La comm�moration du 30e anniversaire de la disparition du pr�sident Houari Boumediene a, une fois n�est pas coutume, donn� lieu � la production de nombreux dossiers de presse et de suppl�ments sp�ciaux. Il a m�me �t� recens� plus d�articles de presse que de personnes qui ont fait le d�placement � El- Alia pour se recueillir � la m�moire du d�funt. Parmi les contributions qui ont �t� publi�es, celle d�Ali Mebroukine se propose de �Revisiter la m�moire de Houari Boumediene� (*) en quinze petits paragraphes entrecoup�s d�interlignes. Au dixi�me paragraphe, introduit sous l�intertitre �Un pr�sident circonvenu par son entourage� � la litanie du �chef est bon, tout le mal vient de ses collaborateurs� ! � M�broukine �voque la p�riode qui commence fin 1976, avant l��lection pr�sidentielle. Il est fait notamment �tat d�un �rapport ultrasecret commis par quelques experts � l�honn�tet� insoup�onnable qu�il avait lui-m�me command� �. C�est la premi�re fois qu�il est publiquement fait �tat de ce rapport ultrasecret. Qui l�a fait ? Qui sont ces experts insoup�onnables dans leur honn�tet� ? A l�instigation de qui ont-ils agi ? Quelle suite a-t-elle �t� r�serv�e � leur rapport ? Quelle est la qualit� et la valeur r�f�rentielle de cet obscur document ? Au-del� du document source, quel est le message que s�ent�te � transmettre Mebroukine ? Essentiellement que le rapport en question fait �tat de la m�fiance de Boumediene � l��gard de trois de ses ministres � B�la�d Abdesselam, Tayebi Larbi et Abdelghani � quant � la qualit� de leur gestion et de leur action. M�fiance enfin � l��gard d�un quatri�me ministre � M. Abdelmadjid Aouchiche, en charge de la Construction � dont il �avait jur� sa perte tant les trafics auxquels se livrait ce dernier et les malversations dont il s��tait rendu coupable insultaient par trop l�aust�rit� que H. B. avait impos�e � l�ensemble des Alg�riens�. Pour avoir couvert �de pr�s� les activit�s minist�rielles de la derni�re personne incrimin�e, pour le compte du quotidien El Moudjahid o� j�exer�ais � l��poque, rien dans les deux all�gations ne pouvait nous �chapper si elles comportaient le moindre soup�on de preuve. Lorsqu�on est journaliste dans un quotidien, �tudiant volontaire agissant pour une cause aussi sacr�e que la R�volution agraire, militant d�un parti clandestin d�opposition et qu�on est charg� de suivre les activit�s d�un ministre, et pas n�importe lequel, le moindre soup�on de magouille aurait fait l�objet d�au moins un petit entrefilet dans la presse underground. Les r�gles du centralisme d�mocratique assuraient une remont�e et une rediffusion de l�information autorisant les recoupements n�cessaires � un meilleur �clairage de l�action. Or, tout autour de moi t�moignait de la rigueur, de la droiture et de la rectitude du ministre de la Construction, m�me si son �lib�ralisme� n��tait pas du go�t des plus sectaires d�entre nous. Je me rappelle notamment d�un propos pr�monitoire tenu � l�endroit de hauts cadres de l�Etat peu convaincus de sa n�cessit� ou peu enthousiastes � r�aliser le programme annuel des 100 000 logements sociaux : �Si on ne le fait pas pour au moins stabiliser le d�ficit, les n�cessiteux viendront sous peu mettre le feu � vos villas.� Douze ans plus tard, l�Histoire lui donnait raison. La d�marche, d�o� qu�elle �mane, est suspecte. Elle soul�ve notamment trois questions incontournables relatives � la place de la violence dans nos soci�t�s, y compris parmi les intellectuels et leurs discours, la place du chef et la place de la m�moire dans le fait historique. 