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SA�D SADI AU SOIR D�ALG�RIE :
�Nous sommes dans un vrai moment de rupture�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 10 - 01 - 2009

C�est un Sa�d Sadi tr�s inquiet pour l�avenir imm�diat de l�Alg�rie que nous avons rencontr� au si�ge de son parti. Plus que jamais, il appelle au d�passement du pouvoir pour esp�rer un sursaut salvateur pour le pays. Si ses r�ponses donnent � premi�re vue une impression de d�pit, cela est vite rattrap� par des propositions qui laissent entrevoir une projection sur l�avenir. Dans �ce moment de rupture�, il devient presque ind�cent de parler avec Sa�d Sadi d��lection pr�sidentielle.
Entretien r�alis� par Nacer Belhadjoudja
Le Soir d�Alg�rie : Cela fait longtemps que l�on ne vous a pas entendu dans les m�dias nationaux, pouvez-vous, pour entamer notre entretien, nous livrer d�un mot votre point de vue sur le pays ?
Sa�d Sadi : En 2009, c'est-�-dire 55 ans apr�s l�ind�pendance, des adolescents d�boussol�s descendent le drapeau alg�rien dans un lyc�e et hissent le drapeau fran�ais deux mois apr�s que l�on eut sacralis� les symboles de la nation par une r�vision constitutionnelle des plus discutables.
C�est un peu rude comme entr�e mais puisque vous abordez le sujet, comment analysezvous cet �v�nement ?
Apres la rupture politique qui oppose pouvoir et soci�t�, apr�s la rupture g�n�rationnelle qui voit une g�rontocratie b�illonner la jeunesse, nous rentrons dans les ruptures symboliques o� se dissolvent les valeurs identitaires. La question n�est pas de se d�fausser sur ces jeunes qui sont plus victimes que coupables, mais il faut bien savoir qu�avant d�en arriver l�, ces �l�ves ont discut� entre eux, pr�par� leur coup, choisi le moment du passage � l�acte� Il est important de comprendre ce qui s�est pass� dans la t�te de ces jeunes. La falsification des rep�res et la manipulation de l�histoire de la nation ajout�e au discr�dit puis au rejet que suscitent les auteurs de ces abus ont conduit des enfants alg�riens � braver tous les interdits et � lancer l�ultime d�fi pour manifester leur exasp�ration. Ce signe ne semble pas inqui�ter les dirigeants qui, faute d�avoir un bilan ou des perspectives � offrir, revendiquent, je cite, leur �sale besogne� comme troph�e.
Mais d�un point de vue plus politique, comment d�finiriezvous la situation actuelle ?
Apr�s le reniement de la r�sistance citoyenne qui, de mon point de vue, aura �t� un grand moment dans notre histoire d�apr�s-guerre, le pays s�est trouv� d�savou� dans ce qu�il avait accompli de plus sain et de plus noble depuis l�ind�pendance : refuser un ordre politique qui nie l�alternance et, dans le m�me temps, ne pas se laisser gagn� ni m�me tent� par la vengeance malgr� la cruaut� des �preuves. Peu de peuples ont fait preuve de tant de sagesse face � de tels drames. Priv� de son capital patriotique et interdit de citoyennet�, l�Alg�rien s�est r�sign� et la Nation a commenc� une inexorable d�composition dont la grammaire politique est �crite par le putsch commis le 12 novembre. D�un point de vue formel, le pouvoir passe d�une enveloppe militaire � une apparence polici�re, mais le syst�me politique reste le m�me dans un pays sous haute tension. C�est l�impasse. En quoi, selon vous, la r�vision de la Constitution a-t-elle �t� si d�sastreuse ? Je ne n�insisterai pas sur la forme. N�en d�plaise au pr�sident de l�APN, le Parlement alg�rien a commis une forfaiture. Il n�avait pas � se prononcer sur des amendements qui bouleversaient la nature et l��quilibre des pouvoirs. Seule la voie r�f�rendaire, au regard de la Constitution d�alors, permettait de traiter de tels amendements. Sur le fond, nous sommes dans un cadre constitutionnel unique. Les constitutionnalistes les plus avertis confirment le caract�re ubuesque de la situation alg�rienne qui n�est ni un r�gime pr�sidentiel, ni un r�gime parlementaire. C�est le seul pays o� un homme concentrant tous les pouvoirs ex�cutifs entre ses mains ne conna�t aucun contre pouvoir. Savez-vous que si demain le RCD devenait majoritaire � l�Assembl�e, il serait oblig� d�appliquer le programme d�un chef de l�Etat qu�il combat puisque, depuis le 12 novembre, seul lui a le droit de proposer un programme !! Je ne voudrais pas �tre trop cruel mais il faut rappeler aussi que ce programme, dont toutes les client�les se gargarisent, n�existe m�me pas. La Constitution a �t� viol�e pour imposer un troisi�me mandat. Quel Alg�rien et quel observateur peut croire que ce qui n�a pas �t� fait pendant dix ans avec un baril qui a atteint 150 dollars va devenir possible dans une situation nationale aussi d�l�t�re avec un environnement mondial si perturb� ? Je vous laisse deviner le contre-coup politique, diplomatique et �conomique que subit notre pays apr�s cette op�ration. Autre probl�me r�v�l� par cette d�rive : le silence des intellectuels. En dehors de quelques �mois confidentiels, il n�y a pas eu d�intervention sur un acte qui ne manquera pas d�inspirer ailleurs la recherche universitaire en mati�re d�h�r�sie constitutionnelle. Mais cela est un autre probl�me.
