La fi�vre est retomb�e aussi vite qu'elle �tait mont�e. Il n'y aura pas de guerre ouverte, au sein de l'Islam, entre chiites et sunnites. Ainsi en ont d�cid� les chauffeurs de bendirs, les vat- en guerre djihadistes qui r�gissent le monde musulman. En quelques jours, on est pass� de la veill�e d'armes � l'armistice : les haches de guerre on �t� enterr�es, les �p�es remises au fourreau et les ennemis r�concili�s. La photo a fait le tour du monde, un dignitaire chiite embrassant le front de Karadhaoui en signe de respect, voire d'all�geance spirituelle. Et nous qui esp�rions une bonne petite guerre avec les chiites et leur suzerain iranien pour changer un peu. Une vraie guerre classique pour nous changer de nos escarmouches du Ramadan, de nos massacres collectifs et fraternels, de nos inondations qui ne doivent rien � personne. Une guerre avec l'utilisation d'armes de destruction dite massive mais beaucoup moins meurtri�res et moins traumatisantes que notre �tat de ni guerre ni paix. Un vrai conflit arm� avec de vrais ennemis, enfin, pour nous d�barrasser peut-�tre des �mules de Ca�n. Encore une occasion perdue sur la voie des r�conciliations, des concordes nationales triomphant aux fronti�res virtuelles du chiisme et du sunnisme. Encore une belle le�on d'histoire valorisante qui n'aura pas les honneurs de nos manuels scolaires (1). Le karadhaouisme et le chiisme se sont r�concili�s de fa�on spectaculaire et tapageuse afin que nul n'en ignore, que personne ne dise qu'il ne savait pas. A partir du baiser fraternel re�u, en notre lieu et place, par notre repr�sentant l�gitime sur son auguste front, et de la bouche du non moins l�gitime d�l�gu� du chiisme, plus de violence verbale ou physique. Les seuls massacres autoris�s pourront se poursuivre uniquement sur les territoires d�limit�s � cet effet, comme par exemple en Alg�rie, au Darfour et en Somalie. On pourra �ventuellement s'entre-�gorger au Liban mais dans les limites permises par le Hezbollah, redevenu fr�re lib�rateur, au nom de la grande amiti� syroiranienne. Gr�ce � ce baiser, qui a �clips� la bise d'adieu de Madonna et de Guy Ritchie, nous voil� redevenus fr�res et amis, selon notre sainte nomenclature. On pourra, � nouveau, enseigner dans nos �coles les bienfaits de l'arme nucl�aire iranienne, d�sormais point�e dans la seule direction acceptable. Au fait, bombarderons-nous, � partir de T�h�ran, Tel-Aviv ou J�rusalem, sachant que le gouvernement isra�lien si�ge dans la ville sainte ? Dans la seconde �ventualit�, qui se chargera de la fetwa autorisant la destruction de la Mosqu�e d'Omar, vu le manque de pr�cision de certaines armes mani�es par des d�butants ? Qui nous dit que Gaza et la Cisjordanie ne seront pas touch�es par le champignon iranien, d�di� � la cause arabe ? Qui peut nous assurer, enfin, que l'Iran s'arr�tera � la liquidation d'Isra�l et de la Palestine en dommage collat�ral ? Tr�ve de questions, inspir�es par un scepticisme de tendance sioniste et d�faitiste ! Comment donc en est-on arriv� � cette �Paix des braves�, concluant le roulement assourdissant des tambours de guerre ? Cela s'est pass� le plus simplement du monde, moyennant des concessions et des regrets mutuels, � d�faut d'�tre �ternels. C�t� chiite, iranien donc, ils ont d�cid� de frapper un grand coup. Outre le baiser de contrition, offert au �pape� du salafisme sunnite, un journaliste a �t� immol�. Il travaillait dans une agence de presse iranienne locale et, emport� par son z�le � d�fendre la vraie foi, il a un petit peu trop forc� le caract�re en parlant de Karadhaoui. Heureusement que les n�tres n'ont pas d�cid� de faire un sacrifice �quivalent et de d�nicher, dans la profession, un profil idoine � offrir au camp d'en face. On a, toutefois, admis, du c�t� de notre d�l�gation que le chef de notre sainte chapelle, Karadhaoui