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Le Fespac, Ronaldo et l�argent public
Publié dans Le Soir d'Algérie le 29 - 07 - 2009

Le Festival panafricain de la culture, c�est bel et bien fini. De tr�s nombreux artistes africains (plus de 4 000) ont �t� de la partie dans cette rencontre controvers�e qui a vu des chanteurs comme Mory Kant�, Youssou Ndour, Alpha Blondy ou Manu Dibango faire vibrer des milliers d�Alg�riens.
Alger a red�couvert les espaces africains � l�occasion d�une manifestation, trop cher � organiser, qu�aucun pays de l�Union africaine n�a daign� h�berger, estimant le co�t trop �lev� et les b�n�fices symboliques et mat�riels moindres. Des milliers de personnes venant de divers coins d�Afrique transport�es et h�berg�es aux frais de l�Alg�rie, sans l�apport de sponsors �trangers, ont anim� Alger pendant une quinzaine de jours dans cette deuxi�me �dition, nous dit-on, alors que celle de 1969 date de quatre d�cennies d�j�. Co�t du Fespac 2009 : un peu moins de 100 millions d�euros. Pour, essentiellement, une question d�argent, le Festival des arts n�gres de Dakar, pr�vu en 2009, b�n�ficiant de soutiens financiers ext�rieurs, est appel� � �tre annul� ou report�. Cette rencontre serait beaucoup plus une sorte d�espace promotionnel � des produits europ�ens, sachant que livres, films, musique sont souvent produits � Paris, Londres, Bruxelles et dans d�autres contr�es europ�ennes. La grande partie des lieux culturels africains est marqu�e par l�obs�dante pr�sence des anciennes puissances coloniales au niveau du financement et de la production. Ainsi, � titre d�exemple, la grande majorit� des livres africains sont �dit�s en Europe, le minist�re de la Culture est donc oblig� d�acheter les droits ; le th��tre, le cin�ma et la musique sont souvent produits par des structures europ�ennes. Alger a paradoxalement organis� une rencontre europ�enne de l�Afrique sans aucune contribution financi�re europ�enne. La premi�re question � laquelle devrait r�pondre tout organisateur d�une manifestation de ce type mobilisant de grands moyens financiers est relative aux motivations et aux objectifs qui semblent flous. Parler de �renaissance africaine� n�est nullement un objectif, mais une utopie qui rel�verait de constructions trop peu op�ratoires. D�ailleurs, avant d��voquer la �renaissance africaine�, ne faut-il pas commencer ici en Alg�rie o�, en dehors des activit�s ponctuelles, n�existe aucune vie culturelle permanente. Que gagneraient les Alg�riens sur le plan symbolique ? Aucune r�ponse concr�te n�est apport�e � cette interrogation. Certes, il y a eu beaucoup d�agitation, de bruit et quelques choses int�ressantes durant une quinzaine de jours, et c�est la fin d�une manifestation dont l�argent aurait pu servir � construire et � garnir nos biblioth�ques, nos th��tres, notre cin�ma� On dit tr�s maladroitement que le budget de ce Fespac est beaucoup moins important que celui du film Batman ou du contrat de Ronaldo. Absurde comparaison quand on sait que ces deux entreprises sont priv�es et d�ailleurs appel�es � �tre rentables, c�est-�-dire � engranger des b�n�fices sur le court et le moyen terme alors que le Fespac puise ses fonds dans l�argent public, avec tr�s peu de possibilit�s d�investissement symbolique. Ce Fespac, c�est comme si le Mouloudia d�Alger ou un autre club alg�rien avait engag� Ronaldo pour la somme de 100 millions d�euros. Ma�mar Farah, dans sa chronique au Soir d�Alg�rie, parle carr�ment de �dilapidation des deniers publics� alors que le peintre Hamza Bounoua qui devait r�aliser le projet �Les l�gendes noires� avait annonc� son retrait, s�attaquant violemment, dans un entretien accord� au quotidien Echorouk, � un des responsables de l�organisation, directeur de l�agence nationale de rayonnement culturel, d�j� cible d�attaques de cadres du minist�re de la Culture lors de la manifestation �Alger, capitale de la culture arabe 2007�, l�accusant de �malversations � dans un document qui a largement circul� sur Internet. L�opacit� de l�organisation de ce Fespac et son inutilit� m�diate rendent toutes les rumeurs vraisemblables. C�est l� que devrait commencer, en principe, le travail d�investigation de journalistes s�rieux qui, malheureusement, faute d�un background int�ressant, tombent dans le discours de c�l�bration. C�est vrai que certains d�entre eux sont r�mun�r�s par le festival, comme quelques autres qui seraient concern�s par des contrats juteux. Beaucoup de monde �tait � Alger alors qu�au m�me moment, des Alg�riens sont excommuni�s, usant