Vous venez d��voquer le RCD, quelques voix s��l�vent � B�ja�a et laissent entendre qu�il y aurait crise.
B�ja�a, je vous rassure, va tr�s bien. Cinq ou six personnes d�couvrent comme par hasard en ce moment et apr�s des ann�es de b�atitude, que le RCD est un enfer. Ce genre d�incidents est r�current � chaque fois que le RCD alerte l�opinion nationale ou internationale sur les abus du r�gime. Dit en un mot, le pouvoir sugg�re � travers ces provocations ceci: nous n�avons rien fait mais nous sommes tous pareils, donc le changement est inutile.
Plus g�n�ralement, comment va le RCD ?
Je ne crois pas qu�il y a un parti alg�rien qui ait autant affront� le pouvoir et qui continue d��tre la source principale de l�animation du d�bat national, avoir une activit� de terrain aussi soutenue, une vie organique r�guli�re et une pr�sence internationale affirm�e et reconnue. Est-ce un hasard si le RCD est le seul parti � disposer d�un site Internet digne de ce nom et qui tient toutes ses r�unions organiques pr�vues par ses statuts. Il reste vrai qu�il y a d�bat dans le parti sur la question de savoir si la m�thode de luttes adopt�e jusquel� est la plus indiqu�e � la conjoncture actuelle o� le pouvoir viole toutes les lois et r�glementations pour �touffer l�opposition. Le scandale qui a vu l�administration d�poser ill�galement un pr�sident d�APC � Berriane au motif qu�il est du RCD alors qu�il revendique un bilan exceptionnel interpelle sur la pertinence d�un combat con�u et men� dans d�autres conditions. A Blida, un secr�taire g�n�ral de l�UGTA, d�mocratiquement �lu, se voit refuser son installation tant qu�il restera fid�le au RCD�
Qu�est-ce que cela appelle en termes de perspectives ?
Cela veut dire que le prochain conseil national qui se tient dans un moment de rupture politique sera, je crois, l�un des plus importants dans la vie du parti.
Ce conseil national se prononcera- t-il sur la pr�sidentielle ?
Oui.
Peut-on en savoir plus en ce qui vous concerne ?
Vous comprendrez bien que non.
Le pouvoir a pourtant acc�d� � l�une de vos revendications essentielles puisqu�il accepte la pr�sence d�observateurs internationaux. Sur la question des observateurs comme sur d�autres, le pouvoir ruse. Comme toujours, � chaque fois que le RCD anime un d�bat, innove sur un dossier ou qu�il forge un concept, le r�gime s�en saisit, le clone et le pollue.
