Ziani Ch�rif Ayad, qui dirige la compagnie de th��tre Gosto, a fait le pari avec des compagnons et des amis universitaires, journalistes et �crivains, d�organiser les premi�res rencontres Kateb Yacine en hommage � l�homme aux multiples talents, disparu tragiquement, il y a vingt ans, en laissant une �uvre accomplie, riche et diversifi�e. Dans cet entretien qu�il nous a accord� alors qu�il �tait en pleine pr�paration de l��v�nement, il nous fait part de ses grandes ambitions et celles de l��quipe qui l�entoure et le soutient pour la relance du th��tre � travers une r�flexion autour du patrimoine commun arabe afin de r�sister, comme il le dit si bien, � la mondialisation qui sous-entend l�homog�n�it� et la dilution sur tous les plans. Entretien r�alis� par Fatma Haouari Le Soir d�Alg�rie : Vous organisez la premi�re �dition des �Rencontres Kateb Yacine� les 27, 28 et 29 du mois en cours, pouvez-vous nous en parlez et comment vous est venue l�id�e de ces rencontres ? Ziani Ch�rif Ayad : L�id�e d�organiser les rencontres Kateb Yacine 2009 date de tr�s longtemps, mais malheureusement, on n�a pas pu la concr�tiser auparavant. Nous n�avons pas en Alg�rie ce genre de rendez-vous pour parler de certains auteurs. Il y a cette fausse certitude que le vrai rep�re du th��tre se trouve en Occident. C'est-�-dire qu�on croit que pour faire du bon th��tre, il faut traduire ou adapter des auteurs occidentaux. J�estime personnellement que nous n�avons rien fait dans le sens d�une �tude s�rieuse et pouss�e. Les Rencontres Kateb Yacine est une initiative d�hommes de th��tre, producteurs de culture, universitaires, journalistes et critiques, qui veulent mettre en place un cadre de travail et de r�flexion sur du le patrimoine et la cr�ation artistique et culturelle nationale mais aussi maghr�bine et arabe. Comme je le pr�cise dans ma pr�sentation de l��v�nement, le projet que m�ne notre compagnie Gosto Th�atre depuis 2005, sur les dramaturgies arabes contemporaines, interroge le passe en revisitant les �uvres et la vie des auteurs majeurs de notre th��tre, alg�riens, maghr�bins et arabes d�une part, et d�autre part, explore le pr�sent en faisant d�couvrir la pertinence de la pratique th��trale d�aujourd�hui tant sur le plan des �critures que de l�esth�tique. Pendant plus de deux ans, nous avons travaill� sur la vie et l��uvre de Abdelkader Alloula en proposant des rencontres publiques et professionnelles, des mises en espace et ateliers autour de son th��tre, puis la production et r�alisation de El Machina d�apr�s sa pi�ce Lagoual. Dans le m�me esprit, nous avons abord� l��uvre de Kateb Yacine en interrogeant ses amis auteurs par la mise en espace de Lettres � Lucettede Bachir Hadj- Ali et Kateb Yacine, le C�ur entre les dents, de Benamar M�di�ne et enfin la production et r�alisation de L�Etoile et la Com�te, une pi�ce sur la vie et l��uvre de Kateb Yacine �crite par Arezki Mellal. Voil� vingt ans que Kateb Yacine nous a quitt�s. Au-del� de l�hommage m�rit� � plus d�un titre et de la reconnaissance que chacun de nous �prouve pour le po�te citoyen, il nous para�t utile, n�cessaire et essentiel de nous rencontrer pour d�battre de son �uvre et son engagement � mettre l�homme au c�ur du drame, c'est-�-dire au c�ur de son peuple et au c�ur de son histoire. Il refuse de se taire, il revendique sa responsabilit� d�artiste et de citoyen dans la cit�, et cette responsabilit� n�a de sens pour lui que dans la perturbation des id�es toutes faites sur tout et des politiques qui �crasent les libert�s, toutes les libert�s y compris la libert� de conscience. Cette premi�re rencontre que nous souhaitons p�riodique sera pour nous (intellectuels, artistes et citoyens) l�occasion d�interroger Kateb Yacine et son �uvre sur notre �poque contemporaine, o� la fragmentation caract�rise tous les domaines : socio-�conomique, politique, culturel. Quel r�le