Le g�nie de Picasso, c�est le jeu � de la vie et de la mort �, de la corrida, des corps enlac�s puis l�ch�s ; une suite de figures transfigur�es fard�es pour marquer le moment qui restera � jamais celui de Dora Mar ou de Jacqueline� La sculpture de Picasso est aussi du domaine du jeu, de l�attaque du toro et d�esquives du tor�ador. Picasso a �cass� les sch�mas esth�tiques pour montrer que le beau d�pend de plus en plus des arts nouveaux : photographie, cin�ma dont le langage est une syntaxe d��clairages, d�angles, de mouvements. Les objets du quotidien sont, chez lui, �lev�s, par la gr�ce d�un d�tournement, au rang d��uvre d�art ! Le g�nie c�est �a. Taieb Ben Hadj Ahmed n�est pas Picasso, il ne s�en rapproche que par l�audace de sa perception du monde. L�un a v�cu deux guerres mondiales sans que les cadres de la civilisation occidentale soient �boug�s�. Taieb dans la jeunesse de son regard, dans l�acuit� de ses constructions, ose une r�flexion que peu de philosophes, de sociologues, de critiques d�art ont pressentie : la civilisation industrielle est r�gie, anim�e par la mort. Chacun de ses objets utiles est produit dans le bruit et la fureur, le sacrifice de ceux qui l�ont vu sortir des cha�nes qui les attachent � leur esclavage. Regarder et voir que ces milliards d�ustensiles � y compris les armes � sont capables de tuer ! La table de repassage, le fil de fer barbel�, l��tal de boucher, la cafeti�re, la bonbonne de gaz ; l�homme a m�me cr�� des habits de c�r�monie pour donner la mort en toute bonne conscience (il y en a de plus belles que les autres selon les critiques de mode). Comment la culture occidentale peut-elle encore se pr�valoir d�une quelconque supr�matie sinon dans la continuit� de son histoire destructrice de toutes les civilisations, le pillage de l��me des peuples soumis en plus de celui de leurs richesses est encore, aujourd�hui, syst�matique : le sac des mus�es de Baghdad vaut pour tous les actes de barbarie sous le drapeau de la libert� du commerce, de la mondialisation du commerce, des int�r�ts sup�rieurs de quelques puissances. La brutalit� de l�Occident est si �vidente que l�on ne trouve plus la force de la contester. L�art de Taieb Ben Hadj Ahmed est de lier les objets et leur utilisateur, l�homme, dans des comportements contraires � la sacralit� de celui qui transforme le monde, aux droits les plus �l�mentaires des faibles et des fragilis�s par les conditions d�existence, la maladie au premier rang desquels, la Femme ! Taieb montre comment l��re industrielle a chang� l�homme, en a fait un mutant � la suite d�une res�quenciation non viable au d�part, mais qui a �pris� comme une bouture d�amande am�re. Lui, il est pour qu�un homme nouveau vive de la terre, sur la terre. Il le prouve en modelant dans le marbre et le granit, dans le cuivre des formes que ne renieraient pas les premiers sculpteurs connus de l��le de P�ques, d�Egypte, d�Inde, de Chine, Incas, Azt�que et de Gr�ce. De Rome et de son r�gne qui se prolonge depuis 25 si�cles�Il r�habilite dans un m�me geste, le profane et le sacr� : l�amour. Sa maison construite selon ses plans, de ses propres mains est un espace qui fait partie de sa mani�re de cr�er, o� l�on passe d�une antichambre de la souffrance � l�autre comme dans un train fant�me. Ici pas de cris, une honte profonde, qui remue la conscience (on peut vomir de tant de violences subies) jusqu�� l�inscrire comme exp�rience, comme concentr� d�histoire de l�humanit�. Les mol�cules qui permettent � l�homme de supporter l�insupportable ne servent- elles qu�� pr�server l�esp�ce, dans un r�flexe qui le d�passe ? D�un plan � l�autre, l�humour est l� pour relativiser et ces mains rouges de baisers jouent les notes silencieuses d�un piano droit qui se r�chauffe � la douceur d�une peau de panth�re ! Il y a aussi les clins d��il, � Picasso bien s�r dont le taureau est doublement invoqu� : dans l�assemblage de pi�ces perforantes et encorn� comme si le mythe du taureau portant la terre sur l�une de ses cornes rappelait la pr�carit� de la vie, la fragilit� des �quilibres naturels ; l�autre est quand Taieb pose avec bonhomie enti�rement entour� des d�fenses de l�animal reproducteur par excellence ! On retrouve la fixit� de l��il du rapace pr�t � d�ployer ses ailes de granit pour fondre sur sa proie, cette femme de marbre comme prise � Matisse ? Sortie de la toile pour une existence en trois dimensions, sereine, douce, protectrice, caressante. Les emprunts de Taieb ne sont pas fortuits, ne voulant copier personne, il n�est en comp�tition avec aucun autre artiste, mais au Toro de Picasso, il souffle que l�art n�est pas que divertissement ; que le fusil suspendu � la capote d�un soldat allemand de l�Afrika Korps peut encore tuer ! Quant � Matisse, il ajoute au bleu de l��ternit�, de la simplicit� dans la peinture, la masse l�g�re et toute de f�minit� retenue dans la fragilit� du marbre. Cette copie est une multiplication, non un plagiat. Cette demeure con�ue pour cette �uvre est le r�ceptacle de ses pulsions, le refuge de ses humeurs ; la forge de ses col�res, le plaisir de ses amours humaines et paternelles, fraternelles. Quand on en sort, on a le sentiment d�avoir fait le chemin de Dante et d�aborder � un rivage pacifique et, o� la confiance en l�Homme rena�t.