Je t��cris ici parce que je pr�f�re la lumineuse clart� des colonnes publiques au froid anonymat des messages �lectroniques et, surtout, parce que des lecteurs, tr�s nombreux, m�ont dit de te transmettre leurs chaleureuses salutations. Je voulais qu�ils sachent que je n�ai pas failli et que je t�ai fait parvenir leurs pens�es fraternelles. Ceci prouve que ces derniers ne t�ont pas oubli�. Ils nous donnent une bonne le�on de fid�lit� que nous devons m�diter, nous autres journalistes qui n�avons pas su t�accompagner dans ces moments de grande solitude qui ont suivi ta lib�ration. Ils nous interpellent sur la notion de solidarit�, nous disant : �Si vous avez failli vis-�-vis des morts, cette centaine de journalistes tu�s par les hordes int�gristes, essayez au moins de vous rattraper en honorant leur m�moire par des gestes de solidarit� en direction de celui qui a donn� deux pr�cieuses ann�es de sa vie � votre combat collectif pour la libert� de la presse !� Durant ta longue incarc�ration, nous avons essay� de tout faire pour que ton sacrifice ne tombe pas dans l�oubli. Nous savions que tu pouvais sortir des ge�les quand tu le voulais, mais le prix � payer �tait trop cher ! Ta dignit� et ton honneur ne pouvaient s�en accommoder. Sortir la t�te basse en donnant l�impression de t�excuser n��tait pas une attitude qu�on pouvait imaginer venant de ta part ! Tu es rest� jusqu�au bout de ta peine, belle le�on de courage et preuve irr�futable de ta d�termination � confondre tes bourreaux. Quand on est innocent, on a la conscience tranquille� Durant toute cette p�riode noire pour toi et ta famille, nous avons essay�, ici et modestement, de rappeler quotidiennement ton calvaire � travers un compteur qui livrait aux lecteurs le nombre de jours pass�s en prison. C��tait notre mani�re � nous, tes amis et fr�res du Soir d�Alg�rie, de lutter contre l�oubli et la l�chet� ! Dans ma chronique hebdomadaire, je t�envoyais un petit coucou pour te dire que nous sommes toujours fid�les � l�amiti�, au combat commun pour les id�es de justice et de progr�s et � tout ce qui nous a li�s dans notre long parcours au sein de la presse nationale. Tu ne peux pas imaginer la joie et la fiert� que j�ai ressenties le jour o� tu d�clarais � un groupe d�amis que ces petits P.S. anodins t�avaient aid� � r�sister et � garder l�espoir, au m�me titre que toutes les actions de solidarit� en Alg�rie et dans le monde. Comme quoi, on peut toujours faire quelque chose et m�me si ce n�est pas important, si l�on manque de moyens et que l�on n�est pas s�r du r�sultat, il faut toujours tenter de s�opposer au mensonge, � la calomnie et � la r�pression. Il faut toujours garder le moral et se dire que demain sera meilleur. Mais il ne peut �tre meilleur que si nous nous armons de courage et de patience, que si nous arrivons � refouler la peur, que si nous nous unissons� Dans l�un de ces P.S., je t�avais invit� � venir chez moi � M�daourouch, d�s ta sortie de prison, pour partager avec quelques amis un m�choui maison. Je te disais aussi, au cas o� ce d�placement poserait probl�me, de venir � Annaba pour trois jours de repos� Et tu es venu ! La chaleur avait annul� le voyage � Madaure mais nous avons pass� trois merveilleuses journ�es ensemble faites de sensations fortes, d�images inoubliables et d�immense espoir. Le premier soir, tu faisais honneur � cette table dress�e au bord de la mer o� j�avais r�uni quelques confr�res et amis qui t�attendaient avec impatience. Tu �tais surpris par l�accueil chaleureux que t�avaient r�serv� les clients anonymes de ce restaurant populaire. Ils venaient vers toi pour t�embrasser. A un certain moment, tu as d� penser que j�avais convoqu� tout ce beau monde pour te faire plaisir ! Non, Mohamed, c��tait spontan� ! Authentique et chaleureux comme cette Alg�rie profonde qui sait dire merci � ceux qui la d�fendent au prix de leur libert�. �Merci, brave homme !�, �Bravo !� �Tu es un homme digne, Mohammed !� �Permettez-moi de vous embrasser et de vous dire merci, Monsieur Benchicou !�� C��taient des paroles vraies, sorties du fond du c�ur. Et tu en entendras d�autres, partout o� tu iras durant ton bref s�jour � Annaba. Tu les aurais entendues � Oran, Constantine ou Tlemcen ! A Ouargla, T�bessa ou Tizi-Ouzou ! Tu les aurais entendues � Miliana, ta ville natale, o� j�ai longtemps err� � la qu�te de ce quelque chose de magique qui fait na�tre l�-bas, au c�ur de l�imposant Zaccar, le souffle des rebelles. Juste une nouvelle : l�endroit o� nous avions mang� du bon poisson ce soirl� est ferm� par d�cision administrative. Le lendemain, une �thekchoukha� nous attendait � 900 m d�altitude, chez cet �migr� venu au bled pour investir dans le tourisme, transformant une villa coloniale en un superbe restaurant avec l�in�vitable chemin�e et la terrasse ombrag�e. Nous �tions � Sera�di, ex-Bugeaud, et tu �tais subjugu�, comme tous ceux qui y viennent pour la premi�re fois, par la beaut� sublime des lieux et l�air pur qui gonfle les poumons et colore les joues des montagnards. Tu es rest� bouche-b�e devant le spectacle majestueux qu�offrent les rivages escarp�s vus du balcon de l�h�tel �El Mountazah�, collier de perles �blouissantes dans leur �crin verdoyant ! Je garde la photo que nous avions prises ensemble pour immortaliser ce moment d�intense bonheur et de fraternit� pure. Je la revois avec plaisir sur des sites Internet ! Malheureusement, cher ami, j�ai le regret de t�informer qu�ils ont �galement ferm� �La belle �poque� o� nous avions d�gust� la �tchekhchoukha� offerte par un ami ! Le troisi�me jour, je t�offrais le m�choui de M�daourouch, mais sans Madaure. