France: ouverture d'une enquête sur les "propos" proférés contre les magistrats qui ont jugé Marine Le Pen    Aïd El-Fitr: respect quasi total par les commerçants du programme de permanence    Coupe de la Confédération: le CSC et l'USMA se neutralisent (1-1)    Coupe de la CAF: le CS Constantine mène devant l'USM Alger 1-0    Tennis/Tournoi M15 Monastir: l'Algérien Samir Hamza Reguig qualifié au 2e tour    ANCA: les commerçants appelés à reprendre l'activité après le congé de l'Aïd    Saïhi s'entretient à Berlin avec la SG adjointe de la Ligue arabe sur la coopération sanitaire    Hidaoui prend part au Sommet de la jeunesse africaine à Addis-Abeba    Le Conseil de sécurité tiendra le 14 avril une réunion d'information sur le Sahara occidental    PME: l'AIF vulgarise le capital-investissement via les banques et les chambres de commerce    Ghaza: le bilan de l'agression génocidaire sioniste s'alourdit à 50.423 martyrs    Saïd Chanegriha préside la cérémonie de présentation des vœux à l'occasion de l'Aïd el-Fitr    ANP: reddition d'un terroriste et arrestation de 5 éléments de soutien aux groupes terroristes en une semaine    Chargés par le président de la République, Saihi et Rebiga participent au 3e Sommet mondial sur le handicap    Festival de fantasia de Bordj Benazzouz: les cavaliers offrent un spectacle haut en couleurs lors de la 4e édition    Séisme de 3,1 à Mihoub, dans la wilaya de Médéa    Epoque coloniale : le liège algérien, une ressource pillée au profit des colons    Arrivée du président de la République à Djamaâ El Djazaïr pour accomplir la prière de l'Aïd El Fitr    Remise en service du train de voyageurs    Football : Suède – Algérie en amical début juin à Stockholm    Le MOB a fait trembler le CRB    Le représentant du département technique en Algérie    Quelles sont les stipulations relatives à l'exigence de capacités minimales en matière de procédure de passation de la commande publique ?    Ooredoo partage un Iftar de solidarité avec l'Association des handicapés moteurs    L'exode sans fin des Congolais    Arrestation de deux dealers en possession de 9000 comprimés de Prégabaline 300 mg    Un plan sécuritaire spécial Aïd El-Fitr    Le ministre des Finances inaugure les bureaux de change    Les pertes de Kiev ont dépassé les 70.000 militaires    « L'industrie génétique américaine est pionnière dans le partage de son savoir-faire »    La bataille de Djebel Béchar, un acte d'une grande portée historique    Le TNA rend hommage à plusieurs figures du théâtre algérien    Le régime des laïcards français partage l'obsession du voile avec son égal islamiste    « L'Algérie et la question des territoires historiques : un droit à la revendication ? »    «La Présidente de la Tanzanie se félicite des relations excellentes unissant les deux pays»    « Préservons les valeurs de tolérance et de fraternité »        L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



ENTRETIEN AVEC CHRISTIANE CHAULET-ACHOUR
�Frantz Fanon est de ceux dont on ne peut effacer la trace�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 21 - 05 - 2009

Le Soir d�Alg�rie : Vous avez publi� un livre, Frantz Fanon, l'importun. Pourquoi l'usage du mot �importun�. Autrement dit, o� r�side l'importunit� de Fanon?
Christiane Chaulet-Achour : Effectivement, lorsqu�il s�est agi de trouver un titre � ce petit livre qui, selon les principes de la collection, ne devait pas �tre un pav� pesant dont les universitaires et sp�cialistes ont le secret et devait �tre accrocheur, je me suis dit qu�il fallait trouver un qualifiant qui �croquait� la perception que l�on a de Fanon, de part et d�autre de la M�diterran�e et du c�t� de sa mer, la Cara�be. Il est celui dont on ne peut effacer la pr�sence, qui d�range, qui g�ne car il nous pousse sur des terrains sur lesquels nous ne souhaitons pas aller. Quand je dis �nous�, je ne pense pas seulement ceux qui d�tiennent les mani�res autoris�es de penser mais toutes sortes de gens. On a toujours quelque chose � �reprocher� � Fanon pour se d�barrasser de lui et faire l��conomie de le lire !
