Une semaine apr�s le match de Khartoum, l'Egypte officielle ne s'est pas encore remise de la d�faite de son �quipe nationale. Le d�lire continue : m�dias, artistes, religieux, politiques continuent de fustiger l'Alg�rie, son peuple, son pass� historique et son embl�me national (br�l� par des manifestants) ! En Alg�rie, personne n'imaginait qu'une rencontre de football allait sortir de son cadre sportif et d�boucher sur une tension entre les deux pays. Certes, chacun s'attendait � un match retour difficile au Caire. Mais personne ne se doutait que l'�quipe nationale alg�rienne allait tomber dans un sordide guet-apens (caillassage du bus, joueurs bless�s et traumatis�s) pour arracher la victoire. Eu �gard au r�le et � la place de l'Egypte au Proche- Orient, des liens privil�gi�s entre Washington et Le Caire, voire avec Isra�l, les autorit�s �gyptiennes �taient persuad�es �elles le sont toujours � que la qualification au Mondial leur revenait de droit et autorisait tous les mauvais coups contre leurs adversaires alg�riens. Et en agissant de la sorte, elles ne savaient pas qu'elles venaient de perdre une bataille m�diatique avant de perdre la bataille sportive : les images des joueurs alg�riens agress�s � moins de 48 heures d'un match d�cisif ont choqu� la plan�te enti�re. Le r�gime du pr�sident Moubarak avait �galement besoin de cette qualification pour au moins deux raisons. La premi�re est la situation sociale pr�occupante que traverse le pays. Au printemps 2008, l'Egypte a �t� le th��tre de graves �meutes populaires, de gr�ves en raison d'une hausse des prix du pain (plus de 48 %). Dans un pays o� le salaire moyen ne d�passe pas les 100 euros et o� moins de 20 % de la population d�tient plus de 80 % des richesses du pays, le football constitue un bon d�rivatif au v�cu quotidien difficile des Egyptiens. Par ces temps de d�sillusion collective envers le fait politique, le football est le seul objet qui mobilise les masses et transcende les appartenances politico-religieuses et de classes. Ensuite, la qualification des Pharaons au Mondial sud-africain s'inscrivait en droite ligne de la sourde rivalit� que se livrent des clans du r�gime autour de la succession de Hosni Moubarak (81 ans). Son fils, Gamal, qui veut lui succ�der, ne fait pas l'unanimit� au sein des cercles du pouvoir �gyptien (Amr Moussa, l'actuel secr�taire g�n�ral de la Ligue arabe, est aussi sur les rangs). Le fils du Ra�s s'est impliqu� personnellement dans ce match : on l'a beaucoup vu aupr�s des vedettes du foot �gyptien. Il a mobilis� les artistes et les intellectuels ainsi que les religieux, puisque des pr�ches ont �t� lus dans toutes les mosqu�es �gyptiennes. Les Fr�res musulmans n'�taient pas en reste. Mais voil�, la d�faite de l'�quipe �gyptienne � Khartoum a contrari� le plan m�diatico-politique mis en place par les amis de Gamal afin qu'il soit, le moment venu, en position de force pour succ�der au p�re � la t�te du pays, et pour que le peuple �gyptien oublie, l'instant d'une qualification, son v�cu quotidien. C'est cette raison qui a provoqu� la col�re du chef de l'Etat �gyptien et de son fils. Dans cette affaire, le mentor des islamistes, al- Qaradaoui, l'homme qui avait justifi� le �djihad� en Alg�rie (les documents existent), va appeler le pr�sident Bouteflika pour �calmer les esprits� ! Et non son compatriote Moubarak. Comme si les Alg�riens �taient responsables de cette tension. Quoi qu'il en soit, les passions qu'a soulev�es ce match Alg�rie-Egypte, en Alg�rie, mais aussi au Maroc et en Tunisie, ont r�v�l� une r�elle fracture politico-culturelle : celle qui s�pare le Maghreb du Machreq. A travers leurs attaques et leurs diatribes, les politiques et les m�dias �gyptiens ont eu le m�rite d'avoir rappel� cette �vidence que certains de nos politiques continuent de faire mine d'ignorer. Et je ne pense pas que la m�diation propos�e par Mouamar Khadafi puisse r�parer les d�g�ts, car ce match va laisser des traces.