Le pouvoir nous propose une pr�sence politique de l�Organisation de la Conf�rence islamique, de l�Union africaine et de la Ligue arabe � instances respectables par ailleurs � sous la coordination symbolique de l�ONU. Les dirigeants alg�riens savent que depuis 2004, et gr�ce ou � cause de leur fraude, il y a une prise en charge professionnalis�e et standardis�e de l�observation des �lections. Les �quipes sont form�es pour pr�venir et d�tecter les failles organisationnelles, elles demandent � �tre sur le terrain de longs mois avant le scrutin pour �nettoyer� les fichiers �lectoraux, surveiller l�usage des m�dias et des finances publiques� Ces organisations sp�cialis�es sont connues et ont d�j� montr� leur savoir-faire sur tous les continents en intervenant en Ukraine, au Pakistan, au Venezuela, et il y a quelques jours, au Ghana o� le candidat de l�opposition a d�ailleurs remport� la pr�sidentielle dans une comp�tition que personne ne conteste. Vous aurez remarqu� qu�aucune de ces organisations ne figure parmi les �invit�s� du pouvoir d�Alger. A la d�charge de ce pouvoir, il n�est pas le seul � refuser une surveillance internationale qui mobiliserait pendant des mois de nombreux observateurs ind�pendants et qualifi�s. Des acteurs politiques et sociaux qui avaient, un instant, voulu se mobiliser contre la candidature de l�actuel chef de l�Etat pour soutenir un autre candidat � ce qui �tait leur droit � ont refus� de s�associer � la demande de cette surveillance. L�arri�re-pens�e �tant que la fraude n�est pas un mal en soi. Elle est m�me implicitement souhait�e quand elle sert son chef de clan. Pour occasionnelle qu�elle soit, cette posture soul�ve, nous le savons tous, un vrai probl�me pour ne pas dire le probl�me politique de l�Alg�rie.
Pouvez-vous �tre plus pr�cis ?
Tant que nous n�aurons pas clarifi� la question du positionnement politique de chacun, la mise en perspective de la nation restera brouill�e. Il y a des acteurs politiques qui estiment qu�il n�y a pas d�alternatives possibles en dehors du syst�me actuel. C�est une option que l�on peut entendre � la condition qu�ils s�assument en tant que client�les inscrivant leur action dans les comp�titions claniques. Naturellement, chaque clan dira que si c�est son chef qui h�rite du pouvoir, les choses iront mieux. Nous sommes un certain nombre � mettre en doute cette vision. La crise alg�rienne ne saurait �tre r�ductible � une question d�homme, m�me si la responsabilit� de certains, dans son aggravation, est �vidente. Tant que ce malentendu originel ne sera pas lev�, la vie publique risque d��tre encore longtemps enferm�e dans des sp�culations sur les affrontements claniques qui finiraient bien, nous dit-on, par produire un jour l�homme providentiel. La solution � la crise alg�rienne n�est pas dans un am�nagement du syst�me mais dans son d�passement. Cela dit, rien n�interdit de d�battre avec un clan ou un autre ; encore faudrait- il que cela se fasse sur des bases de partenariat et non client�listes. Cette ali�nation politique et intellectuelle qui interdit de concevoir une opposition en tant qu�alternative est une forme d�infantilisme et d�opportunisme qui bloque le d�bat politique national. L�opposition n�est pas une annexe o� des client�les d��ues un moment viennent s��pancher ou se d�fouler en attendant d��tre recycl�es. L�opposition n�est pas l� pour �tre interpell�e quand il y a p�ril sur la nation et �tre oubli�e quand vient le moment des choix. L�opposition est, redisons-le, une alternative au pouvoir. Ce minimum qui a pr�sid� � toutes les �mancipations des soci�t�s adultes n�est pas encore int�gr� chez nous.
Selon vous, pourquoi la soci�t� alg�rienne s�enlise-t-elle dans ce que vous semblez pr�senter comme une chim�re, alors qu�ailleurs le jeu politique est plus clair. Il y a en g�n�ral l�opposition et le pouvoir qui s�affrontent sur des programmes politiques. Pourquoi n�arrivons-nous pas � mettre en application cette p�dagogie chez nous ?