Vous vous int�ressez � Fanon depuis, dites-vous, vos ann�es d'universit� en tant qu'�tudiante, Fanon que vous avez aper�u chez vos parents. Qu'est-ce qui a d�clench� cet int�r�t ?
A l�ind�pendance, c��tait exaltant de lire des pages aussi prenantes sur l�Alg�rie que celles �crites dans L�an V de la r�volution alg�rienne� sur la femme, en particulier et de trouver cela chez quelqu�un qui n��tait pas n� au pays mais qui l�avait adopt� totalement et qui avait donc une distance int�ressante. Comme parall�lement et tr�s vite je me suis mise � lire des auteurs �du tiers monde� comme on disait alors, j�ai constat� combien ses analyses� �le monde colonial est un monde coup� en deux�� etc., faisaient �cho aux paroles des �crivains ayant subi la situation coloniale. C�est s�r que c��tait aussi un nom familier, dans ma famille, et j�ai eu envie d�aller voir du c�t� de ce dont on me parlait avec admiration. Quand j�ai lu Les damn�s de la terre, le chapitre IV m�a aid�e � r�fl�chir � la notion de �culture nationale�. Je n�ai lu Peau noire masques blancs que plus tard.
En quoi le parcours et l'�uvre de ce psychiatre d'origine martiniquaise mort en combattant alg�rien pour l'ind�pendance de l'Alg�rie sont-ils singuliers ?
D�abord pour tout ce que vous venez de dire : psychiatre, Martiniquais, ind�pendance. Il n�est pas mort en combattant au sens propre du terme et une de ses derni�res lettres exprime fortement son regret � ce sujet. Il combattait autrement, �videmment ! Ces trois termes n�ont �t� conjugu�s par personne d�autre m�me s�il y a eu d�autres Antillais qui ont soutenu la lutte alg�rienne de r�sistance au colonialisme. Je pense � Daniel Boukman, � Sonny Rupaire� C�est impressionnant de penser qu�on puisse quitter ce qui nous est proche pour s�engager pour une lutte qu�on estime juste, dans une aventure totalement in�dite et la faire sienne. Quand je lis la conclusion dans Les damn�s de la terre � que j�ai si souvent lue � j�ai la gorge serr�e : �Allons, camarades, il vaut mieux d�cider d�s maintenant de changer de bord. La grande nuit dans laquelle nous f�mes plong�s, il nous faut la secouer et en sortir. Le jour nouveau qui d�j� se l�ve doit nous trouver fermes, avis�s et r�solus. Il nous faut quitter nos r�ves, abandonner nos vieilles croyances et nos amiti�s d�avant la vie. Ne perdons pas de temps en st�riles litanies ou en mim�tismes naus�abonds. Quittons cette Europe qui n�en finit pas de parler de l�homme tout en le massacrant partout o� elle le rencontre, � tous les coins de ses propres rues, � tous les coins du monde.�� L�homme qui �crit cela, qui nous pousse � la lutte et � l�espoir, a 36 ans et il sait qu�il va mourir. Mais ses id�es d�passent son destin personnel. Je trouve cela fort et beau et impressionnant ! Lequel de nous aurait-il pu faire un tel choix ? Le ferait aujourd�hui ?
La pens�e de Fanon a �t� assez bannie de l'espace public, y compris en Alg�rie. Comment expliquez-vous cette occultation, notamment dans l'espace o� elle aurait d�, au contraire, �clore ?
J�ai un peu r�pondu en parlant du choix du qualifiant �importun� : quand quelqu�un, comme Fanon, vous agrippe au corps, dans tous vos muscles, dans votre chair, pour vous emp�cher de sommeiller et d�accepter les choses, ce n�est pas facile de le neutraliser. Il est un emp�cheur de penser en rond, m�me si, sur des points pr�cis, il fait des erreurs � heureusement, c�est un �tre humain ! � mais le souffle de sa voix et de ses analyses est perturbateur de l�ordre �tabli, quel que soit cet ordre. Vous savez, on a toujours balis� les pens�es fortes par des discours d�accompagnement qui les encadrent, les neutralisent : on ne les laisse pas agir en toute libert�. La meilleure fa�on de les neutraliser, c�est de les r�duire au silence.