d�une tragique censure, gommant toute parole divergente. Ce qui n�est pas nouveau. D�j�, le dernier festival du th��tre professionnel a pr�f�r� recourir � des invit�s du Machreq, marginalisant les Alg�riens � tel point que lors du colloque sur la question palestinienne au th��tre, les contributions th��trales les plus s�rieuses et les plus accomplies de Kateb Yacine et de Nourredine Aba n�ont m�me pas �t� cit�es ni trait�es. Volont� d�lib�r�e ? A Alger, a �t� organis�e derni�rement une rencontre appel�e �Okadia� de la po�sie arabe, comme si l�Alg�rie devait �tre un appendice du Machreq et du Golfe. D�ni d�alg�rianit� ? Il y a aussi un festival du cin�ma � Oran, dans un pays sans cin�ma, pr�sid� par celui qui a dissous les trois entreprises publiques de cin�ma, avec plus de 300 invit�s et nombre de journalistes, programm� dans l�unique salle de cin�ma, op�rationnelle, et, accessoirement, la Cin�math�que. Tout a l�air d�une rencontre priv�e. Avec l�argent public. L�universit� est absente de ce rendez-vous, boud�e ou ne serait-ce que le r�sultat d�une m�connaissance du terrain culturel national. Aucune information ni appel � communications n�est affich� dans les espaces universitaires et publics alg�riens. Tout se fait en vase clos comme si c��tait une entreprise trop priv�e. Les quelques sp�cialistes du th��tre, de la litt�rature et de la culture africaine, dont quelques-uns enseignent en Alg�rie et dans des universit�s europ�ennes, sont censur�s. Ce qui pose, encore une fois, la question du destinataire de cette manifestation. Comment peut-on ignorer des noms aussi connus et incontournables dans le travail sur les litt�ratures africaines de langue anglaise comme Maoui, Bensemane, Rich, Arab et quelques rares autres ? Ainsi, le deuxi�me Festival international de litt�rature et du livre de jeunesse a souffert de l�absence de sp�cialistes nationaux s�rieux de la litt�rature africaine, � l�exception d�Amina Bekkat, professeure � l�Universit� de Blida. Autre point faible : l�absence de sp�cialistes de la litt�rature, du th��tre et du cin�ma d�expression lusophone, anglophone et de langues locales, r�duisant l�Afrique � l�espace francophone et � la France. Choix id�ologique ? La rencontre sur la litt�rature africaine a eu lieu sans �crivains et �diteurs de l�int�rieur de l�Afrique, il faut le faire. Le jeu est trouble, malgr� l�enthousiasme de la ministre de la Culture qui n�arr�te pas de claironner que cette manifestation r�veillerait une Afrique s�rieusement embastill�e, marqu�e par les profondes blessures d�un pass� r�fractaire aux mythes pass�istes, vivant une grave d�pendance, de s�rieux conflits militaires et de profonds diff�rends ethniques. C�est une rencontre m�diatis�e par la pr�sence essentiellement fran�aise, m�me si l�Afrique est plus complexe et reste travaill�e par la pr�sence de traces portugaises, britanniques, hollandaises, allemandes. Aucune couverture s�rieuse d�un �v�nement qui ne para�t pas avoir attir� les faveurs des m�dias internationaux. TV5 s�est limit�e � quelques passages. Il faudrait dire qu�un �papier� dans le New York Times, Le Mondeou CBS a plus d�impact en mati�re d�image que les �crits de nombreux journalistes regroup�s, surtout si l�h�bergement et le transport sont pris en charge par le pays organisateur. Les grands m�dias interdisent souvent � leurs journalistes toute prise en charge, la consid�rant comme contrevenant � l��thique journalistique. Il n�y a pas eu, non plus, de grands articles, dans les grands titres africains. De nombreux journalistes alg�riens sont partie prenante de la manifestation, r�mun�r�s par le festival et concern�s par des contrats juteux, ce qui, sur le plan d�ontologique, est une grave faute, ce qui d�cr�dibilise leur propos et rend caduques leurs interventions. Comme d�ailleurs certains �crivains, hommes de th��tre et cin�astes officiels pr�sents dans tous les espaces de repr�sentation officielle. Ce n�est pas le nombre de participants qui devrait importer, mais la qualit� des intervenants et leur apport symbolique � la mise en branle d�un discours culturel porteur. On a eu l�impression qu�on cherche, quarante ans apr�s, � singer le Fespac de 1969, organis� dans des conditions singuli�res, � interroger s�rieusement au-del� des c�l�brations mortuaires. Le Fespac, d�pouill� de sa dimension historique, devient une sorte de fait mythique, scl�rosant et interdisant toute r�flexion sur le pr�sent, un espace anomique. Le mythe est un non-lieu, une illumination illusoire, le reflet d�une absence. Le