Un dessin de presse, au-delà de son côté artistique, est-il porteur d'un message ? Et si c'est le cas, ce message peut-il être contrôlé ? Peut-il déraper ? Obéit-il à une certaine censure, intervenant quand les limites sont dépassées ? Ce sont ces questions, et bien d'autres que les dessinateurs de presse ont abordées dans leur conférence, mardi dernier, à 17h, au Centre culturel français d'Alger. Après Constantine, le 5 mars, et Oran, le 7, c'était au tour d'Alger d'accueillir cette rencontre — sous le thème “La caricature : un dérapage contrôlé” — organisée par l'Association de la Fondation Cartooning for Peace (Dessins pour la paix), en collaboration avec l'ambassade de France en Algérie. Depuis sa création, Cartoonig for Peace compte aujourd'hui plus de 80 dessinateurs de 39 nationalités. Leur particularité : leur regard critique sur leur pays et culture. La salle de spectacles du CCF s'est avérée exiguë pour contenir la foule. Dans son allocution, Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie, résuma le parcours des deux caricaturistes qui ne sont plus à présenter. Bientôt 39 ans de collaboration avec le Monde pour Plantu et presque 20 ans pour Dilem. “À eux deux, ils totalisent plus de 25 000 dessins”, a-t-il ajouté. Ces deux caricaturistes, que l'humour et le dessin réunissent, sont sur un projet commun. Plantu va publier, prochainement, pendant une semaine, ses dessins dans le quotidien Liberté, et durant la même période, Dilem fera la même chose dans le Monde. C'est avec humour et simplicité qu'ils se sont relayés, abordant chacun, selon son expérience et son itinéraire, la problématique du dessin de presse. C'est à travers leurs planches respectives qu'ils expliquaient quand un dessin de presse peut être “dérapant” et comment le contrôler. Plantu a montré certaines de ses caricatures qui ont été “interdites de parution” par son journal. “Tout est une question d'humour”, ont-ils déclaré. Un humour qui ne doit pas dépasser le seuil de tolérance, et qui ne doit pas heurter. Toujours à propos d'humour, Plantu a affirmé qu'en Algérie, “on trouve un humour qu'on ne trouve pas en France”. Et d'ajouter qu'on arrive à faire de l'humour à partir d'une tragédie, ce qui n'est pas le cas en France. Abondant dans le même sens, Dilem a fait un aveu de taille : quand on arrive à “croquer le président Bouteflika, le gouvernement algérien ou certains généraux, cela est un signe de liberté que les autres pays arabes n'ont pas”. Pour illustrer ces propos, ils donneront l'exemple de Hassan Karimzadeh, un caricaturiste iranien, condamné à dix ans de prison pour avoir publié une caricature de l'ayatollah Khomeiny ; ou celui du Marocain Khalid Gueddar qui a connu des tracas inimaginables en osant publier également un dessin montrant le roi Mohammed VI… C'est dire l'impact que peut avoir une caricature. Le public a pu voir un court passage de la rencontre de Plantu avec Yasser Arafat en Tunisie, montrant ce dernier dessinant les emblèmes palestinien et israélien. Un dessin qui a fait le tour du monde et porteur d'espoir. Le dessin de presse, un acte journalistique De fil en aiguille, se relayant au micro et au feutre — ils dessinaient en direct, selon l'inspiration du moment —, les deux orateurs ont démontré que le dessin de presse est un acte journalistique à part entière, qui véhicule la vision de son auteur et non son opinion. “Je ne suis qu'un dessinateur, je ne donne pas mon opinion, c'est l'information qui la fait”, a déclaré Dilem. Quant aux limites de la caricature, ils ont été unanimes à affirmer qu'elles “se sentent”. C'est selon les convictions du dessinateur, à sa société, aux mœurs ainsi qu'aux convictions. Toutefois, ils ont précisé que les interdits “ne doivent pas être imposés”. Concernant leur marge de manœuvre, Plantu a avoué que son dessin doit “coller à l'ouverture [page une] de son journal”. “Quand il y a un sujet imposé, j'arrive à dire des choses, mais ce n'est pas toujours facile”, a-t-il souligné. Chaque jour, il fait trois propositions à sa rédaction qui en choisit une. Ce qui n'est pas le cas pour Dilem qui sévit depuis 1996 dans la page 24 du quotidien Liberté. Il a la liberté d'opter pour tel ou tel sujet, même s'il ne colle pas avec l'actualité du journal.Passant en revue leurs expériences, il en découle que les deux dessinateurs ont connu des situations ubuesques quasi identiques. Plantu “subissant” la “censure” de son journal et les réactions des lecteurs à tel ou tel dessin. Dilem “collectionnant” les procès et les comparutions pour ses caricatures jugées “osées” et portant atteinte à l'individu. Sur sa lancée, il a fait l'aveu qu'il regrettait “certains de ses dessins d'il y a dix ou quinze ans. Aujourd'hui, j'ai beaucoup mûri !” En outre, Dilem a été mis au défi par un présent de dessiner l'opposition politique en Algérie. Lequel défi a été relevé avec talent. Deux heures durant, Plantu et Dilem avaient plaidé la cause du dessin de presse, son importance, démontrant par la même occasion que c'est un moyen d'expression et de communication qui favorise l'échange de points de vue. En marge de cette conférence, une exposition de différents dessins réalisés par Plantu, Dilem et bien d'autres dessinateurs membres de Cartooning for Peace était visible dans les jardins et la salle d'expositions du CCF d'Alger, permettant d'admirer le talent de ces personnes, mais également la portée des messages véhiculés.