Le mouvement national s��tait cristallis� autour de la revendication pour l�ind�pendance. Jusqu�au congr�s de la Soummam en 1956, il n�y avait pas de discussion sur la nature de l�Etat, l�acc�s au pouvoir, son contr�le� Or, en 1957, l�Alg�rie a enregistr� deux drames dont elle ne s�est jamais remise. Les disparitions de Abane et Ben M�hidi la m�me ann�e ont co�t� et co�tent encore tr�s cher � notre pays. Sans tomber dans la �complotite � de l�histoire, on peut quand m�me noter que la tendance despotique du FLN et les forces coloniales ont objectivement converg� dans leur malfaisance puisque Abane a �t� �limin� par ce qui deviendra plus tard la S�curit� militaire et que Ben M�hidi a �t� victime de Massu. Depuis, l�Alg�rie n�en finit pas de r�gresser. Au lieu de poser les cadres qui permettraient de d�battre et d�avancer, le pays s�enferme dans des coteries tribales, des surench�res sur la religion ou le nationalisme � d�gradant d�ailleurs l�une et l�autre � sans jamais aborder ce qui fonde par d�finition le pouvoir politique l�identification des probl�mes, les ressources mobilisables, l��tablissement des priorit�s, le timing de leur r�alisation et les r�gles qui doivent r�gir la conqu�te, l�exercice et le contr�le du pouvoir. R�sultat : nous sommes toujours en 1962. La probl�matique qui avait oppos� le clan d�Oujda, devenu groupe de Tlemcen, au groupe de Tizi-Ouzou est toujours en suspens. D�un c�t� le GPRA, des wilayas de l�int�rieur, la F�d�ration de France du FLN et des personnalit�s comme Boudiaf et A�t Ahmed acquis � l�id�e de l�gitimit� institutionnelle ; de l�autre, l�arm�e des fronti�res et le MALG cautionn�s par Ben Bella, avant d�en �tre victime, qui s�engagera dans la cooptation, l�opacit� et le coup de force, encourag�s sinon l�gitimit�s par le populisme ambiant propre aux ann�es soixante. Selon les p�riodes et les rapports de force, c�est la m�me probl�matique qui ressurgit depuis un demi-si�cle. Faute d�avoir sereinement et loyalement appr�hend� la question du devenir national, l�Alg�rie vit dans un non-d�bat qui voit ses �lites partir, se taire ou, pire, se pervertir.
Le syst�me politique serait-il � ce point puissant pour paralyser toute la soci�t� ?
Il ne faut pas sous-estimer la capacit� du syst�me alg�rien � corrompre mat�riellement, mais aussi moralement. J�ai �t� proprement stup�fait de lire les propos obs�quieux tenus par Yasmina Khadra ces derniers temps � propos du troisi�me mandat et de l�opposition. Il m�a dit exactement l�inverse il y a seulement quelques mois. Cet �crivain n�avait pas besoin de faire all�geance au r�gime. Son succ�s mondial, par ailleurs m�rit�, lui permet de cultiver l�autonomie et l�int�grit� intellectuelles attendues d�une telle personnalit�. Il n�a pas pu r�sister au magn�tisme mal�fique du client�lisme. Son statut d�ancien militaire ne suffit pas � expliquer une telle abdication.
Mais pourquoi la soci�t� alg�rienne ne se lib�re-telle pas de cette soumission ? On voit bien que le citoyen est frondeur, mal � l�aise mais la mayonnaise ne prend pas.
Pour que la mayonnaise prenne, il faut les outils, le bon produit et une temp�rature adapt�e. Or, depuis 1962, tous les param�tres qui participent � la bonne gestion des affaires publiques sont rogn�s au point de dispara�tre de notre quotidien. Ce qui fait que notre organisation sociale reste domin�e par les inf�odations tribales qui asservissent les institutions. Cette forme de r�gression est v�rifiable y compris au sommet de l�Etat. On entend chaque jour des propos plus ou moins d�sabus�s sur la tribalisation du pouvoir. Mais � partir du moment o� vous bloquez les espaces de d�bat o� le citoyen peut se d�terminer et s�engager sur des propositions politiques, il est n�cessairement captif d�autres syst�mes d�expression ou d�autres exp�riences d�o� les �meutes, le r�gionalisme, la corruption, le terrorisme ou l�exil. C�est vieux comme le monde, la libert� f�conde l�intelligence et, � l�inverse, l�arbitraire g�n�re et amplifie les archa�smes. C�est au moment o� l�Am�rique porte un Noir � la Maison Blanche que des observateurs alg�riens, qui revendiquent par ailleurs le statut d�intellectuels d�mocrates, s�ab�ment dans l�anti-kabylisme le plus gr�gaire et que le pays plonge dans la�mugabisation�. Nous sommes dans un vrai moment de rupture dans la mesure o� tous les artifices �r�volutionnaires � par lesquels le r�gime s�est autol�gitim� ont fait faillite. Ce que vous appelez �mugabisation � n�a pas seulement affect� la sph�re politique. Quid de l��conomie, du social, du culturel... ? Tout