peut avoir le th��tre ? Quels d�fis doit-il soutenir ? Quels langages doit-il parler pour communiquer avec la citoyennet� dont les coordonn�es identitaires, les besoins et les points de rep�res sont de plus en plus flous, changeants et difficilement classables. En fait, avec ces rencontres, nous ouvrons un grand chantier pour aboutir � quelque chose de palpable et de r�el qui peut servir de base aux futures exp�riences dans les domaines artistique et culturel. Nous nous interrogeons sur les auteurs alg�riens, maghr�bins ou arabes, quelles ont �t� leurs pr�occupations, leurs univers. Est-ce qu�ils se situaient dans une approche artistique bien d�finie, avaient-ils une d�marche d��criture, aspiraient-ils � un projet artistique ? En v�rit�, on n�a jamais essay� d�explorer en profondeur les �critures dramatiques des auteurs arabes. Je ne parle pas de tous les auteurs arabes mais la question est de consid�rer qu�il y a un travail d�exploration � faire. Dans quelle mesure peut-on dire que le th��tre arabe est diff�rent du th��tre occidental ? Je ne vais pas revenir sur la pratique th��trale dans les pays arabes mais je dirai juste que fin de l�an 1847, le Libanais Maroune Nekkache, de retour d�un long s�jour en Occident, pr�senta chez lui et devant des amis une adaptation en langue arabe de L�Avare de Moli�re, mais c�est durant les trois ann�es qui suivirent qu�on a assist� � la naissance d�un v�ritable th��tre arabe. Apr�s le Liban, ce fut le tour de la Syrie de voir na�tre son th��tre en 1865 gr�ce � Abou Kkalil El Kabani. El Kabani �tait un chanteur c�l�bre. Son exemple sera suivi en Alg�rie par Bachtarzi qui va allier le chant et le th��tre. Cela dit, on a dissert� � un certain moment sur la forme de repr�sentation, dialogu�e ou pas dialogu�e. Y a-t-il une forme de repr�sentativit� qui a un lien avec le public qui vient assister � cette repr�sentativit�. Autant de questions qui restaient sans r�ponses. Pourtant notre patrimoine, nous livre beaucoup de r�ponses � ces questionnements. En fait, tout au d�but, on s�est mis � imiter le th��tre tel qu�il se pratiquait en Occident. M�me les Arabes qui commen�aient � �crire pour le th��tre, se sont mis � �crire comme les auteurs occidentaux sans se poser la question : n�avons-nous pas aussi des formes artistiques qu�on peut exploiter qui sont diff�rentes des codes du th��tre occidental dont les origines remontent � la dramaturgie grecque ? Cette question ne s�est pas pos�e � l��poque. On a eu �galement des versions un peu farfelues concernant le manque de d�veloppement de cet art, comme celle li�e � la religion qui interdit la repr�sentation. Cependant, ce qu�il faut retenir, c�est que les Arabes qui ont introduit le th��tre ont pris l��uvre de Sophocle pour un po�me ! C�est seulement dans les ann�es 1960 que les choses ont commenc� r�ellement � bouger. A cette p�riode, des hommes de th��tre qui n��taient pas des auteurs, c��taient surtout des com�diens et des metteurs en sc�ne qui se sont pr�occup�s de cette situation. Ils se sont dits, nous avons, nous aussi, des formes d�expressions artistiques en Afrique du Nord. Au Maroc et en Alg�rie, il y a le goual ou le meddah qui racontent des histoires avec plein de personnages. Pourquoi on ne va pas piocher dans ce patrimoine ? Et c�est de l� que sont apparues les premi�res �bauches d�une �criture singuli�re par rapport au th��tre occidental. Il y a Tayeb Seddiki au Maroc, Ould- Abderrahmane Kaki et Abdelkader Alloula en Alg�rie. En Palestine, dans les territoires occup�s, Fran�ois Abou Salem qui a cr�� une compagnie qui s�appelle �El Hakaouati�, l��quivalent de notre goual. Sa�d Allah Ounous en Syrie, qui s�est int�ress� au patrimoine arabe commun en puisant dans celui de la civilisation arabomusulmane et se l�est r�appropri� dans le th��tre, et justement, c�est cette dramatique qui, en tant que metteur en sc�ne m�int�resse, et