La question nodale de l��mergence de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise dans le contexte colonial est n�cessaire pour l'�criture d'une histoire litt�raire unifi�e, une histoire ouverte et sans exclusive. Elle souffre, aujourd'hui encore, de graves m�prises, plus particuli�rement en ce qui concerne sa datation et sa qualification : 1 - Le mot d'ordre d'une litt�rature nationale alg�rienne lanc� par Louis Aragon dans un compte- rendu de L'Incendie de Mohammed Dib ( A propos de deux livres de Mohammed Dib. Un roman qui commence, Lettres fran�aises, n� 164, du 8 au 15 juillet 1954), repris par la suite par Mohamed Abdelli (1956) et Michel Parfenov (1960), a montr� assez t�t le caract�re discriminant d'une critique naissante de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise. 2- La th�orie spontan�iste de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise, qui essaime dans de nombreux travaux universitaires depuis l'ind�pendance et fonde de mani�re malheureusement restrictive et lacunaire les �tudes litt�raires alg�riennes de langue fran�aise, a �t� propos�e par Mostafa Lacheraf, en 1963. Elle rapporte la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise aux exp�riences d'�crivains �par ordre d'apparition Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Malek Haddad, Assia Djebar et plus r�cemment Mourad Bourboune� ( L�Avenir de la culture alg�rienne, Les Temps modernes, n� 209, octobre 1963). En fait, il s'agit dans cette �num�ration de la litt�rature des ann�es 1950. Lacheraf pose un principe simple et ruineux : �Il faut dire que cette litt�rature alg�rienne de langue fran�aise, techniquement parlant, relevait presque de la g�n�ration spontan�e, tellement elle approchait d'une certaine perfection formelle.� Or, cette construction apor�tique, qui privil�gie l'instant et r�pudie l'histoire, efface concr�tement tout ce qui a pu exister avant 1950 et qui, le plus souvent, �tait m�connu par les critiques et historiens qui apparaissent dans le champ litt�raire alg�rien des ann�es 1960-1970. Leur savoir de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise allait donc se projeter dans une b�ance de l'histoire litt�raire, induisant une r�elle ignorance des parcours d'auteurs et de leurs productions, et aussi � dans un irr�pressible malentendu � dans des pr�suppos�s th�oriques jamais valid�s. La th�orie spontan�iste, en ses pittoresques variations d'�pigones, qui oppose au ph�nom�ne de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise une sorte de tabula rasa est fondamentalement alg�rienne. En 1963, les propos r�ducteurs de Mostafa Lacheraf s'inscrivaient dans une pol�mique d'intellectuels et dans une confrontation d'id�ologues sur le fait culturel national dans une p�riode �chevel�e de r�am�nagements structuraux de la postind�pendance, qui fut aussi une p�riode d'anath�mes et d'exclusion. Il fallait donc gommer tout ce qui ne relevait pas de l'id�e nationale dans la litt�rature et dans les arts. La position spontan�iste de Lacheraf sera reprise et amplement vulgaris�e par Jean D�jeux (1969, 1976) et ses nombreux disciples en France, aux Am�riques et surtout en Alg�rie, sans le b�n�fice de l'examen critique et souvent dans l'exc�s. Entre le crit�re fortement id�ologique d'une �litt�rature nationale�, engag�e dans un processus politique de lib�ration et de souverainet�, et une d�limitation th�oriquement non fond�e de l'�ge du litt�raire, il n'y aura pas de place pour tout ce qui a pu s'�crire par des Alg�riens avant 1950. Toutefois, la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise n'est ni la fille d'un soubresaut national, celui du 1er Novembre 1954, ni elle n'est limit�e dans le temps. Elle rel�ve d'une laborieuse et lente maturation, t�moignant d'autres r�f�rences et positionnements de ses acteurs et de ses �uvres dans l'histoire de la colonie. Un acte de naissance troublant Ceux qui ont d�cid� � rebours, au sortir de la guerre d'ind�pendance, de sanctionner les expressions litt�raires d'avant 1950 le font au nom d'attentes strictement politiques, marqu�es du sceau du nationalisme. Cependant, il n'y a pas, avant 