se tient. Quand l�exercice du pouvoir n�est soumis � aucun contr�le, on arrive � toutes les h�r�sies. C�est quand le chef de l�Etat avoue publiquement avoir �chou� �conomiquement que le ch�ur des favorites se revendique de son programme ! Plus de 200 milliards de dollars ont �t� d�pens�s pour, nous avaiton promis, d�velopper les Hauts- Plateaux. Pour quels r�sultats ? Les m�mes qui nous disaient que le pays �tait � l�abri de la crise mondiale avertissent, trois semaines plus tard, que tous les postes budg�taires �seront soumis � de fortes tensions �. La d�gradation du syst�me �ducatif cr�e un d�ficit qualitatif en ressources humaines qui pi�gera longtemps le pays. Seule la mobilisation de notre diaspora pourrait faire face, dans un premier temps, � cette carence. Et quand on observe le sort r�serv� � notre �migration on a toute latitude de voir que la r�int�gration de la comp�tence et du savoir-faire expatri�s n�est pas le premier souci du pouvoir. Comment et avec quoi construire ? Les donn�es chiffr�es sont inexistantes, inaccessibles ou peu fiables. Qui peut dire aujourd�hui o� nous en sommes par rapport au sida et aux autres grandes �pid�mies ? Quelle �valuation s�rieuse peut-on faire des campagnes de vaccinations si tant est qu�elles sont men�es en temps opportun ? Que peut-on penser de la question identitaire quand on sait que la derni�re r�vision de la Constitution a soigneusement �vacu� le caract�re national de la langue amazigh des articles portant constantes de la nation ? La ruse encore et toujours� Comment voulez- vous qu�un op�rateur �conomique ou un universitaire prenne confiance, s�investisse pleinement dans un projet ou une mission durables dans un tel environnement ? J�ai eu l�occasion de lire la note d�une filiale d�un grand groupe europ�en qui demandait d�appr�cier les possibilit�s d�investissements chez nous. Le texte est �difiant : en dehors des op�rations conjoncturelles, l�investissement est al�atoire. Deux raisons majeures avaient �t� invoqu�es : environnement financier d�l�t�re ; tout projet �conomique est sujet au fait du prince. Quand vous ajoutez la corruption end�mique et la propension pour une ouverture �conomique en faveur d�investisseurs � la r�putation plus ou moins sulfureuse, vous avez fait le tour de la perception du march� alg�rien hors hydrocarbures. Quel pays peut supporter plus longtemps autant de turpitudes ? Le discr�dit politique int�rieur a toujours une implication sur la souverainet� �conomique d�un pays. Ne parlons pas de la cr�dibilit� en mati�re diplomatique.
Si, justement, parlons-en� Comment appr�ciez-vous la position de l�Alg�rie sur la sc�ne internationale ?
Sur le plan s�curitaire, et contrairement � ce que l�on dit ici et l�, de plus en plus de nos partenaires s�inqui�tent de notre instabilit� politique et du divorce qui caract�rise les relations pouvoir-soci�t� car cette d�fiance est g�n�ratrice de d�sordres qui travaillent objectivement � la r�surgence du terrorisme international dont notre pays est l�une des plaques tournantes du fait d�une politique de renoncement et de manipulations criminels. En mati�re �conomique, je l�ai dit, nous sommes toujours un territoire de n�goce et non un pays d�investissement. Sur la sc�ne diplomatique, nous n�offrons aucune lisibilit�. Et quand nous apparaissons, c�est toujours en fonction des turbulences int�rieures. La derni�re victime de cette diplomatie man�uvri�re a �t� l�Autorit� palestinienne. Les massacres de Ghaza exigeaient de notre pays une solidarit� politique sans ambigu�t� aupr�s de l�Autorit� palestinienne et un soutien humanitaire � la mesure des souffrances endur�es. Au lieu de cela, le pouvoir alg�rien, redoutant tout mouvement de rue, a cru bon de faire recevoir au nom du chef de l�Etat un repr�sentant du Hamas et d�ignorer l�ambassadeur palestinien. A notre connaissance, la pr�sidence n�a m�me pas eu l��l�mentaire correction de s�adresser d�abord au pr�sident Mahmoud Abbas qui, jusqu�� preuve du contraire, reste le repr�sentant l�gitime du peuple palestinien. Cet acte d�une extr�me gravit� est dict� par le souci de m�nager des sensibilit�s politiques nationales auxquelles on veut donner des gages sur le dos de l�Autorit� palestinienne. Autre dossier : la position officielle sur l�UPM qui rel�ve du folklore. On entend une chose et son contraire sur des questions d�terminantes pour notre environnement g�ostrat�gique. L�Alg�rie des Francis, Chanderli, Yazid et de tant d�autres pouvait et m�ritait mieux.
Votre constat est amer, n�y aurait-il donc plus de recours possible ?
