Le dernier communiqu� du ministre de l�Education pose s�rieusement le probl�me de la citoyennet� dans un pays o� la parole �populaire� se perd dans les trav�es de l�indicible. Mots mena�ants, violence du ton et m�pris de toute parole diff�rente. Dans un pays normal, c�est-�-dire d�mocratique, toute la soci�t� aurait r�agi � cet appel � la division nationale. En tant qu�universitaire et ancien journaliste, n�ayant jamais fait partie d�un groupe de plus de deux personnes, je n�ai nullement �t� surpris par le silence complice de personnalit�s dites nationales et de l�universit� cens�es parler au nom de ceux qui sont priv�s de l�usage de cette parole. Comme je n�ai pas �t� �tonn� par le ton mena�ant et l�instrumentalisation de l�appareil judiciaire. Le discours minist�riel engage tous les espaces de gouvernement, contrairement aux propos contenus dans la d�claration, tr�s tardive, trop timide et extr�mement timor�e d�un Cnes, esseul�, pr�f�rant peut-�tre les jeux de coulisses, porteuses de places possibles � des strapontins �ventuels. Le silence d�sormais trop peu significatif d�une UGTA, minoritaire, portant l�uniforme du soldat sans grade, faisant penser � Schweik, �tait �galement pr�visible. Tous s�accordent en observant un mutisme complice � cette menace tragique et historique (m�me du temps de la colonisation, la chose n��tait pas arriv�e) de licencier 50 000 enseignants et de les remplacer par d�autres qu�on pourrait changer de peuple et en choisir un autre beaucoup plus convenable, c�est�- dire un peuple de ventres creux s�octroyant avec un plaisir extatique les places des autres. L�universit� a besoin d�un v�ritable syndicat et d�une certaine autonomie, loin de cette mode � l�alg�rienne de recteurs futurs s�nateurs ou d�put�s de �partis� - appareils dits majoritaires. Certes, apr�s le d�part sciemment encourag� de centaines de comp�tences universitaires nationales � l��tranger, surtout dans les universit�s europ�ennes et canadiennes, il ne reste finalement pas grand monde dans l�univers de ce que nous pourrions placer dans la cat�gorie des �producteurs de savoir�. L�universit� a atteint un stade avanc� de d�liquescence sans que les pouvoirs publics daignent s�en inqui�ter. Ce qui se passe dans ces lieux mis�rables, marqu�s du sceau de l�aphonie et d�une incomp�tence primaire, n�int�resserait pas nos gouvernants trop prompts � aligner des chiffres trop myopes et � chercher � exorciser r�guli�rement le syndrome de l�ann�e blanche. Professeur exer�ant en Alg�rie et dans des universit�s europ�ennes comme professeur invit�, je ne peux qu�appr�cier la grande diff�rence entre les deux espaces. Chez nous, le plagiat, l�absence de s�rieux, la mauvaise gestion et l�absence de recherche, en dehors de cette comptabilit� fun�raire de projets et de labos dits de recherche sans consistance, sont les lieux les mieux partag�s. Des universit�s souvent sales, des amphis non op�ratoires, des responsables d�sign�s, parfois, en catimini et un fonctionnement des plus mis�rables caract�risent ces lieux o� il n�y a ni salle de travail pour les �tudiants, ni bureaux pour les professeurs condamn�s � passer leur temps vide au milieu des �tudiants, des biblioth�ques jamais r�actualis�es et un grave d�ficit en activit�s culturelles, des conseils scientifiques s�occupant rarement de l�essentiel, des �coles dites doctorales n�h�sitant pas � se substituer � la Fonction publique et des bourses assimil�es � une distribution d�une rente. La majorit� de nos universitaires ne lit pas, incapable de produire un savoir, manquant tragiquement de background culturel, se fourvoyant dans des t�ches de reproduction de discours d�j� l� et dans une gymnastique continue de non-r�actualisation de leurs cours (parfois int�gralement d�Internet) et de leurs connaissances. L�activit� culturelle est dramatiquement absente : tout d�bat est impossible, les colloques se r�sumant souvent � des expos�s descriptifs, espaces