1950, d'expressions litt�raire et artistique qui auraient pu accompagner un mouvement politique, nationaliste et ind�pendantiste. Dans l'histoire politique de la sph�re indig�ne telle qu'elle se construit depuis l'av�nement de la IIIe R�publique et le gouvernement civil des colons, les seuls nationalistes reconnus se liguent apr�s la Grande Guerre dans les rangs de l'Etoile nord-africaine, organisation issue de l'�migration alg�rienne en France, vaguement ouvri�riste et m�tin�e de religiosit�, �voluant ensuite dans le PPA et le MTLD, tardif parti interclassiste qui n'a rien gard� des dogmes �toilistes. Et pr�cis�ment, du fait m�me de sa base sociale, form�e de paysans en rupture de terre et peu scolaris�e, la mouvance nationaliste n'a pas donn� avant 1950 d'auteurs � la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise, plus nettement � la litt�rature de fiction. Ceux-ci viendront essentiellement des �lites de l'ancien r�gime f�odal (Vieux Turbans), des r�formateurs r�publicains (Jeunes Turbans vers la fin du XIXe si�cle, Jeunes Alg�riens, F�d�ration des �lus, UDMA), des communistes (PCA) et de mouvements associatifs qui se proclamaient fonci�rement apolitiques, comme l'Association des instituteurs alg�riens d'origine indig�ne ou l'Association des oul�ma musulmans d'Alg�rie, f�odaux, clients de la France coloniale, bourgeois poss�dants des cit�s, grands propri�taires ruraux, classes moyennes issues de l'�cole coloniale et du m�rite scolaire, ouvriers et artisans form�s dans la proximit� du Parti communiste, voil� avant 1950 les profils sociologiques des �crivains indig�nes de langue fran�aise. L'id�e nationale n'a jamais �t� � sinon confus�ment � exprim�e dans les actions politiques de ces intelligentsias qui pensaient jusqu'au d�but des ann�es 1950 qu'il �tait encore possible d'amender le colonialisme. Jusqu'� quel point l'id�e nationale, telle qu'elle apparaissait chez l'ENA, au PPA (depuis sa naissance en 1937 jusqu'� sa formation paramilitaire, l'OS, en 1947-1950), au MTLD et ses structures satellitaires au moment de son implosion (centralistes, messalistes, CRUA), a pu susciter une litt�rature ? Si l'on exclut les br�ves incursions dans l'�criture politique de Benali Boukort (venu du PCA), Abdelaziz Menouar, Amar Imache, Messali Hadj, Idir El- Watani [signature collective de Mabrouk Belhocine, Sadek Hadjer�s, Yahia Henine], signant de virulents factums dans les ann�es 1930-1940, quels sont � avant 1950 � les noms d'auteurs nationalistes �crivant des textes de fiction en langue fran�aise ? Il n'y en a simplement aucun. Y at- il une raison � cela ? Les nationalistes furent-ils, en dehors des cadres �triqu�s de leurs journaux et de leurs rageuses pol�miques de tribunes de congr�s, des taiseux, peu enclins � la sublimation de leur combat ? Pour la premi�re fois dans le champ litt�raire indig�ne, dans la marge des partis politiques et malgr� la censure coloniale, l'id�e nationale est repr�sent�e au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par Abdelkader Mimouni et le groupe disparate d'auteurs qu'il regroupe dans sa librairie et maison d'�dition En- Nahda. Membre du bureau d'Alger des AML, proche de l'UDMA, Mimouni publie des auteurs aussi diff�rents que pouvaient l'�tre Abdelaziz Khaldi, Malek Bennabi, Mohand-Ch�rif Sahli et le jeune Kateb Yacine, remuant � la fois les gloses compass�es des oul�ma et une lecture �cum�nique de l'histoire alg�rienne, de Jugurtha � l'�mir Abdelkader. La guerre d'ind�pendance sous la banni�re du FLN � qui restera, dans la continuit� de l'ENA, le PPA et le MTLD, r�solument ferm� � la culture dans son programme politique � apportera- t-elle la d�cantation n�cessaire ? Face aux atermoiements du roman, recrutant essentiellement � dans ces ann�es 1950 � dans les classes moyennes, tr�s timor�es devant l'id�e nationale, seule la po�sie (Djamila Amrane [Danielle Minne], Messaour Boulanouar, Le�la Djabali, Anna Greki, Nadia Guendouz, Bachir Hadj Ali, Malika O'Lahsen, Annie Steiner, Z'hor Zerari), sautant souvent par-dessus les hautes murailles des prisons, �chappant aux contraintes institutionnelles de l'�dition et lue dans la