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois. C�est au cours de cette nuit qu�un des m�decins pr�sents parmi nous, ayant remarqu� ta mani�re de te tenir, te demanda de passer le lendemain dans une clinique bien �quip�e de Annaba. L�accueil des responsables de l��tablissement et du personnel m�dical fut � la hauteur de ta r�putation. Tu �tais entour� de tant de sollicitudes et d��gards que tu en �tais g�n�. Ta timidit� l�gendaire en souffrait. On voulait te garder dans cette clinique pour approfondir les investigations mais tu avais tes obligations et tu devais regagner Alger le lendemain. Tu me dis, � chaque fois, que tu gardes de ce voyage les meilleurs souvenirs et tu n�oublies jamais de me charger de saluer tous les amis de Annaba, les m�decins, les confr�res, �Khali� et tu insistes particuli�rement pour que je transmette tes salutations aux petits serveurs. Je le fais toujours, Mohammed, et cela me rappelle nos petits bistrots alg�rois des ann�es 1970 o� nous �tions plus que copains avec tous ces modestes travailleurs qui nous le rendaient bien en nous faisant cr�dit. Dans cet Alger magique et sans cesse renouvel�, dans cette soci�t� fraternelle et tol�rante qui n�avait pas encore d�couvert l�hypocrisie et la l�chet�, nous r�vions d�un pays sans barreaux ; un pays o� les travailleurs ne seraient pas exploit�s, o� la justice ne m�prise pas les pauvres, o� le progr�s p�n�tre toutes les maisonn�es, o� le sourire des enfants sera plus fort que toutes les r�pressions. Lors de cette formidable parenth�se o� nous avions impos� des comit�s de r�daction dans nos journaux, gr�ce � des recommandations fermes de l�Union des journalistes alg�riens, nous avions pu transformer El-Moudjahid. Ce quotidien devenait, pour quelques mois, le reflet fid�le des pr�occupations des citoyens avec de grandes ouvertures en �une� sur la p�nurie de lait ou la corruption. Et puis vint ce titre gigantesque qui r�concilia les lecteurs avec leur journal �Alger noy�e�. C��tait au lendemain d�une �ni�me inondation des bas quartiers de la ville due � l�incurie des responsables que nous pointions clairement du doigt ! �C��tait la joie. Mais elle fut de courte dur�e : � la fin de l�ann�e 1984, nous d�cid�mes de mettre fin � l�exp�rience, puisque nous ne pouvions aller plus loin : je d�missionnais de mon poste de r�dacteur en chef adjoint, suivi de Omar Belhouchet (chef de la rubrique �conomique o� tu te trouvais). Kheiredine Ameyar (chef de la rubrique nationale) l�avait fait quelques semaines auparavant. En grand philosophe, Hamdi Ahmed r�p�tait : �Je vous avais dit que �a ne marcherait pas�� Je peux aussi citer cette p�tition que nous sign�mes ensemble pour d�noncer la mani�re dont notre journal avait trait� les manifestants du Printemps berb�re de 1980. Et il y a mille autres souvenirs que nous avons feuillet�s ensemble au cours de ton bref s�jour, juste pour nous dire : �Malgr� tout, ce fut formidable !� Cher ami, cet article est un hommage � ta plume et � ton courage � la veille du troisi�me anniversaire de ta lib�ration. Nous n�oublierons jamais ton calvaire et les le�ons que tu nous as apprises. Il en est une qui restera vivante dans nos m�moires, pareille � un phare qui guide nos �crits et �claire notre d�marche ; c�est ce qui nous donne la force de continuer et d�esp�rer que la lumi�re l�emporte sur l�obscurit� ; c�est ce qui nous donne la force de croire en ce que nous faisons ; c�est ce qui fait reculer nos petites peurs et nos l�chet�s, nos �go�smes petit-bourgeois et nos tentations multiples ; c�est cette phrase, la premi�re, que tu as prononc�e � ta sortie des ge�les : �N�ayez pas peur de leur prison !� Merci Mohammed et fais-moi signe si tu veux venir � Madaure� M. F. P.S. 1: je garde pr�cieusement ton livre de chevet lors de ta longue incarc�ration � un recueil de po�mes de Pablo Neruda �, celui que tu m�as offert en me recommandant de ne pas le nettoyer des salet�s accumul�es sur la couverture. C�est le plus beau cadeau que j�ai re�u ! J�y lis cette d�dicace : �A Ma�mar mon fr�re, mon ami de solitude. Ce livre qui sentira toujours la prison d�El-Harrach et l�amiti�, Mohammed Benchicou.� PS 2 : La suite de �La grande harba� la semaine prochaine.