Cela n�est pas de l�amertume. La lucidit� commande � l�homme politique de regarder la r�alit� en face. Le pays est mal en point. La conscience nationale est dissoute par l�exc�s de populisme, les jeunes g�n�rations sont coup�es de notre propre histoire, la violence s�impose comme m�diation sociale privil�gi�e, notre �cole est sinistr�e, la corruption ravage le pays et les institutions se disloquent chaque jour un peu plus sous l�effet conjugu� du n�potisme et des fraudes �lectorales. Voil� le tableau. Vous pouvez me demander que faut-il faire et que peut-on faire mais je ne peux pas d�crire autre chose aujourd�hui dans mon pays.
Alors, justement, que peut-on faire ? Ou plus exactement que pr�conisez-vous devant une telle situation ?
Le conseil national extraordinaire du RCD est pr�vu � cet effet. Mais je peux vous faire part d�un certain nombre d�id�es et d�observations qui circulent parmi nous : la facture sera lourde ; les m�thodes de lutte doivent �tre red�finies ; seule la jeunesse alg�rienne, malgr� ses tourments, peut sauver le pays.
Vous avez commenc� cet entretien en signalant un acte de d�fi ou de d�tresse de jeunes lyc�ens et vous semblez vouloir conclure en faisant de cette cat�gorie un ressort essentiel sinon exclusif du renouveau national pendant que beaucoup d�observateurs donnent ce segment social comme source de s�ismes � venir. C�est assez singulier.
J�ai toujours suivi les �volutions de la jeunesse alg�rienne. J�y accorde depuis quelques ann�es une attention plus soutenue, notamment apr�s l�apparition du ph�nom�ne des harraga. Il y a une ann�e de cela, je me trouvais � Oran, un jeune avocat m�apprend que la veille il avait assist� � un proc�s de 28 harraga. Vingt-six d�entre eux �taient des universitaires. Quelques semaines plus tard, je recevais une association de familles de disparus de harraga bas�e � Annaba. Elles �taient ballott�es d�un tribunal � l�autre sans avoir pu conna�tre le sort d�finitif de leurs enfants. Un autre jour je rencontre un jeune du centre du pays qui tentait l�aventure � partir de Tigzirt. Ils �taient une douzaine sur une embarcation de 6 ou 7 m�tres et voulaient atteindre les Bal�ares. Je lui faisais remarquer qu�il fallait bien plus que deux bidons d�essence pour une travers�e de 300 km. Au bout d�une heure de discussion, je comprenais que pour ces jeunes, il s�agissait plus de partir que d�arriver. Je me rappelle avoir eu alors un flash et je revoyais ces Am�ricains pi�g�s par les flammes le 11 septembre 2001 dans les Tours jumelles et qui se jetaient du 90e �tage. Ils savaient tr�s bien qu�ils n�avaient aucune chance de survivre mais, jusqu�� l�ultime seconde, ils voulaient avoir une emprise sur leur propre vie. Voyez-vous, des jeunes qui se jettent � l�eau dans de telles conditions pour se forger un destin sont porteurs d�espoir et d��nergie, d�s lors qu�ils refusent de renoncer, quelles que soient les difficult�s et les incertitudes. Il est vital que la nation leur accorde la consid�ration qu�ils m�ritent, qu�elle les aide � s�organiser et les oriente vers des accomplissements plus harmonieux. On pourra m�objecter que nombre de ces jeunes sont devenus terroristes ou d�linquants. Je le sais. Mais nous ne pouvons pas faire l��conomie d�une remise en question avant de condamner. Qu�est-ce qui pousse un jeune � ces extr�mit�s et qu�avons-nous fait pour leur offrir d�autres perspectives ? Nous venons de recevoir un projet de loi � l�Assembl�e sur ce dossier. Savezvous comment le pouvoir entend r�gler le probl�me des harraga ? En aggravant les sanctions p�nales ! Les harraga nous enseignent que d�s qu�un jeune a une possibilit� de se r�aliser, y compris au p�ril de sa vie, il renonce � la violence. La dignit� de la jeunesse est une des conditions de la construction de l�Alg�rie.
Quel est votre agenda pour les prochains mois ?
Pour l�essentiel, il d�pendra des orientations qui seront arr�t�es au Conseil national. Mais je vous l�ai annonc� auparavant, nous sommes dans un moment de rupture. L�heure est � la r�flexion, � la concertation et � la prospective et il faudra que chacun assume ses responsabilit�s.
Un dernier mot ?
J�esp�re que nos enfants seront fiers de ce que nous avons fait pour le pays.


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