clandestinit� des maquis et des cellules des villes, est r�volutionnaire. Et, encore une fois, cette po�sie sourdant de toutes les violences, tissant la trame de la nation future, sortira � � l'exception du rare Hassan Chebli, militant typique du PPA � Skikda, vrai baroudeur de l'OS et ami des Muses � des cat�gories sociopolitiques �ligibles avant 1950 � l'�criture litt�raire fictionnelle. En Alg�rie, les noces du nationalisme et de la litt�rature ont �t� certainement longues � se d�cider ; elles sont plus le fait d'une po�sie r�fractaire � et accessoirement d'un th��tre en exil � que d'un roman, bourgeoisement install� dans les salons litt�raires du quartier latin. Apr�s le 1er Novembre 1954, et en raison m�me de la guerre d'ind�pendance, le d�ni de la p�riode litt�raire d'avant-1950, la surench�re nationale qui devra beaucoup � Aragon, le �spontan�isme � critique de Lacheraf, laisseront des traces. Suffisamment, en tout cas, pour que de jeunes �tudiants et chercheurs de litt�rature alg�rienne de langue fran�aise de Taguemount Azzouz, Tamalous, El-Bayad et M�rouana continuent aujourd'hui d'en affirmer depuis Paris et Lyon, Montr�al et New York, Alger, Constantine et Oran, un acte de naissance qui restera toujours troublant, r�p�t� comme une intransigeante v�rit�. Et qui ne dit qu'une injuste �viction. La singuli�re le�on des chiffres Depuis la fin des ann�es 1970, de nombreux travaux d'universitaires alg�riens (Christiane Achour, 1990 ; Abdelkader Djeghloul, 1977, 1984, 2005; Ahmed Lanasri, 1981, 1986, 1995 ; Abdellali Merdaci, 1982, 2003a,b,c, 2006, 2007, 2008 a, b ; Hadj Miliani, 1982, 1990, 2007) et �trangers (Peter Dunwoodie, 2003 ; Ferenc Hardi, 2005, Paul Siblot, 1980, 1989) ont pu marquer, malgr� leur grande diversit� d'approches, la n�cessit� d'un retour � une conception �largie de l'histoire de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise de la p�riode coloniale. Hors de toute tentation de rejet et de d�classement des parcours, des �uvres et des auteurs. Parlant de l'enseignement de l�histoire litt�raire fran�aise, Roland Barthes pouvait noter : �[�] L�histoire litt�raire fran�aise est faite des censures qu�il faudrait inventorier. Il y a � on le sait, on l�a d�j� dit � toute une autre histoire de notre litt�rature � �crire, une contre-histoire, un envers de cette histoire, qui serait l�histoire de ces censures pr�cis�ment� ( R�flexion sur un manuel, dans Serge Doubrovsky et Tzvetan Todorov : L�enseignement de la litt�rature, Colloque de Cerisy, Bruxelles- Paris-Gembloux, de Boeck- Duculot, 1978). Et relativement � l'�criture de l'histoire de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise de la p�riode coloniale, il convient de surmonter toutes ces censures, aux motivations les plus prohibitives, o� se m�lent, d'une part les arguments infaillibles de l'engagement politique nationaliste et, de l'autre, les crit�res pseudo-scientifiques de la litt�rarit�. M�me si elle continue � �tre ignor�e, m�me si elle n'est pas lue, enseign�e et inscrite dans les programmes de recherche, il y a bien eu avant 1950 une litt�rature alg�rienne de langue fran�aise. Au-del� de la commode imputation n�gative des choix politiques et id�ologiques dominants de la p�riode et des intentions d'auteurs et d'�uvres, il y a la singuli�re v�rit� des chiffres. Entre 1833, date de publication de la premi�re oeuvre �crite directement en langue fran�aise par un Alg�rien (Ahmed Bouderba, R�flexions sur la Colonie d'Alger. Sur les moyens � employer pour la prosp�rit� de cette colonie) et juillet 1962, fin de la p�riode coloniale, 394 textes ont �t� publi�s en volume, selon les normes �ditoriales admises par l'Unesco. La r�partition de cette production entre les p�riodes d'avant et d'apr�s 1950 donne les indications suivantes : 229 oeuvres (soit 58,12 %) ont �t� �crites et publi�es avant 1950, pour 165 (41,88%) qui l'ont �t� depuis 1950. Ces indicateurs statistiques marquent, quantitativement, la pr�pond�rance des �uvres de la p�riode d'avant 1950 et informent de la sp�cificit� g�n�rique de ces deux p�riodes : - Avant 1950 : Fictions (55, soit 37,17% de la production de la