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Entretien
ROLAND LAFFITE, �CRIVAIN-CHERCHEUR AU SOIR D�ALG�RIE : �Les deux tiers des noms d��toiles sont d�origine arabe !�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 12 - 08 - 2009


Entretien r�alis�
par Fatma Haouari
Le Soir d�Alg�rie : Vous avez �crit plusieurs ouvrages sur le patrimoine arabe, pourquoi un tel int�r�t ?
Roland Laffitte : Tr�s jeune, j�ai �t� touch� par les hommes et les femmes de la rive sud de la M�diterran�e. J�ai pass� une partie de mon enfance au Maroc o� j�ai trouv� une profonde familiarit� avec les sensations �prouv�es dans le Midi de la France d�o� je suis originaire.
J�ai aim� l�architecture arabe et musulmane : ma premi�re exp�rience de la belle architecture fut l�Alhambra de Grenade ! J�ai notamment pris un tr�s grand plaisir � effectuer un parcours photographique de la maison arabe dans des villes comme Bagdad, Damas, Tunis, Alger, et particip�, avec mon �pouse Na�ma Lefkir-Laffitte, � la r�alisation du film Ceux de La Casbah, coproduit � Alger. De fa�on naturelle, je me suis mis � aimer la langue arabe, dont l��cole m�avait d�j� donn� le go�t avant m�me le latin. C�est pourquoi j�ai �t� choqu� d�s l�enfance par l�injustice coloniale qui niait un univers que j�aimais. Passionn� d�histoire, j�ai �tudi� celle du Monde arabe et musulman comme celle de l�Europe, celle des mondes anciens de la M�diterran�e ou celle de la Chine. J�ai pu toucher du doigt la profonde familiarit� entre la culture arabe et musulmane et la culture europ�enne, tout comme la r�elle singularit� de l�une et de l�autre, chacune pouvant apporter � l�autre un regard original et enrichissant. Je pourrais dire, � la suite de Jacques Berque, que les cultures des deux rives de la M�diterran�e sont dans un rapport d�int�riorit� r�ciproque. Le regard d�valorisant port� en Europe sur le patrimoine arabe me para�t non seulement regrettable, mais aussi particuli�rement stupide et dangereux. L�essentiel de mes activit�s s�effectue aujourd�hui dans le cadre de la Selefa (Soci�t� d��tudes lexicographiques et �tymologiques fran�aises et arabes), pr�sid�e par mon ami Paul Balta, le journaliste et �crivain bien connu en Alg�rie. Elles consistent en un travail de recherche d�bouchant sur une activit� de partage : conf�rences, articles, actions �ducatives, etc. Les champs abord�s � ce jour ont �t� les pr�noms arabes et musulmans en France, les mots arabes dans le fran�ais populaire, notamment la langue des jeunes qui a donn� lieu � la publication d�un livre. J�ai �galement �crit, sur la nomenclature c�leste, un ouvrage intitul� Des noms arabes pour les �toiles.
Justement, � propos de nomenclature c�leste, la Selefa dont vous �tes membre fondateur fait un travail de r�colte � travers un projet de recherche intitul� � L�imaginaire du ciel �toil� dans le Monde arabe�. Pouvez-vous nous en parler ?
Aujourd�hui existe � l��chelle internationale une curiosit� pour les repr�sentations du ciel et l�imaginaire c�leste. On assiste � un effort pour pr�senter au grand public ces tr�sors de l�esprit humain. Le merveilleux que rec�le l�imaginaire c�leste est d�j� passionnant en lui-m�me : qui n�est pas touch� par la mythologie astrale des Grecs ? Mais il peut aussi constituer un bon levier pour l�initiation � l�astronomie. D�ailleurs, les professionnels engag�s dans cette t�che, qui font d�j� un large appel � l�imaginaire grec, commencent � se passionner pour les l�gendes du ciel chez les Chinois, les Egyptiens anciens ou les Am�rindiens. Or nous observons l� un paradoxe radical : tandis que deux tiers des noms d��toiles dans les catalogues et les atlas c�lestes internationaux sont d�origine arabe, le riche patrimoine immat�riel o� s�originent ces noms est pratiquement m�connu. Et cela est vrai, non seulement � l��chelle internationale, mais dans les pays arabes et musulmans eux-m�mes� La raison de cette terrible d�ficience est que ce riche patrimoine attend encore d��tre r�colt�. Il faut le faire dans la litt�rature classique, bien s�r.
