«Nedjma, un roman phare de la littérature algérienne qui fera sa renommée en même temps qu'il jettera une lumière crue sur l'Algérie colonisée», a rappelé Benamar Mediene. Pour plonger qui le veut dans les multiples lectures de l'iconoclaste Kateb Yacine, disparu il y a tout juste 20 ans, les chercheurs et universitaires ont poursuivi jeudi dernier, à Alger, des débats sur l'oeuvre et le parcours de Kateb Yacine, ouverts mercredi au Palais de la culture par une série de conférences sur sa vie et son oeuvre romanesque. Une initiative de la compagnie Gosto Théâtre, fondée en 2005 par Ziani Chérif Ayad. Elle propose donc au public présent une occasion dédiée à Kateb Yacine, qui ne prendrait pas la forme d'une «commémoration nostalgique», mais plutôt d'un moment «vivant sur les héritages possibles de son parcours et de ses oeuvres pour les jeunes auteurs, étudiants et dramaturges algériens». Son parcours est tellement riche. S'il a été originellement un repère pour les uns et une source d'inspiration pour les autres, cette fois-ci, on évoque sa production théâtrale et journalistique, comme pour rappeler que l'auteur de Nedjma fut aussi et surtout un homme de théâtre et un journaliste de talent. Pour l'écriture théâtrale, un genre dans lequel l'auteur de Nedjma a été le plus prolifique, elle s'étale sur une période de trente ans. D'auteur de pièces de théâtre Le Polygone Etoilé, Le Cercle des représailles..., écrites et jouées en France à la fin des années 50, Kateb Yacine se distinguera, dès son retour et son installation en Algérie, au début de la décennie 1970, par la mise en scène de ses propres oeuvres. Jusqu'à sa disparition en 1989, Kateb Yacine se vouera à l'édification d'un théâtre populaire, entièrement dédié aux préoccupations de ses concitoyens. Saout Ennisa (1972), La Guerre de 2000 ans ou encore Palestine trahie (1977), seront parmi les productions les plus marquantes et par lesquelles l'auteur de Nedjma exprime un engagement politique jamais renié. Une autre facette de Kateb Yacine, celle du journaliste, sera également explorée lors de ces rencontres. A dix-sept ans, il signe son premier article dans le journal En Nahda, avant d'être engagé par le quotidien Alger Républicain et de se voir confier, à 21 ans, la rubrique internationale. Synthèse d'une carrière journalistique, saluée comme étant riche et réussie, un recueil d'articles de presse parus entre 1947 et 1989, sélectionnés par son fils Amazigh Kateb, a été publié par la célèbre maison d'édition française Le Seuil. Au premier jour de ces rencontres, un ami et confident du romancier, Benamar Mediene, universitaire et critique d'art, semblait exprimer un sentiment général à travers l'évocation de la vie, des amitiés et des «errances» dont est empreinte toute l'oeuvre de Kateb. L'universitaire dira de lui qu'«il n'a jamais eu de chez soi». «Le père de Nedjma est devenu un errant depuis qu'il a quitté Sétif en 1945», dira-t-il. Cette année-là, ajoutait l'universitaire, marquera à jamais la vie et l'oeuvre du jeune Kateb Yacine. «Il avait alors 16 ans, il subira, coup sur coup, le choc de la répression des manifestations du 8 Mai 1945 et celui de l'amour impossible qu'il porte à sa cousine, son aînée de dix ans et de surcroît mariée. De cette double tourmente, le romancier écrira, onze ans plus tard, Nedjma, un roman phare de la littérature algérienne qui fera sa renommée en même temps qu'il jettera une lumière crue sur l'Algérie colonisée». Benamar Mediene parlera aussi de la double filiation, familiale et intellectuelle de Kateb Yacine, de ses «compagnons de route», comme Mohamed Dib et Malek Haddad, ou encore de ses rencontres avec les poètes français, Paul Eluard et Louis Aragon. Pour ce chercheur, la création postindépendance de Kateb Yacine «a été marquée par un engagement dans le théâtre et a été sans doute la ´´plus douloureusement vécue´´, en particulier à cause des nombreuses interdictions qui avaient frappé les pièces écrites et produites par la troupe que Kateb Yacine s'est acharné à faire vivre et travailler, durant de longues années». D'autres présentations, sous forme de grilles de lecture diversifiées, données par d'autres universitaires, avaient abordé «l'intellectuel iconoclaste» qu'était Kateb Yacine. Tous ces intervenants insisteront sur la difficulté à analyser son oeuvre où poésie se conjugue avec engagement. L'oeuvre katébienne, résumera l'universitaire Aïcha Kassoul, «est déroutante, mais elle a un sens, celui de la liberté au nom de la justice et du devoir de résistance». Tout le monde était là, ils ont parlé de lui et des autres. Et au lendemain, retomberont-ils dans l'oubli, comme la «tradition» l'impose? Comme si notre mémoire collective est faite de brouillard et d'ombre. Même si ce n'est pas le cas, les artistes et les intellectuels ne meurent jamais, ils sont les étoiles, il s'éteignent pour laisser rejaillir la lumière du coeur de la nuit et caresser ce grand silence qui nous entoure.