p�riode). Essais (174, soit 62,83 %). - Depuis 1950 : Fictions (93, soit 62,83% de la production de la p�riode). Essais (72, soit 29,27 %). On observe, ainsi, que pour les deux p�riodes les strat�gies d'entr�e dans la litt�rature ne requi�rent pas les m�mes positions esth�tiques et g�n�riques. La surabondance de l'essai, avant 1950, et son relatif recul apr�s, d�finissent des profils d'auteurs et des positionnements dans le champ litt�raire et orientent les comp�titions autour de la l�gitimit� litt�raire. A partir de 1950, et en raison m�me de l'�volution radicale de la question nationale et de la guerre d'ind�pendance, l'essai c�de devant la fiction qui subsume la lecture du r�el fragment� d'une colonie finissante. Sans doute, la p�riode de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise, qui commence en 1950 et s'ach�ve avec l'ind�pendance, reste la plus visible et la plus lisible, mais elle ne doit pas justifier d'�carter celle d'avant. Les caract�ristiques de toute litt�rature sont d'�tre topique, appelant ses interpr�tations � partir de ses contextes d'�nonciation. On ne peut comprendre une litt�rature qu'avec les r�gles � sociales, �conomiques, juridiques et litt�raires - qui l'ont produite. Re�ue en fonction des attentes des ann�es 1950, et de l'apr�s-ind�pendance, la litt�rature d'avant 1950, charriait des tares irr�missibles, incrimin�es par des lecteurs et des critiques qui ne l'ont jamais lue. Pour une histoire unifi�e La litt�rature alg�rienne de langue fran�aise de la p�riode coloniale, comme les litt�ratures de langue berb�re et arabe, est le produit d'�lites, confront�es aux dynamiques du changement sociopolitique, �conomique et culturel de la sph�re indig�ne. Son �volution, d�s 1833, a pu correspondre � celle du march� linguistique et de ses cibles potentielles dans la soci�t� domin�e, de ses avanc�es comme de ses reculs, dans la colonie. Au XIXe si�cle, beaucoup d'Alg�riens ont pu �crire en langue fran�aise, essentiellement des essais, des ouvrages didactiques et des traductions litt�raires. Mais, bien avant le centenaire de l'Alg�rie coloniale, quelques �v�nements litt�raires d�signent d�j� les promesses d'une litt�rature alg�rienne de fiction. Le premier texte litt�raire de cette cat�gorie est une nouvelle La Vengeance du cheikh, publi�e en 1891, par M'hamed Ben Rahal. Il est suivi par les romans de Omar Samar (Zeid Ben Dieb), Ali, � mon fr�re! et Divagations d'�mes, roman de moeurs mondaines et exotiques, en 1893 et 1895, et par le r�cit de Mustapha Allaoua Le Faux talisman, en 1893. Mohamed Abdoun ( L�Aurore et la m�daille d'argent, 1902), pour le conte, Didi Kassem ( Les Chants du nadir, 1910) et S. Oudiane ( Caravane, 1925), pour la po�sie, compl�tent le tableau g�n�rique. Signant plusieurs contes en 1928 et 1929, Yasmina Larab est la premi�re femme dans les lettres alg�riennes de langue fran�aise. Il serait exag�r� de dire que les textes de ces auteurs, comme ceux de cette p�riode d'avant 1950, ne s'offrent qu'� une lecture univoque et positivement post-coloniale. Du point de vue institutionnel, cette litt�rature indig�ne alg�rienne �mergente cultivera tous les refoulements : elle ne fera pas partie de la litt�rature europ�enne d'Alg�rie, ni de celle de l'�ge d'or des �vrais colons� (Musette, Chaseray, Bertrand), ni de celle des Alg�rianistes (Randau, Lecoq, Courtin, Fabri, Hagel) et, encore moins, de l'�cole d'Alger (Camus, Fr�minville, Robl�s, Roy, Moussy). Loin des c�nacles litt�raires coloniaux, elle ne pouvait que forger son propre parcours, erratique, solitaire et minoritaire. L'adoubement d'Abdelkader Hadj Hamou dans les instances organiques de l'Association des �crivains alg�riens, dont il devient en 1933 le vice-pr�sident, aux c�t�s de Jean Pomier, revendiqu� comme indiscutable preuve de compromission, reste assez exceptionnel pour marquer une jonction des auteurs indig�nes avec la litt�rature du peuplement europ�en d'Alg�rie. Soigneusement occult�e par l'histoire litt�raire coloniale, par sa critique et par son lectorat, la litt�rature indig�ne de langue fran�aise d'avant 1950 ne sera recens�e que bien tardivement, dans d'audacieuses