Tout promeneur qui se trouverait, au hasard de ses p�r�grinations, au c�ur d�Ech-Chatt (partie haute de la souika, pr�s de la falaise de Constantine), est interloqu� par la pr�sence � toute heure de la journ�e, en ce mois de Ramadan, d�une foule compacte essayant de se frayer un chemin devant une �choppe vieillotte. L'�choppe en question, d'o� �manent continuellement de fines et denses particules qui enveloppent parfois le voisinage imm�diat d�une pellicule de poussi�re brun�tre, ne serait rien d�autre, aux dires de son propri�taire, que le dernier moulin traditionnel encore en activit� en Alg�rie. Il s�agit, en tout cas, du plus vieux moulin de Constantine, voisin du tr�s historique institut Ben Badis et de nombreux sites ant�rieurs au XVIe si�cle, comme la grande mosqu�e de Constantine, construite en 1136 � l'�poque des Almoravides, la mosqu�e Sidi Bouanaba, Ezzela�ka (la rue glissante), et Dar Edebbagh (la maison du tanneur). Ce vieux moulin perp�tue la m�me activit� depuis pr�s d'un si�cle et conna�t toujours une affluence intense, illustrant l'attachement l�gendaire des Constantinois aux traditions s�culaires de leur ville. C�est surtout la veille du mois sacr� de ramadan que ce moulin devient une destination incontournable pour bon nombre de familles constantinoises qui y affluent en masse pour y faire concasser le bl� vert destin� � la �sacro-sainte chorba� du f'tour. Le concassage du frik se fait, certes, dans de nombreuses autres �choppes � travers la ville, mais pour les familles bien impr�gn�es des traditions constantinoises, le passage par le vieux moulin d�Ech-Chatt s'impose comme un vrai rituel. �Si l�on n�y sacrifie pas, au moins une fois l�an, quelque chose d'essentiel fera d�faut dans les pr�paratifs du Ramadan�, affirme Houria B., une m�re de famille venue moudre son bl�. L'affluence record enregistr�e par le moulin la veille du ramadan, ainsi que durant les premi�res journ�es du mois sacr�, cr�ent toujours une �belle pagaille�. La multitude de sacs ramen�s par des clients, entass�s les uns sur les autres et qu'il faut rechercher comme une aiguille dans une botte de foin (et que l�on perd parfois) ne d�courage pas les �fid�les� des lieux qui continuent � le pr�f�rer � tout autre appareil. Il faut dire qu'avec pr�s d'un si�cle de service et d'activit� continue, ce moulin a eu largement le temps de creuser son sillon et se faire une place bien m�rit�e dans la m�moire collective de la ville. C'est en effet depuis 1910 que la famille Balhi perp�tue sur quatre g�n�rations le m�tier de meunier et s'adapte aux changements induits par le temps et la technologie. Install� au rez-de-chauss�e d'une vieille b�tisse toute en vo�tes datant du XVIe si�cle, le moulin d�Ech-Chatt a cette particularit� d'avoir su faire cohabiter en bonne intelligence les �poques et s'adapter � leurs besoins sans en effacer aucune. A c�t� du moulin central qui tr�ne toujours au milieu du local et qui continue, affirme-t-on, d'�tre sollicit� par les fellahs pour moudre leurs r�coltes, une multitude de petits moulins �lectriques sp�cialis�s a �t� install�e pour r�pondre aux besoins nouveaux de la client�le et sauver de la disparition une panoplie d'�pices et de plats traditionnels. On y moud en effet, outre le bl� vert de la chorba, la farine de la b�sissa, et surtout toutes sortes d'�pices et de fruits secs utilis�s en grande quantit� dans la p�tisserie traditionnelle comme les cacahu�tes, les amandes, les noix, les noisettes et autres ol�agineux. Aujourd'hui, certains membres de la famille Balhi, qui tient cette affaire familiale, sont des universitaires dipl�m�s dans des branches scientifiques ou techniques, mais ils ne rechignent pas � se couvrir de poussi�re de farine pour donner un coup de main ou se consacrer carr�ment � l'affaire familiale � laquelle ils vouent un attachement ind�fectible. En plus de moudre toutes sortes de grains et d'�pices, y compris les petites quantit�s ramen�s par des clients qui n'ont pas les moyens de les moudre chez eux, les propri�taires du moulin d�Ech-Chatt sont fiers de contribuer � la sauvegarde de certains plats traditionnels en voie de disparition comme le couscous de bl� ferment� ( mzietou mechroub). �Je mets un point d'honneur � parcourir les campagnes pour passer des commandes de bl� ferment� aupr�s des fellahs et les encourager, ce faisant, � perp�tuer un m�tier en voie d'extinction�, explique l'a�n� des fr�res Balhi, rencontr� sur place. Les efforts et la t�nacit� de cette famille ont �t� r�compens�s d'une certaine mani�re, puisque le vieux moulin d�Ech-Chatt vient d'�tre class� patrimoine national.