction de la politique dans la région, où l'autoritarisme reste la norme.» Trump procède par une sorte de «tâtonnement walrasien» (du nom d'une des figures de proue de l'école marginaliste) où le commissaire-priseur est en quête de la meilleure offre de prix. L'Amérique a cessé de rêver d'idéaux : «Le monde est rarement, sinon jamais, semblable à ce que les idéalistes veulent qu'il soit», conclut l'auteur du rapport. A. B. (*) Steven A. Cook, What Trump Gets Right About the Middle East, Politico, 5 juillet 2017, http://www.politico.com