A�rogare internationale d�Alger. Lundi. Ao�t, franchement moins caniculaire que ce que la terre Alg�rie a eu � subir par le pass�, s�est invit� depuis d�j� quatre jours. �Les voyageurs � destination de Moscou, embarquement imm�diat !�, fuse ce qui s�apparente � un ultime rappel aux retardataires. La voix, f�minine, est une intrusion furtive au milieu du brouhaha, seul, depuis un moment, � remplir les lieux. Deux petites fillettes, accoutr�es dans la pure et stricte tradition kabyle, robes et fodhas, jouent � slalomer entre les gens, indiff�rentes aux regards, sourdes aux mises en garde d�un p�re qui fait cliqueter nerveusement un trousseau de clefs. Le p�re fait partie de la brochette de masculins qui a adopt� la position verticale, en face du large tableau �lectronique d�affichage sur lequel d�filent les horaires d�arriv�es des vols, les halls de sortie des voyageurs mais aussi les retards. Il attend, lui, un fr�re qui arrive d�Allemagne et qui a normalement embarqu� depuis presque une heure de l�a�roport international de Frankfort sur le vol LH 4122 de la Lufthansa. �L�avion a d�coll� � l�heure, fort heureusement. J�aurais gravement stress� si on m�avait annonc� un retard. Comprenez ! Hormis cet air conditionn� qui vous tient au frais, le reste est d�sesp�r�ment aga�ant et avec mes deux h�riti�res��, s�empresse- t-il de dire de sa voix grave qu�il hausse sans transition pour h�ler ses deux petites filles qui ne sont pas encore lass�es de leur jeu. Tout pr�s de nous, Rabah s�ajuste une grosse prise de chique sous la l�vre sup�rieure, flashe une fois de plus le tableau �lectronique d�affichage et grommelle quelque chose d�� peine audible, l�air de quelqu�un qui se retient difficilement de vomir une col�re. Il n�a pas eu besoin, d�ailleurs, qu�on le sollicite express�ment pour qu�il se lib�re de l�ire qui l��touffe. Il l�che du haut d�bit d�s qu�il saisit, au regard, notre besoin d�en savoir. �Encore un retard. C�est toujours pareil pour ces vols de la compagnie Air Alg�rie en provenance de Marseille. Hier, j�ai d�, pour cause de retard, poireauter jusqu�� 22 heures pass�es pour quitter les lieux�, vocif�r�- t-il. Rabah est chauffeur de taxi. Il est le chauffeur attitr� d�une famille �tablie dans la cit� phoc�enne. Dimanche, il �tait l� pour accueillir et transporter Sa�d qui rejoint ses parents rentr�s, eux, quinze jours auparavant. Lundi, c�est Kamel, beau-fr�re de Sa�d, que notre chauffeur de taxi est venu attendre. Kamel devra embarquer avec son �pouse et leur petit gar�on. �J�esp�re seulement que le retard ne sera pas aussi long qu�hier�, prie Rabah qui voudra repartir � Bouira avant que le soleil ne se couche. Son propos �pilogu� par cette pri�re, notre chauffeur de taxi tra�ne sa maigre carapace et prend place sur un si�ge dans cette rang�e faisant face � la caf�t�ria. Une caf�t�ria o� deux jeunes filles viennent de prendre place � une table qu�un forcen� de la cigarette, la cinquantaine environ, venait juste de quitter. Le serveur, qui pointe avec c�l�rit�, sourire aux l�vres, happe le cendrier plein de m�gots et, aimable, prend la commande. Ce sera deux rafra�chissants pour nos deux jolies demoiselles : deux limonades. Le reste des tables est presque d�garni. Tout comme le comptoir. Peu, tr�s peu de consommateurs parmi ces gens, client�le potentielle mais qui juge les prix pratiqu�s excessivement �lev�s et donc ne s�attable pas. Des mains qui poussent et des yeux qui cherchent Une foule compacte agglutin�e aux barri�res d�limitant un couloir de sortie pour passagers plante ce qui nous est permis d�observer comme d�cor de ces arriv�es. Elle doit �prouver quelques amusements � guetter ainsi, des longs moments durant, les t�tes et corpulences qui franchissent la sortie. �Non, ce n�est encore pas lui, �a sera certainement le prochain�, doit se dire chacune des personnes � chaque fois qu�une silhouette pointe � la sortie et s�av�re n��tre pas le parent ou l�ami attendu. En effet, le hall de sortie d�verse des �revenus au bled� par petites grappes et dans un mouvement saccad�. Parfois, il s��coule un long moment entre la ou les derni�res personnes sorties avant que n�apparaissent la ou les prochaines. C�est toujours le chariot estampill� Mobilis et charg� de bagages qui pointe le premier de la roue. C�est logique. La personne qui le pousse marche d�un pas lent et a les yeux riv�s sur la foule. Le sourire esquiss� renseigne vite que la t�te famili�re parmi la foule est rep�r�e. Yacine, fr�le silhouette, teint basan�, pousse un chariot sur lequel sont pos�s une valise et un petit sac. Il a la trentaine et il arrive de Rome, la cit� �ternelle. Il a voyag� avec Alitalia, sur le vol AZ 800. Il ne dit pas ce qu�il fait exactement � Rome mais qu�il travaille et s�y �tre install� depuis 7 ans. C��tait avant que les pirogues de chez nous ne soient autant pris�es par les �harraga. Il