Mais aussi dans la culture populaire et la m�moire orale : celle des marins, des paysans et des B�douins qui pratiquent les �toiles pour se rep�rer dans le temps ou l�espace, et qui sont h�las en train de dispara�tre, tout comme celle des citadins car les �toiles et leurs l�gendes sont partie prenante des traditions urbaines o� elles s�expriment dans des dictons, des contes ou des chansons. Seul un effort consid�rable permettra de corriger la lacune criante existant aujourd�hui dans la connaissance de notre h�ritage arabe dans le ciel �toil�. Ce projet est un volet d�un projet plus vaste : �Le ciel, patrimoine commun�, qui vise � faire conna�tre les diff�rentes strates de la formation de notre vo�te c�leste, et tout particuli�rement la strate arabe et la m�sopotamienne, celle-ci �galement largement m�connue alors qu�elle a fourni la moiti� de nos constellations grecques classiques. Il s�agit d�offrir au public une collection comprenant non seulement les l�gendes li�es aux figures c�lestes mais aussi une iconographie de qualit� : songez par exemple qu�� l�heure de l�image reine gr�ce � la t�l�vision et � internet, aucune figure m�sopotamienne n�est diffus�e et qu�aucune figure arabe n�est disponible. Cela est d� au fait que les astronomes de langue arabe ont repris avec un go�t ind�niable les images grecques en y pla�ant leurs propres �toiles mais n�ont couch� sur aucun support les images des figures n�es de l�imaginaire arabe, qu�il s�agisse d�al-Thuray�, d�al- Jawz�, de Suhayl et des deux Shir�, de Nash et ses Filles, ou d�autres encore, toutes aussi populaires. Livrer aux diff�rents peuples de la plan�te les tr�sors de cet imaginaire serait un bon moyen de revaloriser sans tapage une image des Arabes aujourd�hui passablement d�grad�e�
On croit savoir que vous avez eu des contacts en Alg�rie pour d�velopper ce projet, peut-on conna�tre l��tat de son avancement ?
Permettez que je parle d�abord des contacts avec des institutions d�autres pays qui se sont engag�s dans ce projet. Pour ce qui est des pays arabes, nous avons notamment la Facult� de lettres de l�Universit� de Sfax, en Tunisie et, en Egypte, l�Universit� A�n Chams du Caire � c�t� du PSC (Planetarium Science Center) de la Bibliotheca Alexandrina ainsi que Cultnat (National Center for Documentation of Cultural and National Heritage). Parall�lement, en France, l�UER (Universit� europ�enne de la recherche), pr�sid�e par le philosophe et �crivain Jean-Pierre Faye, int�gre en tant que laboratoire la recherche sur �l�Imaginaire du ciel �toil�. Nous travaillons aussi sur des projets communs de partage avec divers organismes fran�ais et internationaux de popularisation de l�astronomie ainsi qu�avec des maisons de production de programmes pour plan�tariums et des maisons d��dition. Pour ce qui est de l�Alg�rie, nous avons re�u de Abdelaziz Belkhadem, alors qu�il �tait chef du gouvernement, une lettre d�int�r�t et d�encouragement pour ce projet. La premi�re institution � manifester son engagement de principe dans cette �uvre a �t� le Crasc (Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle) d�Oran. Sur le plan des universit�s, nous sommes en contact avec les Facult�s des lettres et des sciences humaines � Tlemcen et � Alger o� nous avons expos� publiquement notre projet. Sur le plan minist�riel et administratif, nous sommes en rapport avec la Direction g�n�rale de la recherche scientifique et du d�veloppement, et la Direction de la coop�ration et des �changes internationaux au minist�re de l�Enseignement sup�rieur et de la recherche, ainsi qu�avec l�Andru (Agence nationale de la recherche universitaire). Et nous esp�rons que ces contacts pourront se concr�tiser prochainement�
Vous avez �crit un livre sur la guerre en Irak, l�un des pays qui a particip� � la splendeur de la civilisation arabo-musulmane. Comment �valuez-vous les d�g�ts commis contre le patrimoine culturel de ce pays ?