Fanon est mort jeune, � 36 ans. Son �uvre aurait naturellement matur� s'il avait v�cu plus longtemps. Quelles sont, selon vous, les grandes id�es de lui qui ont marqu� la pens�e contemporaine ?
Un humanisme prospectif qui n�est pas r�duit � une civilisation ou � une culture mais qui se retrouve dans les cultures du monde, du c�t� des opprim�s de pr�f�rence. Son analyse du racisme et de l�exclusion qui n�a pas pris une ride. Sa lucidit� devant les traumatismes occasionn�s par la violence et qui gangr�nent le corps social au-del� de la guerre, au-del� de la torture, au-del� de l�oppression. Sa recherche d�une humanit� nouvelle � faire �clore et non d�une passation de pouvoir des dominants d�hier par ceux d�aujourd�hui. Dans le domaine de la psychiatrie qui n�est pas le mien, je crois que bien des choses qu�il avait exp�riment�es � Blida puis � Tunis seraient un progr�s si on les reprenait dans les soins.
On assiste timidement � un retour de Fanon. Quels sont les grands axes qui font convoquer sa pr�sence ?
En partie ce que je viens de dire : tout ce � quoi Fanon a cru et ce pour quoi il s�est battu ne s�est pas r�alis�. Les violences de toutes sortes gangr�nent le corps social ici et l�, le racisme bat son plein et pas seulement dans les pays nantis. L�exclusion, au nom de toutes sortes de principes, est la r�gle de beaucoup de fonctionnements sociaux� comment ne voulez-vous pas, d�s qu�on met ou remet le nez dans les livres de Fanon, qu�on n�en re�oive pas l�actualit� en pleine figure !
Vous avez assist� � un certain nombre de rencontres sur Fanon, dont le colloque international d'Alger de 1987 que vous racontez dans un article publi� par Alg�rie-Litt�rature-Action. Que pensez-vous de la m�diation de ces rencontres pour la pens�e de Fanon?
La rencontre dont vous parlez fut un moment exceptionnel et qui, sur le moment, a eu un impact pour les quelques centaines de personnes qui ont pu y assister. C��tait important aussi que l�Alg�rie rende hommage, enfin, � celui qui l�avait adopt�e en une p�riode de grands risques. Mais tout n��tait pas rose dans cette r�ception et des journaux ont d�nonc� Fanon l��tranger, etc. Mais pour qu�il y ait v�ritablement impact, il aurait fallu que les actes de ce grand colloque soient publi�s. Ce qui ne fut jamais fait. La rencontre publique (colloque ou autre) est importante : elle r�veille et f�d�re mais elle perd son effet si elle n�est pas relay�e par une trace �crite. Si l�on parle encore du colloque de Fort-de-France, v�ritable pari de Marcel Manville, avocat et ami de Fanon � ami de l�Alg�rie aussi � pour �rendre Fanon aux siens�, c�est parce qu�il a �t� publi�. La m�me chose pour le colloque de Brazzaville, pour le num�ro des Temps Modernes consacr� r�cemment, en partie, � Fanon, etc. Il est plus que regrettable que son pays d�adoption l�ignore autant que la France alors que les Etats-Unis et d�autres pays ont su reconna�tre son apport.
Quel �tat des lieux peut-on �tablir de la pr�sence de Fanon aujourd�hui � travers le monde ?
Ce serait tr�s pr�somptueux de ma part de r�pondre � une telle question car je n�ai pas toutes les informations. Mais je pense qu�il y a un retour � Fanon qui est en retard par rapport aux pays de langue anglaise mais qui se fait dans les pays de langue fran�aise. Un peu partout, Fanon est traduit, ce qui est la preuve de l�int�r�t qu�on lui porte.
