Abdelkrim Bendine est l'un des dessinateurs de presse qui se battent pour que ce genre journalistique continue � exister. Il a m�me fond� un journal de bandes dessin�es � l'eau de rose, Love Mag, pour trancher avec l'ambiance tr�s �s�rieuse� de l'ensemble des journaux. Dans cet entretien, il parle sans ambages de son parcours et de ses projets. Le Soir d'Alg�rie : Parlez-nous de votre parcours� Abdelkrim Bendine : Je suis dessinateur de presse (caricaturiste). Je suis dipl�m� de l'Ecole sup�rieure des beaux-arts d'Alger depuis 1979. A l'universit� d'Orl�ans d�partement arts plastiques (France), j'ai obtenu avec succ�s d'autres titres de 1979 � 1982. J'ai exerc� comme dessinateur de presse dans diff�rents journaux et hebdomadaires alg�riens, comme Horizons, R�volution africaine, Alg�rie actualit�, Alger r�publicain, El-Djoumhouria, El-Youm, 24 Heures, l'Opinion, Demain l'Alg�rie, le Quotidien d'Alg�rie, ainsi que le journal satirique El Manchar dont je suis le fondateur. Actuellement, je travaille dans mon propre journal Love Mag, le seul journal � l'eau de rose en bandes dessin�es. J'ai publi� mon premier album D�lire� l'Enap et un fascicule sur le sida en Alg�rie. J'ai re�u plusieurs distinctions et bon nombres de mes dessins de presse ont �t� repris par les journaux fran�ais Le Monde et Lib�ration. En 1986, j'ai re�u le Prix du public lors du Festival international de la BD et de la caricature � Bordj El-Kiffan (Alger). J'ai particip� � l'ann�e de l'Alg�rie en France en 2003. Actuellement, je dirige avec mon ami Moulay Ali, �galement dessinateur, une agence de communication et d'�dition qui s'appelle Ged-Com. De la peinture au dessin de presse, comment s'est faite la transition ? Au d�part, j'avais une formation en arts plastiques ; je me suis surtout d�couvert quelques �inaptitudes� en peinture, je mentais sur le th�me, les gens �taient oblig�s de me croire (rires). J'ai donc lorgn� d'autres activit�s plus cr�atives telles que le dessin de presse et la BD. Le destin s'en est m�l�, lorsque je lisais le Canard encha�n�,et Hara Kiri. Les dessins humoristiques et d�nonciateurs m'ont tellement frapp� que j'ai pris conscience du chemin que je devais prendre. Le dessin de presse traite des diff�rentes entraves au bon fonctionnement de la soci�t�. Il met � nu la nature mesquine de certains personnages influents. Il a un c�t� sensibilisateur. Ce qui permet de captiver le lecteur qui, lui, ne reste pas insensible devant un remarquable dessin. Malheureusement, les caricaturistes sont tr�s peu nombreux. Vos dessins �taient quand m�me os�s � vos d�buts. Comment vos sup�rieurs et votre entourage r�agissaient � cette �audace� ? Mes premiers dessins humoristiques sur le sexe et la politique faisaient l'effet d'une bombe. J'�tais heureux et mes mains tremblaient de bonheur � l'id�e que je n'allais pas �tre censur�. Je laissais libre court � mon imagination. C'�taient des dessins assez os�s et �rotiques. Je peux dire que l'humour et l'intelligence triomphaient � chaque fois. Vous avez dit que vous �tiez fondateur du journal satirique El Manchar, pour quelle raison a-t-il ferm� boutique ? J'ai fond� le journal et j'avais avec moi un groupe de dessinateurs et de journalistes tr�s motiv�s. Je citerai Ali Haroun, El Hadi Ghezali (qui nous a quitt�, malheureusement) ainsi que Boulbina qui m'a aid� financi�rement et a mis � notre disposition des locaux. Le journal El Manchara vu le jour � Riadh El-Feth. Au d�part, on l'avait baptis� Bled Miky. Mais c'�tait un peu p�joratif de l'appeler de la sorte et on a fini par lui trouver un titre qui r�pond aux attentes des lecteurs. Certains ont fait des mains et des pieds pour accaparer le titre en prenant le train en marche. Nous voulions cr�er une presse sp�cialis�e en Alg�rie qui a pour base le dessin. Un journal humoristique avait pour objectif d'instaurer une dynamique � m�me de r�volutionner la caricature alg�rienne. L'id�e je l'ai nourrie bien avant Octobre 1988, bien avant les autres, j'�tais comme une esp�ce de singe hurleur �chapp� du zoo des caricaturistes, comme disait mon ami journaliste Yassir Benmiloud... et certains confr�res de l'�poque m'avait trait� de r�veur ! N'emp�che que le r�ve �tait devenu r�alit�. Mais la b�tise faisant bien les choses �les maquignons� de la presse, le clanisme de certains dessinateurs et les conservateurs au pouvoir ont tu� notre journal. Quels sont les dessinateurs qui vous ont influenc� ? Tout gosse, ma culture a �t� nourrie par certains h�ros de bandes dessin�es tels que Bleck, Akim, Mandraque, Zembla, Kiwi, les Pieds nickel�s,Tintin, Pim Pam Poum... Ce sont eux les cr�ateurs de ces personnages qui ont influenc� ma carri�re tels Lassalvy, Wolinsky, Cabu, Reizer, Haroun, Slim