mais incompl�tes synth�ses acad�miques de Gabriel Audisio et d'Eug�ne Simon, vers la fin des ann�es 1940, au moment pr�cis�ment de la liquidation du mouvement litt�raire alg�rianiste et du repli parisien des principaux animateurs de l'�cole d'Alger. Cette litt�rature, �dit�e le plus souvent dans des circuits parall�les, parcimonieusement diffus�e, orpheline de lecteurs et de critique, ne pouvait se garantir de l'oubli. Cet oubli n'en deviendra que plus �vocateur au d�but des ann�es 1950 : une nouvelle g�n�ration d'�crivains indig�nes, tirant les dividendes de l'aggiornamento politique de la colonie, notamment les ouvertures politiques de l'int�gration, trouvera - vaille que vaille apr�s le 1er novembre 1954 - l'hospitalit� de l'�dition parisienne, r�agissant � une pressante actualit� insurrectionnelle. Ni colonialiste, ni nationaliste, cette litt�rature de �l'entre-deux� ne pouvait qu'�tre, dans chacun des camps, vou�e aux enfers des biblioth�ques. Pourtant, elle nous interpelle, aujourd'hui, comme une incontournable archive du fait litt�raire et du fait culturel, tous deux d�terminants dans l'histoire d'une p�riode coloniale qui reste encore � �tudier. L'historien de la litt�rature ne peut avoir la vocation du censeur, ni de l'officier � charge, pour �pouser la cause de quelque camp que ce soit de la p�riode coloniale. Il a le devoir de comprendre et d'expliquer les id�es et les d�marches des acteurs, d'en probl�matiser les logiques dans l'espace et dans le temps, mais pas d'en �valuer la pertinence. La litt�rature alg�rienne de langue fran�aise d'avant 1950 ne peut �tre lue qu'� travers ce qui constitue son essence, toujours volatile et changeante. Comme toutes les litt�ratures dans le monde, cette litt�rature a connu des mutations dans ses repr�sentations formelles comme dans ses th�mes. Elle a distingu� de remarquables novateurs, comme Omar Samar, qui exp�rimente dans Ali, � mon fr�re !, bien avant Les Faux monnayeurs (1925) de Gide, la structure en abyme du r�cit, d'in�galables rh�teurs comme le Ferhat Abbas du Jeune Alg�rien (1931), la po�sie exigeante de Jean Amrouche et, surtout, un romancier polyphonique, Ali El Hammami, l'auteur d' Idris, roman nord-africain (1948), dont l'architecture du r�cit hybride � � la mani�re de Dos Passos qu'il n'a jamais lu - histoire et fiction. Peut-on continuer � ostraciser longtemps encore, notamment dans les universit�s, cette p�riode d'avant 1950 et proclamer faussement une premi�re �mergence de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise autour des ann�es 1950 ? La litt�rature d'avant 1950 � qui met en �vidence les noms et les travaux d'Ahmed Bouri, Mohamed Ben Cherif, Choukri Khodja, Sa�d Guennoun, Mohamed Ould Cheikh, A�ssa Zehar, Malek Bennabi, Roland Rhais, Rabah et Akli Zenati, Djamila Deb�che, Marie-Louise Amrouche et enregistre les exp�riences po�tiques inaugurales de Noureddine Aba, Kateb Yacine et Jean S�nac - aura assur�ment ses lecteurs et ses chercheurs qui s'attacheront � la r�ins�rer dans une histoire unifi�e de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise, une histoire qui refusera les excommunications d�cr�t�es et les zones d'ombre. Cette litt�rature, qui ne peut �tre tenue pour une litt�rature de tra�tres ou de collaborateurs, dont les repr�sentations de la soci�t� indig�ne n'ont jamais �t� diff�renci�es par ses contempteurs depuis l'ind�pendance, porte l'histoire foisonnante de l�Alg�rie et des Alg�riens. Elle a �t�, surtout, en son temps, � la mesure de leurs �checs et de leurs esp�rances dans un r�gne colonial qui n'a �t� ni civilisateur ni apais�. A. M. * Docteur en linguistique. Professeur habilit� de litt�ratures francophones et compar�es, Universit� Mentouri Constantine. Auteur de nombreux ouvrages et �tudes sur la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise et sur l'histoire des id�es de la p�riode coloniale. Derni�res publications : Alg�rie, une suite allemande, M�dersa, 2008 ; Louis-Ferdinand C�line, d'une folie l'autre. Litt�rature et prescription de l'�cart social et politique, Champs, psychopathologies et clinique sociale, vol. 4, n� 8, automne-hiver 2008.