1. L�historien Robert Muchembled (**) montre comment l�Occident a su contr�ler les instincts meurtriers de ses populations et comment la culture occidentale a jugul� cette violence meurtri�re engendr�e pour l�essentiel par ces jeunes m�les que sont �les jeunes hommes � marier�, comment un droit communautaire li� � la notion d�honneur, familial ou individuel, s�est transform� en un tabou moral, �ne pas tuer�. Ce d�clin spectaculaire de la violence n�avait rien d�obligatoire. Longtemps, la violence constitua l�un des �l�ments du dynamisme et de l�expansion de l�Europe. Au Moyen-Age et au moins jusqu�au XVIIe si�cle, non seulement la mort violente est banale, mais elle para�t souvent licite, voire n�cessaire. Au XVIe si�cle, les nouvelles valeurs touchent les campagnes: un monde nouveau se profile lentement, celui du contr�le de soi et de �la civilisation des m�urs�. La violence n�est plus accept�e. De nouvelles pratiques judiciaires s�installent. L�Etat moderne exp�rimente des m�thodes plus efficaces de contr�le social afin de remplir au mieux les missions d�volues au prince, �d�fendre la vraie foi, maintenir la paix, imposer le droit et promouvoir le bien collectif �. Suit le temps de la violence apprivois�e ; il conduit jusqu�en 1960. Un temps o� se distinguent de plus en plus la violence l�gitime, qui assure la d�fense de la patrie, et la violence ill�gitime, qui perturbe l�harmonie sociale. Nous en sommes encore l�. 2. Comment un homme aussi puissant et �clair� que Boumediene peut-il se permettre de s�entourer de serviteurs qui ne lui soient pas acquis ? Toute l�histoire du pays plaide pour le contraire. M. Abdelhamid Mehri, ancien secr�taire g�n�ral du FLN, soulignait dans une r�cente d�claration qu�un usage consacr� �pense l'Alg�rie en tant que pr�sidence � et reporte ou �vite carr�ment de la �penser en termes d'Etat�. Bien plus, regrette-t-il encore, �la r�flexion sur la pr�sidence, elle-m�me, est davantage centr�e sur la personne du pr�sident plut�t que sur l'institution pr�sidentielle�. On retrouve ici une marque des soci�t�s archa�ques, fortement marqu�es par les scories du f�odalisme, avec un pouvoir centrip�te qui ram�ne tout � la personne du chef. Aussi, en Alg�rie, au-dessus des normes �crites, se trouvent les normes non �crites qui en t�moignent. Cet absolutisme n�est au demeurant pas propre � notre pays. Il reconduit un h�ritage qui plaide pour �le dilemme du prisonnier� qui, en th�orie, relate le cas o�, craignant le comportement opportuniste de celui auquel il est confront�, le joueur choisit une solution qui minimise les risques, m�me s'il peut tirer meilleurs profits et avantages s'il �tait en situation de coop�ration ou de confiance. 3. L�histoire s��crit par les historiens et ses acteurs ou ses t�moins. Les premiers recourent aux mat�riaux qui �tablissent, irr�futablement, les faits et les dates, les trames et les lois (c'est-�-dire des faits qui se r�p�tent). Les seconds font �uvre m�morielle et participent � son �criture, pour peu qu�ils jouissent de la pl�nitude de leur lucidit� et de leur int�grit�. Au rang de ces mat�riaux : les d�cisions de justice, les actes notari�s, les minutes des tribunaux, etc., dans l�ensemble, des actes authentiques, m�me non port�s � la connaissance du public et dont le secret finit par tomber avec le temps. La question �thique qui se pose ici est la suivante : comment un citoyen qui n�a fait l�objet d�aucune poursuite ou de condamnation judiciaire ou extra-judiciaire pour des faits donn�s peut-il �tre rendu coupable de ces m�mes faits par un �rapport ultrasecret� dont le lecteur n�a pas connaissance ? Oswald Ducrot �crivait que le �probl�me g�n�ral de l'implicite est (...) de savoir comment on peut dire quelque chose sans pour autant accepter la responsabilit� de l'avoir dite, ce qui revient � b�n�ficier � la fois de l'efficacit� de la parole et de l'innocence du silence�.On sait � quel point les silences peuvent aussi tuer. A. B. (*) El Watan, suppl�ment du 27 d�cembre 2008, page 7. (**) Robert Muchembled, Une histoire de la violence, de la fin du Moyen-Age � nos jours, le Seuil, Paris, 512 pages.