c�est l� o� j�essaie d�explorer pour �tre une passerelle, un relais pour tous ceux qui ne connaissent pas ces exp�riences d��critures. Il faut savoir que la plupart des textes de cette �poque n�ont pas �t� �dit�s. ` Je citerai en exemple Tayeb Seddiki qui a men� un travail important de recherche sur le po�te Si Abderrahmane Ben Medjdoub. Il a travaill� sur des personnages embl�matiques. Abdelkader Alloula qui prend le conteur pour en fabriquer des histoires contemporaines. Kateb Yacine avec sa troupe dans le cadre du minist�re du Travail et par la suite au th��tre de Sidi-Bel-Abb�s a fait la m�me chose. Je parle de la deuxi�me p�riode apr�s 1962 quand il a constitu� une troupe populaire pour aller dans les villages et les campagnes. Il se transforme en goual contant l�histoire au petit peuple analphab�te, dans les places publiques. Il racontait l�histoire de l�Alg�rie et l�histoire tout court. Il a �crit Palestine trahie, le Roi de l�ouestsur le Sahara occidental. L�id�e de ces rencontres est de travailler dans cet univers et d�explorer les diff�rentes facettes de ces auteurs et avoir un retour des autres professionnels venant de France, de Liban, de Tunisie, etc. Quand j��tais au Th��tre national, j�ai particip� � diff�rents colloques et festivals mais c�est toujours la sempiternelle histoire de langue : faut-il que le th��tre parle en arabe classique ou bien en dialectal. On n�a jamais abord� ce sujet en profondeur. Quand j��tais � l��cole de Bordj El Kiffan, je me rendais compte qu�il n�y avait pas de cours sur ces formes que je viens d��voquer. C��tait une formation standard telle qu�elle se pratiquait en Angleterre ou ailleurs mais il n�y a rien sur ces gens de th��tre qui �taient des animateurs et des hommes orchestres. Nous avons des formes de repr�sentation qui sont les n�tres tout comme les Japonais qui ont le kabuki ou le n� et qui refusent qu�on les assimile � du th��tre � l�occidental. Bien entendu, cela ne nous emp�che pas de travailler sur les textes de Moli�re, Shakespeare ou Sophocle. Il faut savoir que beaucoup d�hommes de th��tre aujourd�hui vont vers le r�cit, ils n�attendent pas uniquement d�avoir une pi�ce dans le sens conventionnel du th��tre : pi�ce dialogu�e avec auteur. Ils vont chercher dans le roman, l��pop�e, dans d�autres contr�es. Je citerai une pi�ce qui a fait date de Peter Brook qui s�est inspir� d�un roman hindou, le Mahabharata, avec lequel il a r�ussi � donner l�un des plus beaux spectacles du XXe si�cle et qui a dur� 9 heures. Ce sont des pistes que des hommes de th��tre ont tendance actuellement � explorer alors que nous les avons naturellement chez nous. Nous les avons n�glig�es voire ignor�es pensant que ce sont des formes pr�-th��trales qui ne sont pas arriv�es au raffinement du th��tre occidental. Parce qu�elles n�entraient pas dans ce moule. Peut-on dire qu�il existe un th��tre alg�rien ? On ne peut pas coller une identit� au th��tre. Je dirai qu�il y a des pratiques dans lesquelles des hommes de th��tre se sont distingu�s, malheureusement, on ne leur a pas donn� tous les moyens, pour une raison X, de les d�velopper. Je reformule ma question, peut-on parler de patrimoine th��tral alg�rien ? Il y a des gens de th��tre qui ont constitu� ce patrimoine, malheureusement, il n�est pas connu. Les Rencontres Kateb Yacine �uvrent dans le sens de valoriser ce patrimoine et de le mettre � la disposition des chercheurs et des jeunes qui s�int�ressent au th��tre. Ces rencontres que nous envisageons d�organiser annuellement vont nous permettre de parler de ces exp�riences et voir comment les jeunes auteurs per�oivent cette �criture par rapport � leur culture et leur soci�t�. C�est notre mani�re de ne pas c�der aux sir�nes de la mondialisation qui est � la fois �conomique et culturelle. Ces rencontres vont d�fricher ou doit-on dire explorer en profondeur les �uvres de Kateb