J�ai �crit avec Na�ma Lefkir-Laffitte en 1991 un livre intitul�, L�Irak sous le d�luge, qui brosse un tableau des destructions par la guerre et des cons�quences d�sastreuses du blocus impos� � l�Irak en les repla�ant dans l�histoire multimill�naire de ce pays. Nous avons suivi la trag�die irakienne sur plusieurs ann�es et tiss� ensemble, jour apr�s jour, lors de l�invasion quasi coloniale de 2003, une Chronique d�une guerre annonc�e. Parall�lement, j�ai replac� les motivations de cette invasion de type colonial dans l�histoire de la puissance �tatsunienne et de ses vis�es g�opolitiques par la publication d�un ouvrage intitul� Etats-Unis : la tentation de l�empire global. Les Etats-Unis ont litt�ralement d�truit dans ce pays toute vie sociale organis�e avec d�incalculables cons�quences humaines. Ind�pendamment du jugement que l�on peut porter sur la politique du Ba�th, ils voyaient une menace dans l�effort entrepris par l�Irak pour faire vivre la culture arabe classique et lui d�niaient le droit de s�enraciner lui aussi dans les strates anciennes de la civilisation, notamment la m�sopotamienne. Ces coups port�s � ce pays dans ces �pisodes tragiques sont une catastrophe pour l�existence des Arabes en tant qu�id�e dans le pr�sent et pour la culture arabe en particulier� Cela signifie qu�il faut mettre les bouch�es doubles pour affirmer le patrimoine culturel arabe dans toutes ses dimensions et par tous les moyens, notamment l��dition, dont il n��chappe � personne qu�elle est largement en dessous des exigences actuelles. J�en donne un exemple concernant l�imaginaire c�leste : les Irakiens avaient r��dit�, avant ces trag�dies, le Kit�b al-anw� d�Ibn Qutayba al-D�nawar�, qui constitue une source majeure de cet imaginaire dans la litt�rature arabe classique. En tout �tat de cause, la collecte et la r��dition de ces kut�b al-anw� reste une t�che urgente.
Dans quelle mesure la Selefa peut contribuer � la collecte du patrimoine arabe et comment se fait la collecte ?
Selefa, qui assume le r�le de ma�tre d��uvre du Projet dans sa phase pr�paratoire, fonctionne aussi comme une des �quipes de recherche du r�seau en cours de constitution. Elle travaille pour cela, comme je l�ai dit pr�c�demment, dans le cadre de l�UER (Universit� europ�enne de recherche) et participe par ses propres circuits � la mise en forme de l�imaginaire c�leste m�sopotamien ainsi qu�� la collecte des textes arabes classiques. Elle a en m�me temps fourni la premi�re �bauche d�un site internet d�di� � ce projet intitul� Uranos (voir www.uranos. fr), qui met � la disposition du r�seau une s�lection de la documentation existante et les contributions des uns et des autres. Le site �tant trilingue : anglais/arabe/fran�ais, elle �uvre enfin � la formation du noyau d�une �quipe de traducteurs, ce qui suppose l��laboration d�une terminologie scientifique adapt�e.
Des projets en cours ?
Nous sommes en train de mettre en place, dans le cadre de l�UER et en rapport avec des institutions universitaires de plusieurs pays arabes, un programme de travail sur la lexicographie arabe. Il concerne la datation, l��tude d�usage et de contexte, et l��tymologie des mots arabes, ceci en nous limitant, dans un premier temps, aux mots arabes pass�s dans les langues europ�ennes. Un des volets de cette recherche concerne la terminologie arabe en mati�re de philosophie et de sciences, astronomie et math�matiques pour commencer, replac�e dans la cha�ne linguistique grec et persan/syriaque et arabe/latin m�di�val/langues contemporaines d�Europe. Un autre projet en cours est un glossaire de pr�noms arabes et musulmans port�s en France, avec leurs variantes turques, africaines, etc., noms dont il s�agit de donner l��tymologie et qui doivent �tre replac�s dans leur contexte religieux, civilisationnel et historique autant que culturel contemporain. Il y a bien d�autres choses, mais cela nous m�nerait trop loin� Pour ce qui concerne �Le ciel, patrimoine commun�, nous sommes en train d��laborer avec l�APLF (Association des plan�tariums de langue fran�aise), un projet commun de film montrant en quoi l�imaginaire des figures c�lestes dans les diff�rentes cultures aide � l�initiation des jeunes et des scolaires � l�astronomie. Nous montons, par ailleurs, en collaboration avec l�Observatorium de Nice, une s�rie de fiches astronomiques du mois sur support vid�o destin� � des lieux publics, fiches dans lesquelles, � c�t� des donn�es astronomiques, la partie imaginaire c�leste, et l�arabe en particulier, aurait toute sa place.
Un dernier mot pour conclure ?
J�aimerais, si vous le permettez, faire un v�u. Je serais personnellement touch� que l�Alg�rie prenne une place importante dans le projet de Recherche sur � L�imaginaire du ciel �toil� dans le Monde arabe�. Entre autres raisons, l�Alg�rie est un pays extr�mement riche du point du vue du patrimoine populaire concernant notre projet : que l�on pense � la prodigieuse diversit� des traditions locales de l�Oranais � Souk Ahras, du Sahel au Touat et � Djanet ou � Tamanrasset, lesquelles d�clinent toute une gamme d�apports arabes et berb�res. Mais aussi par ce que l�Alg�rie dispose des capacit�s humaines et mat�rielles pour jouer un r�le d�entra�nement dans un tel projet.


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