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50 ANS APR�S, L�AFRIQUE D�COLONIS�E TOUJOURS DANS L�IMPASSE Etats pr�dateurs et d�liquescents, violences de toutes sortes,�conomies en faillite, pauvret� de masse, fuite des capitaux�
Beaucoup l�ont pay� de leur vie, qu�ils aient �t� militants de la d�colonisation de l�Afrique ou d�fenseurs de la d�mocratie apr�s l�ind�pendance, ou de courageux journalistes qui ont tout donn� pour la libert� de la presse. Rien de surprenant que le combat de ceux qui luttent contre la corruption aujourd�hui s�inscrive dans la continuit� des luttes pour la lib�ration, l��mancipation et le d�veloppement de l�Afrique. A un premier niveau d�analyse, l��mergence d�une corruption � la fois syst�mique et g�n�ralis�e peut �tre li�e � la nature n�opatrimoniale des �tats africains. Cette notion est un prolongement de la notion de domination traditionnelle patrimoniale qui repose sur l�id�e de confusion du public et du priv� dans un contexte de l�gitimit� traditionnelle. On pourrait formuler l�hypoth�se que des modes de colonisation et des exp�riences coloniales diff�rents aient pu exercer une influence sur les modes de gouvernement postcoloniaux. Mais outre que la colonisation belge a �t� au moins aussi diff�rente de la colonisation fran�aise que la colonisation anglaise, les colonisateurs ont eux-m�mes exerc� des pratiques coloniales bien diff�rentes selon les pays occup�s : le Maroc n�a pas �t� colonis� de la m�me fa�on que l�Alg�rie, ni le S�n�gal de celle de la R�publique centrafricaine. La diff�rence qu�on met traditionnellement en avant entre la colonisation anglaise indirecte et la colonisation fran�aise directe a elle-m�me �t� bien exag�r�e : elle ne correspond pas vraiment aux pratiques et en tout cas pas � des pratiques uniformes. De toute fa�on, il serait difficile d�en tirer des cons�quences simples et imm�diates concernant la corruption. Tout ce que l�on peut dire, � titre d�exemple, c�est qu�au moment des ind�pendances, les ex-colonies anglaises semblaient avoir des �lites mieux pr�par�es � prendre en main les destin�es de leur pays. Pourtant d�s les ann�es 1960, le Nigeria se signale par son niveau de corruption. C�est pourquoi toute g�n�ralisation semble impossible. En tout �tat de cause, lorsqu�il y a eu des diff�rences de corruption, elles se sont largement effac�es en raison de la crise �conomique. La corruption a tendu � devenir � la fois syst�mique, c�est-�-dire une corruption qui constitue la r�gle plut�t que l�exception, et g�n�ralis�e � l�ensemble du continent. Elle s�est m�me d�velopp�e dans des r�gions jusque-l� relativement �pargn�es comme l�Afrique australe, par exemple au Malawi et au Zimbabwe. La notion d�Etat n�opatrimonial ou l�Etat avort� Cette notion est un prolongement de la notion de domination traditionnelle patrimoniale qui repose sur l�id�e de confusion du public et du priv� dans un contexte de l�gitimit� traditionnelle. Le recours au pr�fixe �n�o� est l� pour souligner qu�il ne s�agit plus d�un contexte traditionnel. Nous entendons par �tat n�opatrimonial le fait que, si l�Etat est par ses structures formellement diff�renci� de la soci�t�, du point de vue de son fonctionnement, les domaines du public et du priv� tendent informellement � se confondre. L�Etat est, en quelque sorte, privatis� � leur profit, par ceux-l� m�mes qui y d�tiennent une position d�autorit�, d�abord au sommet de l�Etat, mais aussi � tous les niveaux de la pyramide �tatique. Le dirigeant politique se comporte en chef patrimonial, c�est-�-dire en v�ritable propri�taire de son royaume. C�est pourquoi le pouvoir et la richesse tendent � se confondre et la possession du pouvoir politique ouvre la voie � l�accumulation �conomique. En m�me temps, le pouvoir �tatique, au lieu d��tre institutionnalis� et de se distinguer de la personne du chef, tend � se confondre avec la personne de son titulaire. L�institutionnalisation du pouvoir, comprise en ce sens, a �t� la cl� de la transmission dans la dur�e du pouvoir politique au-del� de ses