Il y a d�abord cette histoire, celle de Roland Hoffman. Qu�a-t-elle � voir avec la n�tre ? Rien, peut-�tre. Ou plut�t, si : le rire. Il est punissable. C�est une transgression, peut-�tre m�me un d�lit. Surtout quand il sort tout seul, sous la pression interne. Roland Hoffman, un citoyen allemand sans caract�ristique particuli�re, ach�te, un jour, un livre �vraiment dr�le� et s�arr�te dans une for�t, pr�s de la ville d�Elmstein, dans le sud-ouest de l�Allemagne. Il se cale dans sa voiture et se met � lire en riant � gorge d�ploy�e. Autre plan : une femme entre dans la m�me for�t. Elle entend des cris bizarres qui ressembleraient, selon elle, � ceux d�une personne qu�on torture. Elle ne sait naturellement pas que ce ne sont que les rires de Roland Hoffman. Persuad�e d�avoir d�couvert l�antre sylvestre d�un tortionnaire en train de supplicier ses victimes, elle pr�vient par t�l�phone la police de la ville qui rapplique par la voie des airs. Un ballet d�h�licopt�res flotte vers le refuge du terroriste. Le lecteur, hilare dans sa voiture gar�e sur le bas-c�t�, se retourne et voit, � travers la vitre, une escouade de policiers harnach�s comme pour une guerre. Ils cernent sa voiture, armes point�es sur lui. Les flics lui ordonnent de lib�rer son otage. Rien que �a� Mais on comprend vite la m�prise. Il n�est pas bon de rire � haute voix, m�me en se cachant dans sa voiture isol�e dans une for�t. Un �il toujours vous scrute, et une oreille prendra votre rire pour un r�le. Et toujours des pales d�h�licopt�res feront brasser les poussi�res de la peur. La moralit� de cette histoire allemande, c�est le porte-parole de la police d�Elmstein lui-m�me qui la tire : �Certaines personnes pensent qu�il se passe quelque chose d�anormal lorsqu�un Allemand rit spontan�ment.� Bien �videmment, le malentendu n�a pas �t� dissip� dans un fou rire g�n�ral. Personne, en tout cas, ne le dit ! Cette histoire n�a rien � voir avec nous ? Un type qui rigole tout seul dans une for�t en Allemagne en feuilletant un livre rigolo, c�est d�une banalit� ! De tout ce qui nous fait rire dans l�actualit� de cette semaine, au risque de voir atterrir sur son capot des h�licos de combat, le plus marrant est sans doute la reconduction intacte d�un gouvernement momifi�. Nous sommes en Alg�rie, maintenant. Pourquoi causer du rire de l�Allemand lorsque celui de l�Alg�rien tonitrue beaucoup plus pr�s de nos lobes de d�sespoir. J�en ai entendu, dans les caf�s d�Alger et de ses faubourgs, des fous rires fuser pour accueillir l�annonce que le m�me gouvernement rempile, � un pli pr�s. J�en ai entendu des grosses blagues aussi sur le taux de participation et sur le r�sultat de l��lection. �Ils� (on porte toujours le doigt vers les hauteurs en d�signant ces �nigmatiques marionnettistes) �sont forts pour tordre les chiffres�, entend-on dans des esclaffements r�p�t�s. Les Alg�riens, fieff�s commentateurs politiques dans leurs caf�s respectifs, ont vu dans cette forme de l�thargie qui a consist� � ne rien toucher au gouvernement une farce ou un segment de farce s�imbriquant parfaitement dans l��difice tragicomique qui figure la vie politique alg�rienne. Nous faisons semblant de faire et eux font semblant de croire que nous faisons. C�est la philosophie g�n�rale qui tient lieu de pacte social entre gouvernants et gouvern�s. Cette th��tralisation de l�absurde est dans la nature m�me de la politique con�ue par ceux qui tiennent les leviers. Qu�ils fassent rire ou pleurer, et en l�occurrence on assiste aux deux concomitamment ou alternativement, peu leur chaut. D�ailleurs, il leur est �gal d�endosser, involontairement, cela va de soi, le costume d�amuseurs publics pourvu que rien ne trouble leurs plans. Ce n�est jamais mauvais d�avoir � rire. Mais pas � n�importe quel prix. La reconduction du gouvernement en l��tat, laissant sur les bas-c�t�s beaucoup de ceux qui esp�raient prendre ce train-l� du pouvoir, n�est pas une story board pour une histoire comique comme le pays a si peu l�occasion d�en conna�tre. �a fait rire, mais rire jaune ! Car c�est gros, grossier m�me, cette attente qui n�en �tait pas une, cet amendement de la Constitution, cette �lection si co�teuse et si pr�visible, ce leurre, cette soi-disant transformation pour aboutir, in fine, au m�me r�sultat. La montagne a accouch� d�une souris. Comme c�est toujours le cas dans notre cher pays, le risible exprime la tension d�un drame, parfois m�me d�une trag�die. Il porte, au bas mot, un malaise. C�est sans doute ce que nous dit cette reconduction automatique du gouvernement. Il serait profond�ment anormal qu�elle n�ait pas un sens. Que le maintien de tous les ministres et du premier d�entre eux proc�de d�un esprit man�uvrier qui r�sulte lui-m�me de luttes souterraines entre forces d�tentrices du pouvoir se con�oit plus que la fiction qui voudrait qu�on ne change pas une �quipe qui gagne. Qui gagne quoi, je vous le demande ? Et contre qui, surtout ? Encore que pour cette deuxi�me question on ait un d�but de r�ponse : la gagne, c�est contre le peuple, c�est lui qui paye ! Quand on rit de cet immobilisme qui fait p�trifier l�action publique entre les mains des m�mes, ind�finiment, on ne sait pas qu�on se marre en r�alit� d�une r�gression, d�une d�valorisation totale du politique, d�un m�pris pour l�opinion publique et pour ses propres �lecteurs. Mais enfin, on a tellement l�habitude de tout �a que c�en devient risible. Et en avant pour une tourn�e d�hilarit� g�n�rale en attendant que les h�licos nous tombent dessus pour nous apprendre � nous bidonner sans autorisation. A. M. P. S. d�ici 1 : Il n��chappe � personne que le titre de cette chronique est aussi � aussi, je r�p�te, mais pas seulement � un clin d��il au roman de Boualem Sansal, ce grand �crivain banni de chez lui et qui n�a pas la faveur de tous ceux qui ont peur des �mauvaises fr�quentations �. Il n�est pas assez proche du syst�me pour que les journalistes se jettent sur lui pour un oui pour un non. P. S. d�ici 2 : Il n�a �chapp� � personne que, la semaine derni�re, dans la pr�cipitation, mauvaise conseill�re, j�ai m�lang� Tanit et Fennec. Le dr�le de confusion. Plates excuses. P. S. d�ici 3 : Il n��chappera pas � celles et ceux qui ont r�agi � la chronique �Kabyles, huile d�olive et drapeau noir� que si je ne leur ai pas encore r�pondu, c�est pour une raison qui me d�passe : le temps� Promis, je le ferai d�s que possible.