Propos recueillis par Bachir Aggour
Biobiblio
Christiane Chaulet-Achour, n�e le 22 mars 1946 � Alger, est actuellement professeur de litt�rature compar�e et francophone � l'Universit� de Cergy-Pontoise, depuis septembre 1997. Elle a enseign� ant�rieurement � l�Universit� d�Alger, de 1967 � 1994. Elle a d� quitter l�Alg�rie � cette date mais y a toujours fait et fait des s�jours r�guliers. Sp�cialiste de la liaison entre la place et la fonction du fran�ais dans la p�riode coloniale et post-coloniale et de l��criture litt�raire, elle a publi� de nombreuses �tudes (articles et ouvrages) sur la litt�rature alg�rienne (et plus largement maghr�bine), sur la litt�rature du Machrek ainsi que sur la litt�rature antillaise. A la jonction de ces deux espaces, l��uvre de Frantz Fanon, cet Alg�rien antillais, l�accompagne depuis sa formation � l�Universit� d�Alger comme r�f�rence indispensable sur les effets multiples des dominations. Sp�cialiste de la liaison enseignement du fran�ais et �criture litt�raire, de l�intervention linguistique en situation coloniale puis post-coloniale, elle a publi� de nombreuses �tudes sur la litt�rature maghr�bine, sur la litt�rature de la Cara�be. Ses recherches portent tout particuli�rement, depuis de longues ann�es, sur les �critures des femmes des Suds, d�Alg�rie et d�ailleurs et sur les rapports entre le Maghreb et le Machrek et la France avec une attention particuli�re d�une part, pour Les Mille et une nuits et l'imaginaire litt�raire contemporain et, d�autre part, les ph�nom�nes de la violence (guerre, viol, esclavage). Elle est aussi directrice d�une collection aux �ditions Le Manuscrit, Paris, �F�minin/Masculin�.
htpp//www.christianeachour.net

SIGNET
Fanon, le come-back
On a encore beaucoup � apprendre de Frantz Fanon. Oubli�, effac� presque de la surface des id�es, il rebondit aujourd�hui � la faveur de crises port�es en germe par les situations qu�il d�crivait dans ses ouvrages visionnaires. De quoi avait parl� ce psychiatre martiniquais mort dans la peau d�un th�oricien de la R�volution alg�rienne ? De colonialisme, de racisme, de violence, d�injustice, d�ali�nation. Mais aussi de n�cessit� de combattre les trois premiers ph�nom�nes et de se lib�rer du quatri�me. La plupart des id�es d�velopp�es par Fanon, arrach� � la vie et � sa r�flexion pr�matur�ment par une leuc�mie en 1961 � 36 ans, trouvent leur prolongement dans la r�alit� d�aujourd�hui. Apr�s que ses �crits eurent servi de bible aux mouvements de lib�ration nationale essentiellement en Afrique et aux mouvements des Blacks Panthers aux Etats-Unis, le brusque d�clin des id�es r�volutionnaires, conjugu� � l�amn�sie s�lective des siens, c�t� alg�rien en tout cas, les ont pr�cipit�s dans la d�su�tude. Passag�re. Les d�sordres du monde d�aujourd�hui les ont exhum�s. Et Fanon devient une cl� pour comprendre et agir sur l�histoire en train de s��crire au jour le jour. Ce retour de Fanon sur la sc�ne intellectuelle a inspir� � Christiane Chaulet-Achour un essai, Fanon, l�importun dont il est question dans l�entretien ci-apr�s. L�essai est la r�union de conf�rences de l�auteur ainsi que des cours consacr�s � Fanon. La d�marche de l�auteur est d�aider � comprendre Fanon � travers la lecture de ses textes. Elle d�gage aussi des lignes de lecture pour ceux qui d�couvrent le texte de Fanon aujourd�hui. O� on d�couvre la fra�cheur renouvel�e d�une pens�e que certains ont vite enterr�e.
B. A.
Frantz Fanon l�importun, Chaulet Achour, Christiane.
Montpellier, Editions Ch�vre-feuille �toil�e.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.