de bouffe et de distribution d�attestations de participation donnant la possibilit� de postuler � des grades sup�rieurs et des revues ineptes sans r�elle valeur scientifique. Il y a aussi cette histoire, qui n�en finit pas, de soutenances arrang�es avec des jurys de complaisance. Dans mon universit� o� il est vain de chercher une biblioth�que valable ou une revue scientifique r�cente, je ne peux que gambader au milieu des �tudiants dans des couloirs labyrinthiques, hors des amphis trop froids o� il est impossible d��tre entendu par les �tudiants trop mal pris en charge, et d�une salle des enseignants, d�une incroyable salet�. Pas de bureaux pour enseignants, pas de toilettes ni de lieux de travail corrects. Internet, c�est du domaine du virtuel. Mon salaire de professeur (le grade le plus �lev� de l�universit�) de 72 000 dinars, avec de nombreuses ann�es d�anciennet�, me permet tout de m�me d�acheter quelques ouvrages. Les uns et les autres se regardent, observant un silence marqu� d�une grave indiff�rence, tournant souvent le dos au d�bat social et scientifique et � une soci�t�, drap�s du sceau de l��tranget�. Cette mani�re de faire qui caract�rise �galement le secteur de la Sant�, laiss� pour compte, d�ailleurs, ce n�est pas pour rien que des m�decins ont �t� brutalis�s lors de leur mouvement de protestation alors qu�ils posaient pacifiquement leurs probl�mes, eux qui, m�decins g�n�ralistes, d�butent avec un salaire mensuel de 33 000 DA et un sp�cialiste ne d�passant pas les 44 500 DA. L�h�pital, malade, est souvent assimil� � un mouroir, faute de bonnes conditions de travail et de mat�riel ad�quat. Nos responsables se soignent � l��tranger. Ce qui est une grave insulte � un syst�me de sant� qu�ils sont cens�s mettre en place. Nous sommes en pr�sence de deux mondes, les privil�gi�s et les suivants et la soci�t� profonde. Les deux conflits ont donn� � voir aux Alg�riens l�impression qu�ils sont des �trangers dans leur propre pays. Le discours du ministre de l�Education (et l�inflexibilit� arrogante de son coll�gue de la Sant�), usant d�un lexique violent, marqu� par la pr�sence de nombreux imp�ratifs et de n�gations, dit par le pr�sentateur de la t�l�vision sur un ton militaire, inqui�te par sa brutalit� et son manque de mesure. Ce qui �tait entrepris pour faire du r�cepteur un �tre passif, soumis, conna�t une mue : les jeux de la r�ception m�diatique sont tellement complexes que le discours, une fois re�u, est neutralis�, se retournant contre son �metteur, assimil� � un repr�sentant d�un appareil r�pressif, usant d�une force injuste. C�est � l�image d�une t�l�vision �arm�e�, au garde-�-vous, �loign�e du grand nombre, que nous avions affaire, ce qui engendre plus de distance et de m�fiance. L��metteur voit sa parole d�gonfl�e, perdant son sens initial pour se retrouver marqu�e du sceau de l��trange et de l��tranger. Ce n�est pas pour rien que les gens parlant du ministre l�assimilent � un �ils�, la troisi�me personne du pluriel, qui le met dans la posture de l�adversaire. �Le temps de la carotte est termin� � �les syndicats perturbateurs doivent �tre chass�s � : ces sentences du premier responsable du secteur de l�Education sont graves, convoquent encore une fois la violence, la r�pression, la contrainte et l�autoritarisme, r�duisant � n�ant toute pr�tention citoyenne. C�est l�expression d�une pauvret� au niveau du langage et d�une propension � user de la violence quand les mots, peu engageants, ne r�ussissent pas � convaincre l�auditeur, une pratique fonctionnant essentiellement dans les structures tribales et claniques. Pour le secr�taire g�n�ral du minist�re, l�Etat se confond avec le gouvernement, �vacuant toute possibilit� de pratiques d�mocratiques assimil�es � la �carotte�. C�est le SG qui nous propose cette sortie sur la presse publique et l�Etat, digne des r�gimes autocratiques : �Les m�dias publics appartiennent � l�Etat et doivent donc d�fendre