en l'occurrence, avait un peu exag�r� le danger chiite en Egypte et au Maghreb. Il y a des chiites partout, m�me au Maroc et en Alg�rie (2), a-t-on admis de part et d'autre, mais ils ne sont pas aussi nombreux ni aussi importants qu'annonc� pr�c�demment. On a aussi reconnu, c�t� sunnite, que le pros�lytisme � l'int�rieur de l'Islam �tait plus tol�rable que celui pratiqu� par les nouveaux ap�tres de l'Evangile. On pourrait en d�duire qu'une fois cette page de pol�mique tourn�e, chacun dans la famille sunnite devra, � l'avenir, se consacrer au combat combin� contre la m�cr�ance des fr�res et la dangereuse s�duction des pasteurs �trangers. Mais, il y a apparemment des couacs dans le discours sunnite que tiennent les tenants du nouveau mal�kisme, tel qu'il se d�cline chez nous. A en croire les propos tr�s r�cents de notre in�narrable ministre des Affaires religieuses, Bouabdallah Ghlamallah (Ghollamallah en arabe), il y a encore plus dangereux que le chiisme, et c'est le salafisme. C'est du moins ce qu'on peut retenir des d�clarations de Ghlamallah au journal Libert�, francophone mais plus que jamais �ligible � l'�talage du kiosque arabe. Le ministre place, en effet, les �vang�listes et les salafistes sur un pied d'�galit�. Les fondamentalistes veulent avoir un pied dans l'Etat, dit-il. Ce en quoi il se trompe, parce que les fondamentalistes sont d�j� dans l'Etat et � son plus haut sommet. Dans les mosqu�es aussi, ils sont tr�s pr�sents, surtout durant le dernier Ramadan o� les imams ont fait des pieds-de-nez (pour ne pas dire autre chose) quotidiens au dialogue des religions. M. Ghlamallah est, cependant, plus proche de la v�rit� lorsqu'il affirme que le salafisme s'est constitu� �� travers les m�dias et par le biais de ceux qui leur facilitent les proc�dures de visas et de bourses�. Ce qui nous renvoie aux centres de d�cision point�s plus haut et qui sont habilit�s � envoyer des �tudiants en th�ologie aux bons endroits. Il nous reste � savoir, au demeurant, comment r�agira Karadhaoui aux propos anti-salafistes �manant du ministre d'un pays (beau) fr�re. J'ai admir� au passage la capacit� de M. Ghlamallah � �luder les questions un peu g�nantes et � pratiquer la fuite en avant. Interrog� sur l'affaire des �mangeurs du Ramadan� de Biskra, qu'il appelle par euph�misme des �non-je�neurs �, il r�pond qu'ils ont port� atteinte � la soci�t�. Et il ass�ne sa botte secr�te : �S'ils changent de religion, ils sont libres de le faire.� En somme, c'est moins grave de changer de religion que de manger durant la journ�e du Ramadan. Quand on vous dit que la crise du monde musulman est avant tout une crise alimentaire. Mieux encore : si le procureur de Biskra lui avait demand� son avis, il lui aurait dit de laisser l'affaire entre les inculp�s et Dieu. De ce point de vue, l'Etat que repr�sentent le procureur et M. Ghlamallah s'est permis de s'immiscer dans la relation qui lie les personnes � Dieu. Qui jugera l'Etat et ses dirigeants ? C'est une affaire �entre eux et Dieu�, comme le dit si bien notre ministre des Affaires religieuses. Car demander, aujourd'hui, r�paration � l'Etat et � ses repr�sentants, c'est engager un pari aventureux, voire insens�. A. H. (1) A propos de p�dagogie, j"apprends que notre amie Nora Aceval, auteure alg�rienne de contes populaires du terroir, re�oit ce mercredi � Paris le Prix Saint Exup�ry 2008 pour un de ses albums Le Prince Tisserand . Karadhaoui devrait lire Nora Aceval, et s'essayer � Saint Exup�ry. (2) J'ai appris avec une agr�able surprise que nous avions quelques chiites dans mon village. Ce qui va nous changer du paysage monotone que traversent des gandouras blanches et des barbes hirsutes. Ces quelques arbrisseaux chiites ne doivent pas, en effet, cacher la for�t salafiste gard�e par un imam appoint� par les services de M. Ghlamallah.