souvenir est le cachot anomal d�un regard virtuel. Le regard essentialiste, anhistorique, d�j� per�u dans l�organisation du d�fil� comme r�fractaire � l��volution historique, est en contradiction totale avec la vision historique d�fendue en 1969 par Mohamed Seddik Benyahia et contenue dans les textes phares de Lacheraf et de Fanon. Aujourd�hui, se pose avec moins d�acuit� la question de l�africanit� qui, avec les temps qui changent, semble peu op�ratoire, d�autant plus qu�avec les ind�pendances et les d�ceptions qui s�en �taient suivies, de nombreux artistes et intellectuels avaient pris la d�cision de s�installer chez l�ancien colonisateur et de produire l�-bas, fuyant les dictatures et la censure. On ne peut �tre reconnu dans son pays que si on est �dit� � Paris, � Londres ou � Bruxelles. Une fois consacr�, l�auteur peut rentrer sans trop de risque. Mais parfois, la r�putation et la cons�cration internationales ne semblent pas d�courager les pressions et la pers�cution. C'est le cas de l�auteur nig�rian Wole Soyinka, Prix Nobel de litt�rature, qui fut condamn� � mort par le pouvoir en place. Un autre �crivain connu, Ken Saro-Wiwa, fut ex�cut� apr�s une parodie de proc�s par le pr�sident Abacha, mort dans les bras d�une prostitu�e en 1998. La question de la r�ception est fondamentale et extr�mement complexe. Ecrivant dans une langue
�trang�re, du moins pour les pays d�Afrique noire et du Maghreb, empruntant une forme ext�rieure (roman, cin�ma ou th��tre), produisant dans des espaces �trangers, ils vivent gravement l�exil et l�alt�rit� et ont parfois tendance � reproduire le discours de l�autre en tentant de r�pondre aux attentes de l��diteur et du lecteur europ�en, ob�issant ainsi au primat de l�appareil du discours europ�en. C�est dans ce contexte particulier et grave qu�est organis� le Festival panafricain de la culture, qui n�a pas trop s�duit les Alg�riens, int�ress�s par des op�rations concr�tes, comme la mise en �uvre de biblioth�ques bien fournies, des �ditions de qualit�, une production th��trale et cin�matographique s�rieuse, des mus�es et des galeries d�art. De fortes suspicions marquent le territoire de ce festival panafricain o� les folles rumeurs de �dilapidation� le disputent aux situations de rente. L�opacit� du choix des invit�s et de la mise en �uvre du programme, en l�absence d�appels d�offres pr�cis, compliquent encore plus les choses. Tout acte, toute invitation, tout geste et toute absence non justifi�s incitent aux questionnements. L�improvisation est le lieu le mieux partag�. Le programme de la manifestation n�a �t� confectionn� qu�� la derni�re minute, comme d�ailleurs les colloques sur le th��tre, le cin�ma, les entreprises coloniales, l�anthropologie et Fanon, excluant souvent les grands sp�cialistes africains ou ceux qui ont travaill� sur ces questions. Reste l��nigme Lucy qui a finalement engendr� sa copie, sa r�plique. C�est devant des salles clairsem�es, presque vides, que se sont organis�es ces rencontres (expositions, colloques). Il faudrait ajouter que le festival du th��tre n�a finalement concern� qu�une partie de l�Afrique, celle francophone, excluant les autres aires africaines. Est-ce une position politique et id�ologique ? La distribution de la rente se fait d�sormais ouvertement bruyante dans les espaces culturels publics. Ce qui fait partie de la programmation ordinaire d�un th��tre se m�tamorphose en festival avec invitation de pi�ces de troupes inconnues et de membres de jury de l��tranger, avec, en sus, un commissaire du festival grassement r�mun�r� alors qu�il est le directeur du th��tre public. Jamais la vie culturelle n�a connu une telle pauvret�, mais paradoxalement, l�argent coule � flots � tel point que des th��tres viennent de cr�er un nouveau m�tier, celui de directeur de production (une autre r�mun�ration pour le �patron� du th��tre) et des espaces de rente accessoires. Un d�bat s�rieux, contradictoire et sans complaisance sur le Fespac est n�cessaire. Le syndicat des �diteurs vient de conna�tre une crise juste apr�s la cl�ture de la manifestation. Le Fespac, version 2009, est v�cu comme une p�le copie de 1969. Le mythe, ind�passable et insaisissable, ne peut refaire surface. Un regard sur le programme de 2009, l��quipe en charge de cette manifestation et une analyse du discours de la ministre de la Culture fournissent une certaine id�e d�une rencontre trop peu int�ress�e par les d�bats de fond secouant les soci�t�s et la culture africaine.


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