Le livre de Mohamed Chafik Mesbah se pr�sente sous la forme d�un m�lange d�entretiens avec la presse alg�rienne, d�articles r�dig�s �� chaud� au gr� de l�actualit� et d�analyses de facture acad�mique, permettant de jeter un regard distanci� sur les �v�nements tant politiques ou �conomiques que diplomatiques et s�curitaires. Le livre se distingue, cependant, par une sorte d�autobiographie intellectuelle intitul�e Bilan d�une vie, long texte de 80 pages qui fait penser, dans le registre acad�mique justement, � une �habilitation � diriger des recherches�. C�est, paradoxalement, par ce texte introductif que Mohamed Chafik Mesbah nous permet d�acc�der � l�histoire r�cente de la soci�t� alg�rienne, des lendemains de l�ind�pendance aux ann�es 2000. L�auteur, n� en 1949 � Alger, est issu d�un milieu populaire qui se situe � la lisi�re de la petite bourgeoisie citadine. Des ruraux urbanis�s. Il raconte ainsi, avec des mots justes, les engagements dans la guerre d�ind�pendance de sa famille, les mont�es au maquis, les arrestations et les peurs de disparition pour les proches. C�est cette p�riode, bien entendu, qui a appos� sur sa personnalit� l�empreinte d�un nationalisme farouche. Un nationalisme marqu� de convictions ou pr�domine l�exigence de justice sociale pr�cis�ment. Faut-il s��tonner que, sit�t l�ind�pendance de l�Alg�rie, Mohamed Chafik Mesbah, � l�image de bien d�autres jeunes de son �ge, se lance dans l�activisme politique � la gauche du FLN, avec les r�f�rences qu�il revendique � Hocine Zahouane et Mohammed Harbi. Bien s�r, jeune �tudiant, il s�oppose d�embl�e au �redressement r�volutionnaire� du 19 juin 1965 qu�il assimile, d�abord, � un pur pronunciamiento militaire. Mais, progressivement, il revient � une appr�ciation plus pragmatique gr�ce, notamment, � la capacit� de persuasion dont, selon lui, Houari Boumediene a su faire preuve aupr�s d�une partie de la jeunesse estudiantine. Ce qui l�emporte, dans le questionnement int�rieur auquel il se soumet, c�est la passion patriotique. S�il commence par fr�quenter, comme membre actif de l�Organisation de la r�sistance populaire (ORP) les milieux de l�opposition et les intellectuels en rupture de ban � Alger, s�il c�toie, avec une soif de connaissances, journaliste dans la capitale fran�aise, les cercles immigr�s dans le Paris des ann�es 1970, c�est l�engagement nationaliste pour la construction du pays qui s�impose. Sous l�influence du sociologue �gyptien Anouar Abdelmalek avec lequel il se lie d�amiti�, il r�vise ses jugements sur l�institution militaire et son r�le dans la nation. Son livre, d�ailleurs, nous montre comment, � travers les d�bats initi�s par Houari Boumediene, sur la Charte nationale ou la r�volution agraire, des pans importants de la jeunesse intellectuelle basculent dans le milieu des ann�es 1970 du c�t� du projet nationaliste incarn�, croient-ils, par certains cercles de l�arm�e. Apr�s avoir parachev� ses �tudes postuniversitaires � Paris, il opte pour la carri�re militaire et rejoint l�Acad�mie militaire interarmes de Cherchell. Il refuse, cependant, d�imaginer que cela peut constituer un tournant dans son engagement nationaliste. Dans son esprit, ce sont seulement les instruments de combat les m�thodes aussi qui changent. Autrement dit, le combat semble le m�me, construire un Etat fort. Mohamed Chafik Mesbah nous parle, donc, de l�univers militaire, plus discr�tement il �voque le monde du renseignement, en se gardant de d�voiler quelque �scoop�. Pas de r�v�lations sulfureuses sur l�histoire r�cente alg�rienne, plut�t une succession de points de vue d�un jeune officier qui se d�sesp�re, progressivement, de voir son pays s�enliser dans la routine bureaucratique, l�incomp�tence et la m�diocrit�. Il se montre impatient parce que le rythme de r�formes para�t beaucoup trop lent � ses yeux. Il estime m�me que ses chefs commettent de graves erreurs d�appr�ciation sur l��valuation de la situation, notamment dans l�identification de l�origine r�elle de la crise. Cet �tat de fait le conduit � se d�marquer de sa hi�rarchie militaire jusqu�� d�missionner en 1996 de l�ANP, puis en 1998 de la pr�sidence de la R�publique. Mohamed Chafik Mesbah ne livre, en d�finitive, que peu d�informations sur cette bataille feutr�e qui se livre dans les cercles �troits du pouvoir. Il reste dans le registre des id�es, pr�f�rant plaider pour une r�forme profonde du syst�me et des institutions. Il r�p�te, inlassablement : �Ma probl�matique est celle des id�es, pas celle des personnes. � Il ne faut pas croire, pour autant, que ce livre ne d�voile rien. A travers ses propres combats et ses prises de position propres, Mohammed Chafik Mesbah nous �claire sur les d�bats internes � l�ANP. Ainsi, � propos de la conduite � tenir vis-�-vis du courant islamiste, l�auteur, s�opposant � un islamisme d�voy� et appelant � v�ritable Islam des lumi�res, n�en fustige pas moins la stupidit� intellectuelle et politique des tenants de l��radication. Partisan de la modernisation politique, il n�en estime pas moins que le FLN reste un parti d�avenir pour peu qu�il fasse sa mue. Ce n�est certainement pas un hasard s�il a demand� � Abdelhamid Mehri, ancien secr�taire g�n�ral du FLN, plut�t qu�� toute autre personnalit�, de r�diger la pr�face de son livre. Ses �crits se caract�risent par une forte rationalit�, mais la dimension �motionnelle de son itin�raire, celle qui lui permet d��tre en harmonie avec sa conscience � d�faut de pouvoir l��tre avec ses int�r�ts mat�riels et sa carri�re, retient l�attention. Les pages que Mohamed Chafik Mesbah consacre au parcours embl�matique du Colonel Lotfi ou au destin tragique d�Abane Ramdane sont, � cet endroit, �loquentes. Ceux qui peuvent acc�der � l�intelligence du livre auront compris qu�il est pr�cieux en ce qu�il r�v�le, de l�int�rieur d�un syst�me des plus opaques, les points de vue d�un homme singulier qui ayant longtemps appartenu � la �Grande Muette� lui conserve le m�me attachement avec l�espoir qu�elle �pouse un jour les esp�rances d�mocratiques du peuple alg�rien. Benjamin Stora * Probl�matique Alg�rie, pr�face de Abdelhamid Mehri, Alger, Ed. Le Soir d�Alg�rie, 2009, 542 pages.