est alg�rois et revient passer des vacances parmi sa famille et ses copains. Une vingtaine de jours seulement. �Je viens chaque �t�, � la m�me p�riode. L�bled, �a me manque mais l�khobza est ailleurs�, dit-il dans un arabe que les sept ann�es de vie romaine n�ont en rien alt�r�. Il atteste qu�il a plut�t bien voyag�, sans tracas singuliers. Il regrette juste que les compagnies a�riennes internationales soient devenues avares et ne servent qu�une maigre pitance � bord. Il estime, en revanche, que les conditions de d�barquement � l�a�rogare d�Alger sont nettement meilleures que celles d�avant, lorsqu�il fallait faire des heures de queue avant de franchir le poste de la PAF. �C�est mieux qu�avant��, laisse-t-il tomber, avant de r�imprimer un mouvement cin�tique � son chariot et piquer droit vers l�ext�rieur. Kamel, que Rabah le chauffeur de taxi attendait, arrive, en compagnie de son �pouse et de leur unique enfant, � 17 heures moins le quart. Il aurait d� �tre l� aux environs de 16 heures. Le jeune couple est tout content d��tre l�. Les retards, �a lui conna�t. �a peut passer quand ce n�est pas excessivement long. Kamel est en France depuis six ans. Il s�est install� gr�ce au mariage. Sa femme dispose de la nationalit� fran�aise. Il a chang� de pays mais pas de m�tier. Il �tait ma�on, ici, en Alg�rie. Il travaille dans le b�timent � Marseille. C�est la seconde fois qu�il revient passer des vacances � Bouira depuis qu�il s�est install� en France. Kamel ne sait pas que Djamel Ould Abbes est ministre charg� de la Communaut� alg�rienne �tablie � l��tranger. Il ignore aussi qu�un programme sp�cial accueil des �migr�s qui choisissent le pays comme destination de vacances est mis en place. Peut-�tre que cette jolie rousse �lanc�e est plus branch�e actualit� du bled. Elle a voyag�, elle aussi, sur ce vol AH 1023 d�Air Alg�rie en provenance de Marseille. �Excusez-moi, je suis press�e�, nous sert-elle quasi s�chement, reprenant sa d�marche alti�re vers la sortie. Autre �poque, autres m�urs ! Elle est loin derri�re l��poque o� nos �migr�s de vieille g�n�ration qui, affables, �changeaient volontiers un brin de causette. Elle est bien r�volue l��poque des grands sacs Tati tra�n�s comme des baluchons. Repartir, c�est toujours mourir un peu Pendant que des vols en provenance de Marseille, Toulouse, Frankfort, Gen�ve, Rome, Barcelone, Tunis et d�autres villes d�versent des flots d��migr�s de retour au pays pour des vacances, d�autres vols en partance d�Alger attendent d�embarquer ceux qui doivent repartir. Au hall d�embarquement, ils ne sont cependant pas des milliers � postuler au voyage de retour. Ahmed doit embarquer vers Charles-de- Gaulle. Il voudrait bien prolonger son s�jour mais il est bien oblig� de repartir. Il doit reprendre le travail dans deux jours. Il travaille dans les assurances, un boulot qu�il a d�croch� apr�s avoir trim� � faire les petits boulots. Son dipl�me d�ing�nieur en statistiques obtenu au d�but des ann�es 90 � Alger lui a servi pour acc�der � cet emploi. Il a pass� ses vacances entre Alger, o� r�side sa famille, et Tipasa, o� une bande de copains a lou� un bungalow. En tout, il est rest� 25 jours. Il a profit� pour revoir les copains et bronzer. C�est pratiquement le m�me rituel chaque �t� : famille, plage et veill�es entre copains. �Je passe mes vacances ici en Alg�rie. �a me permet de me ressourcer. Il y a des ambiances qui forcent votre nostalgie�. Ahmed n�est pas de ceux qui d�gainent la complainte ais�ment. Mais lorsqu�il devait parler des conditions du retour, il ne met pas de b�mol. �Il reste toujours que pour se rendre � l�a�roport, il faut s�y prendre suffisamment � l�avance. Si vous n�avez pas un parent qui vous y d�pose, vous devez trimer pour trouver un taxi et lorsque vous le d�nichez, il vous faudra payer le prix fort, environ 1000 dinars depuis Alger-Centre. C�est excessivement on�reux�, dit-il, ajoutant : �Vous savez, j�ai d� patienter pendant 20 minutes dans la file d�automobilistes avant de franchir le poste de police dress� avant l�acc�s au parking de l�a�rodrome. Imaginez ceux qui n�ont pas le privil�ge de la climatisation et qui doivent frire sous le soleil ou ceux qui viennent de loin et qui doivent vivre mille embouteillages avant d�arriver.� Il est vrai que, avant de parvenir � l�enceinte a�roportuaire, il vous faut subir un bouchon � vous faire rater votre avion. Ce lundi, le soleil l�che des rayons � vous transpercer le cr�ne. Vous n��tes soulag� qu�une fois dans le grand hall. Mais pour cela, il faudra cheminer le long du pr�au qui vous m�ne du parking aux portes d�acc�s. L�, une cha�ne, pas forc�ment la derni�re, � faire pour devoir enfin humer l�air frais. Apr�s fouille, paperasse, enregistrement avant de glisser dans le ventre de l�avion qui vous transporte loin d�Alger o� vous avez abondamment transpir� quelques heures auparavant.