l�Etat�. De quel Etat parle-t-il ? L� se pose un s�rieux probl�me de d�finition. Dans les pays d�mocratiques, l�Etat ne se r�duit pas exclusivement � l��quipe gouvernementale. Est-il possible de continuer � user de la violence �l�gale� pour d�samorcer des crises qui ne cesseront pas de remonter � la surface et de r�duire au silence toutes les voix discordantes que compte ce pays ? La censure n�y peut rien, comme ces instructions qui auraient �t� donn�es, selon le site TSA, aux m�dias dits publics, d�ailleurs trop pauvres, pour qu�ils censurent une partie de la soci�t� protestataire, celle des enseignants et des m�decins gr�vistes. La soci�t�, par ce comportement trop peu l�gal de pouvoirs �publics�, vivant un s�rieux d�ficit de l�gitimit�, se retrouve d�j�, de fait, exclue des trav�es des m�dias publics et en porte-�-faux avec un Etat depuis longtemps en voie s�rieuse de privatisation. L�instrumentation r�guli�re de la justice fragilise davantage cet appareil id�ologique semblant ob�ir � des objections �r�f�r�es�, ce qui aggrave encore plus les choses, mettant en suspicion les espaces-cl�s du discours �tatique, � commencer par l��cole, la presse dite publique, la justice, et creusant ainsi un profond foss� entre les �privil�gi�s� (ceux d�tenant les postescl�s) et la soci�t� profonde (vivant au quotidien les jeux trop peu am�nes d�un pouvoir d�achat en chute libre), ce qui n�augure rien de bon pour un futur trop obscur, � l�aune des affaires actuelles de corruption et de la mise en accusation des espaces �politiques� actuels consid�r�s sans l�gitimit�. Qui comprendra que l�UGTA, syndicat d�sormais minoritaire, g�re encore les �uvres sociales de l�Education alors qu�il serait mieux indiqu� de les laisser � tous les travailleurs qui choisiraient des commissions libres pouvant faire profiter tous les employ�s de cette cons�quente manne financi�re ? L�UGTA, quelque peu proche du RND, est impos�e � une soci�t� qui semble vouloir l�envoyer au mus�e de l�Histoire, action qui aurait d� �tre entreprise il y a fort longtemps. Mais la contrainte semble prendre le dessus sur la raison. La c�sure caract�risant les relations conflictuelles entre les lieux de la d�cision et l�espace social est tellement profonde que toute communication est alt�r�e, travers�e par les scories de la r�pression. Les syndicats enseignants semblent d�ranger parce qu�ils posent, au-del� de la l�gitime qu�te d�augmentation des salaires, des questions politiques. Surtout la place r�elle que devrait occuper ce qu�on appelle pompeusement la �centrale� syndicale, appel�e � continuer � vivre de la rente p�troli�re, d�ailleurs trop opaque dans un pays o�, partout, celle-ci entretient les liens communautaires, tribaux et familiaux, faisant vivre une �famille� r�volutionnaire aux crochets d�un minist�re des Moudjahidine dont le budget serait beaucoup plus important que celui de l�Enseignement sup�rieur. C�est tout dire d�un gouvernement qui consid�re l�universit� comme un simple espace d�illustration de son discours, l�h�pital comme une ambulance en perp�tuelle panne et la �culture�, otage d�une politique festivali�re trop co�teuse, n�apportant absolument rien � la production culturelle, excluant les diff�rents publics, s�apparentant � une �dilapidation� des deniers publics. Dans ce contexte �lectrique, la convocation autoritariste de la parole r�pressive neutralise toute possibilit� de dialogue et radicalise davantage le discours adverse appel� � se terrer un moment pour r�appara�tre au-devant de la sc�ne. La m�moire, pour reprendre Paul Ric�ur, est le lieu privil�gi� de la remont�e des eaux. Les jeux de l�autorit� qui ne pourraient r�duire les lieux saillants de la m�moire en une zone aphasique ne feraient que diff�rer les vrais d�bats, engendrant de nouveaux rapports de force et mobilisant la soci�t� tout en fragilisant l�appareil �tatique. Ce qui provoquerait in�luctablement de profondes c�sures. A. C.