Yacine en engageant une r�flexion autour du th��tre. Comment allez-vous y proc�der ? Nous avons sollicit� des professionnels et des gens qui l�ont c�toy� et connu. Ces animateurs vont apporter leurs t�moignages avec un regard professionnel des ann�es 1960/1970 de certains journalistes, com�diens et op�rateurs culturels qui l�ont � un moment ou un autre approch�. Nous associons � ce projet les deux communaut�s : celle vivant en Alg�rie et d�ailleurs. A cet effet, une table ronde qui sera pr�sid�e par Mohamed Abbou ayant pour th�me �Amiti�s �lectives et camarades de combat � porte sur les personnages qui ont marqu� la vie de Kateb de 1945 � 1985. Une pr�sentation du parcours katebien par s�quences historiques � partir de ses amiti�s avec Ahmed Akkache, Hamid Benzine, Henri Alleg, Malek Haddad, Armand Gatti, Ali Zamoum Issiakhem, Mohand Said Ziad, Mohamed Zinet, Louis Aragon, Paul Eluard, Jean-Marie Domenach, Jean-Marie Serrault, Jean-Paul Sartre, etc. Il est pr�vu �galement des repr�sentations th��trales, des mises en espace, des projections cin�matographiques, des r�citals po�tiques, des montages th��traux, des lectures, des expositions de peinture, des concerts de musique, des tables rondes et des festivals avec des jurys divers sur les disciplines comme l�art, la litt�rature, le th��tre. Chaque session proposera un ensemble d�activit�s compl�mentaires alternant les productions et leurs pr�sentations et les d�bats et tables rondes auxquels participeront des journalistes comme H�mida El Ayachi, Abdelkader Hamid, Ahmed Cheniki, Pierre Abi Sa�b, Allaoua Wahbi. Il y a �galement des universitaires. Je citerai Abdekefi Rab�a, Benachour Nedjma, Kacedali Assia, Kassoul Aicha et Paul Siblot. Il y aura aussi la participation de Philippe Foulqui�, directeur de Syst�me friche th��tre de Marseille. La premi�re session se penchera sur la vie de l��crivain et dramaturge entre son engagement pour l�ind�pendance nationale et son exil. Il est question bien entendu de son �uvre litt�raire et artistique et de son activit� journalistique avec une mise en lecture de s�quences, une table-ronde a partir du livre de Benamar Medi�ne le C�ur entre les deux, avec mise en tableaux, une table-ronde sur les dramaturgies arabes contemporaines. Enfin, il y aura un chantier autour de la critique th��trale dont l�introduction � une formation suivie se fera lors de la rencontre et se poursuivra toute l�ann�e 2010. Justement, puisque vous �voquez la critique, � votre avis, comment peut-on d�velopper cet instrument de mesure artistique si je puis dire qui est un art complet mais qui est presque inexistant en Alg�rie? Effectivement, la critique demeure un param�tre essentiel au d�veloppement du th��tre en particulier et de la production artistique en g�n�ral mais encore faut-il avoir un environnement dans lequel la culture a toute sa place. La critique est essentielle car elle permet l�introduction d�un regard attentif et connaisseur qui va suivre tout le processus de fabrication du d�but jusqu�� la fin. A une certaine �poque, il y avait un r�el int�r�t de la part des journalistes qui r�agissaient intellectuellement � la magie du th��tre. Nous essayons � travers ces rencontres non pas de former � la formation demande plusieurs ann�es � mais de proposer des �l�ments de base notamment aux journalistes pour avoir des outils pour la compr�hension d�un texte dramatique. En quelques mots qui r�sumeraient la personnalit� de Kateb Yacine, vous diriez quoi ? Je dirai que Kateb Yacine, dans sa d�marche d�homme de th��tre, d��crivain-journaliste, de militant engag� et d�humaniste, voulait int�grer le petit peuple dans son histoire. Il voulait aussi que ce petit peuple pour lequel il vouait une r�elle tendresse soit impliqu� et prenne conscience de l�histoire et des pr�occupations des autres peuples. Je dirai surtout que Kateb Yacine �tait un homme de v�rit�.