L'Irak développe les symptômes d'une guerre civile avec le sentiment croissant de victimisation des communautés, le cycle infernal d'attaques et de représailles, et le processus de ghettoïsation des quartiers, estime un analyste de renom. “Les événements de ces derniers jours son alarmants. Pour moi, il s'agit d'un conflit confessionnel de basse intensité ou une guerre civile de faible ampleur, mais cela peut vraiment aller plus mal”, estime le directeur pour le Moyen-Orient de l'International Crisis Group, Joost Hiltermann. La violence confessionnelle a atteint dimanche un niveau sans précédent à Bagdad avec le massacre de sang froid de 42 personnes dans un quartier largement sunnite par des hommes habillés en civil et cagoulés, aussitôt suivi d'un double attentat contre un lieu de culte chiite qui a fait 19 morts et 59 blessés. Le carnage s'est poursuivi encore hier : 10 personnes ont été tuées dans un triple attentat dans le grand quartier chiite de Sadr City à Bagdad puis immédiatement après une bombe a explosé dans un marché de la rue Kifah dans le quartier sunnite de Cheikh Omar, blessant 14 personnes. Chaque communauté affirme être martyrisée par ses adversaires comme dans toutes les guerres civiles. Un député chiite, Hamid Rachid Moala, cité dans un communiqué du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII) a qualifié les attentats contre les lieux de culte de sa communauté de “pires crimes” et accusé les saddamistes et takfiris (extrémistes sunnites) de vouloir plonger le “pays dans la guerre civile”. Dans le camp sunnite, on se pose aussi en victime. Le Front national de la concorde cite dans un communiqué : “Les sunnites chassés de la ville méridionale à majorité chiite de Bassorah et les enseignants sunnites sont systématiquement pris pour cible.” “Certains veulent engager le pays dans la guerre civile mais si elle éclate elle brûlera tous ses habitants”, a affirmé Adnane al Doulaïmi, chef du Front de la concorde alors qu'Iyad al Samarraï, vice-président du Parti Islamique et membre du front, a fait état d'un “complot visant à la partition de l'Irak qui passe par une guerre civile”. Cependant, pour Nabil Mohammed Younès, professeur de relations internationales de l'université de Bagdad, “ce n'est pas une guerre civile mais une guerre des milices”. “Ce sont les milices qui se battent entre elles et pour le moment un simple citoyen ne tue pas son voisin, et je pense qu'il sera difficile de l'y résoudre même si les milices font tout pour le pousser dans cette voie”, a-t-il ajouté. Cependant les forums de discussion commencent à donner des conseils pour échapper à ses adversaires. Le site “Ligue irakienne”, populaire parmi les sunnites, donne 12 conseils pour se faire passer pour un chiite. “Essayez de vous procurez une fausse carte d'identité avec un autre patronyme, spécialement si votre prénom est Omar ou Othman, si votre nom est Doulaïmi ou Janabi et si vous êtes nés dans une région sunnite”, conseille le site. Il propose également d'apprendre par cœur le nom des 12 imams auxquels sont attachés les chiites, de mettre chez soi une photo de Hussein, un imam martyr révéré par cette communauté et de choisir un chant chiite comme sonnerie du portable. Le site assure qu'il est possible de mentir pour les musulmans si leur vie est en danger. “Le conflit confessionnel n'a pas atteint le degré de violence qu'a connu le Liban, des villes ont été entièrement détruites et l'armée s'est fracturée. Nous n'avons pas encore vu des corps d'armée se battre entre eux mais il est difficile d'être optimiste”, souligne M. Hiltermann. Au début de la guerre civile (1975-1990), l'armée libanaise s'était scindée en unités musulmanes et chrétiennes rendant l'Etat impuissant. Pour le moment, ce n'est pas le cas en Irak, même si les sunnites reprochent à la police d'être infiltrée par les milices chiites. R. I.