titulaires, et donc de l�accumulation du pouvoir politique au sein de l��tat. Elle constitue le fondement de la puissance de l�Etat moderne. L��tat n�opatrimonial est une sorte d��tat avort� et la corruption lui est consubstantielle. Il repose sur le pouvoir personnel. La plupart des chefs d��tat qui ont r�ussi � durer ont b�ti un v�ritable syst�me de pouvoir personnel autour de leur personne. Le chef d��tat joue de son pouvoir de nomination comme d�un pouvoir de patronage, distribuant alternativement la faveur et la d�faveur, la gr�ce et la disgr�ce. La l�gitimation � et donc la reproduction de ce syst�me de pouvoir personnel � suppose que le chef dispose d�une capacit� de redistribution qui lui permette de faire accepter le recours � la contrainte, dont il use pour extraire des ressources de la soci�t�. Une redistribution fond�e sur le favoritisme La gestion rationnelle � c�est-�-dire soucieuse de sa propre reproduction � d�un Etat patrimonial repose sur la redistribution, mais sur une redistribution fond�e sur le favoritisme et de type particulariste plus qu�universaliste. Si les ressources viennent � manquer ou qu�elles ne sont pas judicieusement redistribu�es, l�instabilit� menace. Les �tats risquent alors de se transformer en �tats purement pr�dateurs, utilisant la force uniquement pour se maintenir au pouvoir et en extraire tous les b�n�fices possibles. La crise �conomique qui se d�veloppe au cours des ann�es 1980 et les rem�des �conomiques qui lui ont �t� apport�s ont eu pour r�sultat de tarir les ressources de l�Etat qui s�est trouv� ainsi en panne s�che. La crise �conomique s�est alors transform�e en crise politique. On voit ainsi comment la corruption en Afrique ne correspond pas � des finalit�s uniquement �conomiques d�enrichissement individuel, mais qu�elle a aussi des fonctions politiques et sociales qu�on ne peut ignorer. Elle se greffe sur le sous-d�veloppement, tout en vidant de leur contenu les politiques dites de d�veloppement. On ne voit pas comment un quelconque d�veloppement peut voir le jour dans de telles conditions, non pas que le d�veloppement suppose n�cessairement la disparition de la corruption � les exp�riences asiatiques et occidentales nous montrent le contraire � mais que ce type particulier de corruption, � la fois syst�mique et patrimonial, ne peut qu��touffer tout d�veloppement. On pourrait consid�rer que nous sommes en pr�sence de ce que Marx appelait un processus d�accumulation primitive, mais m�me si l�accumulation capitaliste en Occident a �t� pr�c�d�e par l�accumulation primitive, rien ne nous dit qu�en Afrique, l�accumulation primitive c�dera la place � l�accumulation capitaliste. Djilali Hadjadj CONTRE LES DIRIGEANTS QUI M�NENT LE CONTINENT AU CHAOS Les peuples d�Afrique r�sistent de mille mani�res Au d�but de ce troisi�me mill�naire, tant que les �carts entre les pays riches et les pays pauvres ne cesseront d�augmenter, la mondialisation de l��conomie impos�e par les d�tenteurs de grands capitaux accentuera le foss�. La corruption continuera d�en profiter et les corrompus de couler des jours heureux. Le co�t de la corruption, notamment en Afrique, est tr�s �lev� : �tats d�liquescents, violences de toutes sortes, guerres et conflits ethniques et religieux, pouvoirs en place rentiers et corrompus, �conomies en faillite, pauvret� et marginalisation des masses, administration publique gangren�e et obsol�te, fuite des capitaux, etc. Mais, face � ce tableau noir, il y a des lueurs d�espoir. Les peuples d�Afrique r�sistent de mille mani�res contre les dirigeants qui m�nent le continent au chaos. La peur recule chez des dizaines de millions d�Africains, malgr� la persistance de la violence et des atteintes aux droits de l�Homme. La lutte pour la survie et pour la libert� se poursuit, balisant le terrain pour ceux qui combattent la corruption. Les conditions d�un sursaut pour mettre fin au pillage du continent sont-elles r�unies ? Les soci�t�s africaines dans leur ensemble ont-elles suffisamment conscience de l�ampleur de la