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L��tat et nous
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 02 - 2009

�Le meilleur gouvernement est celui qui nous apprend � nous gouverner nous-m�mes.�
(Goethe)
Il est un lieu commun de dire que la g�n�ration qui a eu le m�rite historique de faire �merger la nation alg�rienne de la nuit coloniale et de lui r�inventer une souverainet� n�a pu, par contre, r�ussir la construction d�un Etat de droit. Et les choses sont telles que le doute est permis quant � l�aptitude de la g�n�ration suivante � le r�aliser.
C�est que l�inaccomplissement de cet objectif, inscrit dans la d�claration du 1er Novembre, ne rel�ve pas d�une simple incomp�tence d�une g�n�ration donn�e ou de gouvernants sp�cialement aveugles � ce type de pr�occupations. L�arri�re-fond culturel du pays doit �tre ici convoqu� pour comprendre � quel point l�Etat alg�rien contemporain est rest� comme une �uvre inachev�e, �vocation � la fois douloureuse et tragique du r�ve de ses fondateurs. Dans une perspective historique, l�id�e nationaliste aura �t� l�impulsion n�cessaire pour donner vie � la nation, comprise ici comme �le vouloir- vivre ensemble� � l��chelle du pays tout entier et transcendant l�inertie et les clivages sociologiques traditionnels. Malheureusement, la crise actuelle montre que pr�s d�un demi-si�cle apr�s l�ind�pendance, la nation n�est pas suffisamment consolid�e dans l�esprit g�n�ral ; faiblesse aggrav�e par une �consommation � rapide, excessive et trop souvent ill�gitime du capital symbolique de la r�volution, essentiellement par ceux-l� m�mes qui ont le devoir moral d�entretenir sa m�moire. Sans croyances collectives, il n�y a pas de nation, sans nation il n�y a pas d�Etat ; du moins au sens moderne du terme. Or, l�Etat alg�rien contemporain s�est �rig� de fa�on consubstantielle avec l�id�e nationaliste. Croyance id�elle qui est vou�e � l�apaisement et au reflux, le pays �tant � l�abri d�une menace directe d�une colonisation et subissant par ailleurs avec la mondialisation, l��rosion lente mais s�re de ses vanit�s particularistes. A d�faut d�une nouvelle croyance collective forte et consensuelle qui relayera un nationalisme vieillissant, la nation s�affaiblira et entra�nera l�Etat dans son sillage. Auquel cas, nous assisterons � la r�surgence des identit�s et des atavismes ancestraux un moment estomp�s par l�id�e et le combat nationalistes. C�est que l�Etat est de plus en plus per�u par la communaut� nationale comme un instrument artificiel, ext�rieur � elle, ayant m�me, par certains modes de son fonctionnement, tout simplement remplac� l�administration coloniale car �plaqu� sur la r�alit� au lieu d�en �tre l��manation. Ne refl�tant pas fid�lement la �conscience collective�, l�Etat reste peu l�gitime. Personne alors ne supporte le poids de ses obligations citoyennes envers lui, certaines attitudes prenant m�me une forme de d�loyaut� � son encontre. Il polarise par contre les enjeux de pouvoir et exacerbe les tensions car il est, malgr� tout, le lieu o� l�autorit� politique et �conomique s�exerce, le centre de distribution d�une rente sans r�el contr�le social. A ce handicap, il faut rajouter deux facteurs d�terminants : la conception qu�entretient l�Alg�rien de son rapport avec l�autorit� et l�hypertrophie du lien humain, sp�cifique � la famille communautaire endogame. L�une id�alise le chef charismatique, za�m paternaliste et tout puissant ; l�autre solidarise les individus par devers la loi, �rodant ainsi les principes r�publicains. Cela donne un pouvoir populiste et autoritariste avec un Etat faible et laxiste. L�abus de pouvoir, le refus de la d�mocratie, le n�potisme et la corruption poussent alors comme des herbes folles sur un humus mental, meuble et fertile. L�avenir du pays est donc incertain. Pour le moment, toutes les hypoth�ses sont ouvertes, y compris, qu�� Dieu ne plaise, celle du d�litement de la coh�sion nationale avec un retour aux multiples fractures, tribales, ethniques et r�gionalistes qui traversent le corps de la soci�t�. Bien qu�occult�es par le discours officiel, elles sont visibles ici ou l�, d�s que les conditions politiques locales s�y pr�tent, d�s que les tensions s�exacerbent. L�Etat a, pour l�instant, compens� sa fragilit� et ses perversions par une prodigalit� dans la redistribution de la rente et par la r�pression des libert�s. Qu�en sera-t-il dans deux d�cennies, lorsque les r�serves de p�trole seront pour l�essentiel �puis�es, que l�id�e nationaliste aura �t� liqu�fi�e ? Il est � craindre que, si entre-temps l�Etat de droit et la d�mocratie n�auront pas �t� mis en �uvre comme ambition nationale, seul le recours � la force brutale et multiforme pourra maintenir en place les structures et les institutions du pays. Pour combien de temps le d�sordre in�luctable sera-t-il alors contenu ?


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