Une pluie fine tombe sur les terres verdoyantes de la Mitidja. Il fait un froid glacial en cette fin de mois de novembre. A Kol�a, sur la route de Boufarik, sur une plaine � perte de vue, deux vieux containers rong�s par la rouille, des petits baraquements construits en t�les de zinc et une tente de fortune y sont �rig�s. Des enfants, les joues rougies par le froid, les mains violac�es, cherchent un abri pour se r�chauffer. C�est autour d�une tabouna allum�e qu�ils r�chauffent leurs fr�les membres. C�est ici que la famille Benfodil, compos�e de 48 personnes, a �lu domicile le 27 octobre 2008 depuis qu�elle a �t� somm�e de quitter sa maison situ�e � proximit� des lieux. Une d�cision de justice �manant du tribunal de Blida les condamne � l�expulsion. C�est donc par la force publique que p�re, m�re et enfants, de tous �ges, dont une handicap�e de 20 ans clou�e sur un fauteuil roulant, ont vid� la b�tisse o� ils sont n�s et ont v�cu depuis les ann�es 1970. Se faire chasser de chez eux comme des voleurs ne s�est pas produit sans incidences. Les enfants d�Ahmed, le p�re, tous des hommes aujourd�hui, humili�s, touch�s dans leur amour-propre, consid�rent cette d�cision comme une injustice. Ils on manifest� de la r�sistance. R�sultat des courses : trois d�entre eux ont �cop� de 15 jours d�emprisonnement et condamn�s � un an de prison avec sursis. De plus, ils ont perdu leur emploi. Ahmed Benfodil, patriarche, un septuag�naire, r�volt� par tant d�injustice, regarde sa maison, d�sabus�. Cette maison qu�il a construite de ses mains, depuis 1969, ne lui appartient plus. �Je vis ici depuis 1963, je ne sais rien faire d�autre que travailler la terre. A cette m�me �poque, je cultivais la terre de l�ancien propri�taire, qui m�h�bergeait dans une maison compos�e de deux �curies et d�une cuisine. En 1969, il d�cide de me vendre une partie de ses terres, soit 670 m2.� La famille s�agrandit, les �curies deviennent trop exigu�s pour contenir toute la famille. Le p�re entreprend alors de b�tir sa propre maison sur 300 m2. Fellah de son �tat, il construira sa demeure pierre par pierre, en fonction des maigres revenus que lui procurait le travail de la terre. En 1980, il ach�ve les travaux, aid� de ses enfants, puis s�y installera. La modeste famille Benfodil coulera des jours heureux jusqu�en 2004 o� un grand industriel de la r�gion ach�te, � son tour, une grande parcelle de terre (14 ha) pour construire son usine. Pour le malheur des Benfodil, le projet s'�tendra sur le terrain qui leur appartient, soit les 670 m2. Il fallait donc d�loger la famille qui �g�nait� la r�alisation de ce projet. Sur le plan juridique, la faille �tait toute trouv�e. Benfodil Ahmed a acquis un terrain avec pour seul document de propri�t� un papier timbr�, enregistr� au service des Domaines de Cherchell. Une pratique courante, faut-il le pr�ciser, � cette �poque. �Mon p�re, illettr�, s�est content� de ce papier, croyant dur comme fer que c��tait cela l�acte de propri�t�. Une action en justice a �t� intent�e contre nous, par cet industriel, d�abord au tribunal de Kol�a, o� nous obtenions gain de cause le 5 novembre 2006 sur les 670 m2, la justice nous ayant permis de garder les 300 m2 sur lesquels est �rig�e notre b�tisse. Nous avons perdu 370 m2, mais nous �tions quand m�me heureux et soulag�s de garder notre maison. C��tait pour nous le plus important, m�me si nous consid�rons que nous avons �t� l�s�s. Mais, non satisfait du jugement, le nouveau propri�taire fait appel. L�affaire est jug�e au tribunal de Blida qui, cette fois, nous condamne le 14 avril 2007 � l�expulsion, c�est-�-dire pas de terre et plus de maison. La rue.� R�volt�, le fils a�n�, assis sur un tabouret enfonc� dans la gadoue, arbore des documents. �Tous ces papiers prouvent que nous habitons ici depuis 1963 et que ce lopin de terre nous appartient. Moi, je suis n� dans cette maison, j�ai 44 ans. Nous n�avons pourtant jamais rien demand� � l�Etat, cette petite maison nous l�avons construite nous-m�mes, nous n�avons jamais pens� � faire des demandes de logement, nous nous sommes content�s de la n�tre, sans emb�ter personne et c�est ainsi que l�Etat nous r�compense, en nous mettant dehors. C�est de la hogra.� Ils continuent de se battre pour recouvrer leurs droits en faisant appel au niveau du tribunal d�Alger. Les femmes, quant � elles, n�ont que leurs larmes pour exprimer leur d�tresse. Elles pleurent parce qu�elles ont tout perdu et vivent dans la rue. Elles qui �taient �� l�abri� et que personne ne voyait. �Une maison, c�est une sotra aujourd�hui. Malgr� nous, tout le monde nous regarde, on lave notre linge dehors, on cuisine dehors, nos meubles sont �parpill�s. Regardez notre maison, ils l�ont saccag�e, nous n�avons plus rien. Des couvertures, quelques ustensiles de cuisine, mais cela ne nous sert � rien. Le froid nous paralyse et la pluie a d�t�rior� les quelques effets que nous avons pu sauver. Nous ne tiendrons jamais l�hiver dans de telles conditions�, nous dira l��pouse d�Ahmed, en sanglots. Et comme un malheur ne vient jamais seul, les Benfodil ont �t� somm�s, par le propri�taire, d��vacuer les containers qu�ils ont install�s sur ses terres. �Il faut dire que depuis notre expulsion, le propri�taire a bien voulu nous d�panner, en nous autorisant � poser les containers sur son terrain. Aujourd�hui, il veut vendre ses terres, et �a le d�range que les acheteurs voient cela, c�est l�gitime.� Cela fait plus d�un mois que les Benfodil vivent � m�me la fange sans qu�aucune autorit� locale s�enquit de leur situation. �Ni le wali ni le maire ne sont venus nous voir pour nous proposer une solution provisoire, au moins pour cet hiver. Nous sommes all�s voir le chef de da�ra, il nous a re�us et nous a demand� de formuler des demandes de logement. Nous l�avons fait, nous attendons. Nous sommes isol�s du monde. Quand il pleut sans discontinuer, les enfants, encore traumatis�s, ne vont pas � l��cole�. D�ailleurs, tous se terrent dans ces abris de fortune, la boue obstruant carr�ment l�acc�s. �Nous sommes oubli�s, tels des ren�gats. La seule personne qui nous a soutenus, depuis notre expulsion, c�est M. Khendek, d�put� RCD de Tipasa. D�ailleurs, c�est gr�ce � lui que l'�ch�ance de l�expulsion a �t� retard�e. Il vient nous voir presque tous les jours, il s�inqui�te pour nous. Il nous a apport� deux tentes. Nous tenons le coup gr�ce � lui. Son aide est tr�s pr�cieuse. Sinon, pour toutes les autorit�s locales, nous n�existons pas, jusqu�au jour, peut-�tre, o� un drame surviendra. La pluie, le froid, risquent de provoquer de graves d�g�ts. C�est de cela dont on a peur.