corruption qui s�apparente � un d�pe�age en r�gle de l�Afrique, hypoth�quant la perspective de d�veloppement ? L�avenir imm�diat nous le dira. Faire reculer la corruption, � d�faut de la vaincre d�finitivement, ne se d�cr�te pas. La lutte contre la corruption aujourd�hui est aussi d�cisive que celle pour les droits humains : derri�re la corruption et le pillage qui l�accompagne, la souffrance et la mis�re, l�arbitraire, le crime d�Etat. Seule l�issue d�mocratique Dans les pays du Sud, en Afrique notamment, seule l�issue d�mocratique permettra de lever les barri�res. Cela demandera du temps, de longues ann�es encore et certainement un lourd tribut � payer pour les peuples d�Afrique. Mais l��tendue de la corruption sur le continent n�est pas le seul fait des corrupteurs et des corrompus. Au plan international, mondialisation de l��conomie aidant, la criminalit� est en nette expansion. La responsabilit� des Etats et des institutions intergouvernementales est importante et la multiplication des grandes r�solutions et des conventions pour lutter contre la corruption n�a pas encore transform� la donne. La lutte contre la corruption n�cessite des moyens juridiques nationaux et internationaux, mais elle est avant tout politique. La dynamique citoyenne contre la corruption en Afrique, d�intensit� in�gale d�un pays � un autre, doit prendre plus d�ampleur, s�inscrire dans la continuit� et d�velopper des pratiques unitaires, les plus larges possibles, vers d�autres secteurs de la soci�t� concern�s ou acquis � la lutte contre la corruption, en direction notamment des institutions de l��tat et du secteur priv�. D. H. Le changement ne peut provenir que des profondeurs des soci�t�s africaines La prise en consid�ration de l�ensemble de ces param�tres montre � quel point la lutte contre la corruption para�t � la fois indispensable et particuli�rement difficile en Afrique. C�est un travail qui ne peut �tre que de longue haleine, jamais termin� et toujours � reprendre. Rien n�est jamais acquis dans ce domaine. Ce n�est que depuis tr�s r�cemment que cette lutte est devenue � l�ordre du jour en Afrique et nous ne disposons pas de tous les �l�ments n�cessaires pour proc�der � un v�ritable bilan, bilan qui, au demeurant, serait pr�matur�, dans la mesure o� cette lutte doit s�inscrire dans la dur�e. La soci�t� civile et la presse apparaissent alors comme des acteurs incontournables dans les strat�gies actuelles de lutte contre la corruption, et elles sont par�es de toutes les vertus. Bien entendu, lorsque la corruption est syst�mique, il n�est pas certain que la soci�t� civile soit n�cessairement plus int�gre que l�Etat et ses �lites. Ph�nom�ne complexe, multiforme, multidimensionnel, la corruption en Afrique ne peut pas �tre contrecarr�e par la simple mise en �uvre de r�formes institutionnelles ou par des campagnes de sensibilisation et de formation. Si, d�une part, la corruption s�enracine dans la nature patrimoniale de l��tat africain et prosp�re au sein d�une administration en voie de privatisation, d�autre part, elle est �galement ench�ss�e dans des logiques socioculturelles qui contribuent � banaliser et � justifier les pratiques illicites. Les efforts de la soci�t� civile, depuis plusieurs dizaines d�ann�es maintenant, et ceux des ONG et des m�dias libres, auront au moins permis de contribuer � casser le tabou que repr�sentait la corruption et � briser bien des mythes qui l�entourent. L�enjeu en vaut la peine : comme pour les droits humains, seul l�engagement de milliers de personnes de par le monde, peuples des pays corrupteurs et des pays corrompus ensemble, obligera la prise en compte de cette lutte par les �tats au niveau requis. Au-del� des aspects �techniques� de la lutte contre la corruption, le changement ne peut provenir que des profondeurs des soci�t�s africaines elles-m�mes et doit �tre accompagn�, au niveau international, par les �tats occidentaux, en commen�ant par modifier leurs propres pratiques. A une corruption mondialis�e doit correspondre une lutte mondialis�e.