et Chid. Je me suis abreuv� � l'art de ces artistes. Et parmi les journalistes ? Ma�mar Farah est celui qui a, en 1987, publi� mon premier dessin � la une d' Horizons sur les cassettes pirates en Alg�rie. Il m'a �galement publi� une bande dessin�e humoristique Poivre et Sel pendant la p�riode du mois de Ramadan. Djamal Eddine Merdaci Mohamed Benzine, Sa�d Mekbel, Kamal Belkacem, Bachir Rezoug, Hafid Chibane, Abdelkrim Dja�d, Ammar Belhimer et Fettouma Attouchi de la radio Alger Cha�ne III. Leurs conseils m�ont �t� tr�s utiles. Avez-vous subi la censure ? Qui n'a pas subi les affres de la censure ? Actuellement, on assiste au retour de la chape de plomb. Il faut dire que le pouvoir se m�fie du potentiel subversif de l'image et de la plus puissante d'entre elles : la caricature. C'est principalement la caricature politique qui subit les coups de ciseaux. Quelles que soient leur sensibilit� et leur tendance politique, les caricaturistes ont ch�rement pay� la libert� de leur crayon, car n'est point une caricature, un dessin qui ne brise pas les tabous et qui ne fasse pas un pied de nez � la politique. Les responsables craignent d'�tre ridiculis�s et cela leur donne des sueurs froides au point de nous castrer et nous priver de notre �jouissance libertine crayonn�e�. Pensez-vous qu'avec le retour de la chape de plomb, la libert� de la presse est menac�e ? Je crois qu'il faut poser la question autrement : la libert� de la presse en Alg�rie a-telle des limites ? Et l�, je r�pondrai : la libert� d'informer, de commenter et de dessiner est tr�s grande. Elle est garantie par la loi, certes, mais elle peut se heurter au code p�nal. La vie priv�e et l'int�grit� des personnes doivent �tre respect�es. La calomnie et l'injure ne doivent pas �tre tol�r�es. La d�ontologie nous dicte la rigueur. Il faut montrer sans choquer, t�moigner sans agresser et d�noncer sans condamner. En tant que caricaturiste, je dirais qu'on peut rire de tout, le dessinateur doit �tre talentueux et subtil � faire passer le message� L'humour est parfois cruel. En journalisme, il y a plus fort que les articles d'informations g�n�rales. Ce sont les images et le dessin de presse, l'analyse, les �ditos et surtout les enqu�tes faites sur le terrain qui font �voluer les choses. La presse pousse les hommes politiques � faire leur boulot. Voltaire a dit : �Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites mais je suis pr�t � me battre pour que vous puissiez le dire.� En conclusion, je dirais que toute libert� est fragile quand il y a crise, de fortes tensions ou des int�r�ts en jeu. �La raison d'Etat� peut par la force imposer des limites � la libert�. Certaines libert�s nous ont �t� confisqu�es. Je suis un caricaturiste de gauche, je ne peux pas contrarier mon imagination et �je ne veux pas mourir idiot !� Dans les ann�es 1980-1990, les dessins de presse �taient agressifs et os�s. Aujourd'hui, la caricature est presque sans relief, sans mordant, comment l'expliquez-vous ? Effectivement ! On �tait bien parti durant ces ann�es-l�, quand je revois certains de mes dessins humoristiques sur le sexe qui n'ont pas �t� censur�s � cette �poque, je me dis que c'est inimaginable ! On a dr�lement r�gress�. C'est pour cette raison, qu'un journal satirique est n�cessaire dans une soci�t� archa�que comme la n�tre qui fait dans la provoc' pour bousculer les m�urs et briser les tabous comme le sexe et la politique. Traiter ces sujets avec humour et l�g�ret�. Dessiner le corps d'une femme sans chercher � le sacraliser. Ne pas donner le caract�re d'un mythe � une personne ou � une action� Il y a tellement de boulot qui nous attend. Beaucoup de journaux et peu de dessinateurs de presse, est-ce qu'on assiste au d�clin ? Avant, il n'y avait pas beaucoup de journaux mais il y avait une flop�e de dessinateurs de BD et de caricaturistes. Aujourd'hui, c'est le contraire, beaucoup de journaux, peu de dessinateurs et pas de BD. C'est � n'y rien comprendre ! C'est peut-�tre la commission de contr�le et de surveillance du pouvoir en place qui est revenue en force. L'�p�e de Damocl�s qui plane sur la t�te des directeurs de publication qui ne veulent pas avoir de probl�mes. Il faut dire aussi que les dessinateurs sont tr�s mal pay�s. Ils finissent par s'orienter vers d'autres activit�s pour gagner leur vie. De grands noms ont carr�ment quitt� le pays. Je citerai Touag Arezki, Guesmia Farid, Mechouar Bachir, Bencheikh Farid. Il y a int�r�t � laisser les journaux ind�pendants, les dessinateurs et les journalistes libres d'esprit, sinon, c'est le pays qui va sombrer dans les mains des int�gristes ! Des projets ? Je pr�pare un recueil qui regroupera l'ensemble de mes caricatures depuis vingt ans.