Maître Khaled Bourayou est connu pour être l'avocat d'un grand nombre de journalistes qui ont eu des démêlés avec la Justice. Dans cet entretien qu'il a bien voulu nous accorder il revient sur la dernière décision du président de la République, en l'occurrence la dépénalisation du délit de presse présenté hier, en Conseil des ministres. Le texte de loi portant sur la dépénalisation du délit de presse a été présenté hier, au Conseil des ministres. Quel commentaire faites-vous ? Je l'ai souvent dit et répété que le problème du droit de la presse ne doit pas être seulement perçu du côté de la dépénalisation. L'annonce est en soi positive. La dépénalisation a deux sens ; un sens extensif selon lequel on enlève le caractère pénal au délit de presse, et un sens moins extensif plus restreint c'est-à-dire ne plus avoir de peine d'emprisonnement pour les journalistes. Est-ce que cela est suffisant en soi ? Le problème aujourd'hui est qu'il faut conférer au délit de presse un statut particulier. La dépénalisation ne règle rien si elle n'est pas accompagnée d'un certain nombre de principes et de règles selon lesquelles, il faut renforcer les moyens de défense des journalistes. Cela veut dire que le journaliste doit bénéficier d'une protection dans l'exercice de sa profession par le renforcement de ses moyens de défense. Si le journaliste arrive devant un tribunal et offre la preuve que l'effet diffamatoire est réel, il doit être relâché. Il y a aussi la bonne foi. Si le journaliste prouve qu'il est de bonne foi et qu'il a écrit avec modération, que son enquête est approfondie et qu'il n'y pas d'animosité personnelle, là également le journaliste doit être libéré. De plus, il faut donner au délit de presse un délai particulier. Il faut une plainte au préalable. Le retrait de la plainte emporte l'extinction de l'action publique. Il faut que la prescription soit de deux ou trois mois, pas deux ou trois ans. Il ne faut pas appliquer la récidive, si on l'applique sur le journaliste, ce dernier ne pourra plus exercer. Voici quelque caractéristique du délit de presse. A cela s'ajoute le fait que le journaliste doit bénéficier de l'immunité surtout lorsqu'il couvre les débats parlementaires ou judiciaires. Selon vous que vont-ils apporter de nouveau, ces nouveaux textes pour la profession ? D'abord, nous ne devons pas considérer que la dépénalisation est une ouverture à l'abus. Aujourd'hui le journaliste doit exercer son travail dans un cadre légal, bien défini, uniforme, unitaire et conforme. On doit aider le journaliste à faire son travail correctement. On doit lui assurer l'accès à l'information. Si on le prive de ce droit comment voulez vous que ce dernier puisse travailler convenablement. Il va travailler dans le cadre de la rumeur, des informations erronées. Aujourd'hui, il faut garantir le libre accès à l'information. Dans certains pays occidentaux à l'image de l'Allemagne, on oblige l'administration à donner l'information au journaliste. On ne parle pas de l'information sécuritaire, ni celle de stratégie militaire, et encore moins de celle qui touche la vie privée des personnes, ni même qui porte atteinte à la moralité. Mais on doit lui fournir des informations qui lui servent de données, d'analyses et d'agrégat de travail. Il est plus que nécessaire aujourd'hui, d'aider le journaliste car il a une mission de service public, il remplit un travail d'intérêt général, il ne faut pas voir le journaliste comme un intrus ou un espion. Malheureusement cette rétention existe encore dans certaines administrations. La liberté d'expression est l'un des principes fondamentaux aussi bien constitutionnel que dans la vie de tous les jours. L'apport des journalistes dans la lutte contre le terrorisme est extraordinaire. La corporation a payé un lourd tribut pour la préservation de la République et de la démocratie. Donc, il ne faut pas avoir peur des journalistes. La dépénalisation de délit de presse, est elle, selon vous, une invitation pour la presse de s'attaquer au phénomène de la corruption ? En ma qualité l'avocat de plusieurs journaux indépendants, je suis en mesure de dire que c'est la presse privée qui a déclenché, aujourd'hui, les plus grands scandales de la corruption. L'avenir, comment voyez-vous la dualité presse-justice ? Il ne peut pas y avoir de liberté d'expression sans l'indépendance de la Justice. Les libertés se complètent. L'indépendance de la justice est une condition fondamentale à l'émergence des libertés d'expression. Quand vous avez un juge qui dont la fonction est de maintenir l'ordre et les intérêts des pouvoirs au détriment de l'intérêt de la société. Quand le magistrat a peur, la facilité pour lui est de sanctionner le journaliste. S'il donne la relaxe à un journaliste contre un fonctionnaire, cela veut dire que le dernier a fauté, son supérieur a fauté, son ministre a fauté… C'est toute la chaîne en cascade qui est mise en branle. Ainsi l'ordre que veut préserver le juge n'est plus garanti. On préfère maintenir l'ordre et sacrifier le journaliste. Un mot à l'occasion de la Journée internationale de liberté de la presse… La liberté d'expression en Algérie est inéluctable. Tout va conduire vers la liberté de la presse et au plus grand bonheur du peuple. Il faut réhabiliter le travail du journaliste qui peut participer à la dénonciation des fléaux sociaux, à participer dans la lutte contre la corruption. La presse doit avoir un rôle de contrôle sur la manière dont sont gérées les affaires publiques. Il faut instaurer en Algérie des traditions démocratiques. Le statut de journaliste doit être soutenu par des mesures d'accompagnement politique. Il est indispensable d'abandonner les poursuites contre les journalistes. Il y a énormément de poursuites et de campagne contre les journalistes. Il faut qu'on rétablisse la confiance en les journalistes. Il est temps d'associer la presse aux grandes décisions du pays.