Adrar n�Fad, la montagne de la soif ? C�est le nom donn� depuis les temps imm�moriaux � cette montagne pel�e, aride, sur son versant nord, paradoxalement luxuriante sur l�autre versant, que l�on voit � partir d�A�t- Sma�l, � un nuage des gorges de Kherrata, dans la wilaya de B�ja�a. En portant son regard ailleurs, on tombe cette fois-ci sur Adrar Amellal, la montagne blanche, roc d�nud�, pos� comme une masse arrondie en regard du ciel brumeux. A�t-Sma�l se fait conna�tre depuis de nombreuses ann�es par le dynamisme inventif de son association culturelle Adrar n�Fad (Traduction litt�rale : Tiddukla Tadelsant Adrar n�Fad) initiatrice depuis 2003 d�un festival (Tafaska) annuel de po�sie amazighe en hommage � Mouloud Mammeri. Le week-end dernier s�est tenue la huiti�me version de ce festival, depuis belle lurette devenu une r�f�rence nationale en mati�re de po�sie en tamazight. D�abord, en raison de la participation : 125 po�tes, cette ann�e. Enorme ! On croise des po�tes des Aur�s, de l�Ahaggar, du mont Chenoua, du Gourara, sans compter, bien �videmment, le Djurdjura, les Bibans et les Babors. On aurait pu pr�c�der l��num�ration, comme le fait un animateur de t�l� fran�ais, par une rubrique : les invit�s qui n�ont pas pu venir ! On aurait alors ajout� les po�tes du Rif (Maroc) et de Djebel Menfoussa (Libye). L��ventail g�ographique donne en tout cas un aper�u diversifi� des variantes dans la pratique de tamazight et surtout de l��tat d�inventivit� de la po�sie. L�autre raison de la qualit� du festival est la rigueur et le s�rieux � la fois des organisateurs et des membres du jury, tous sp�cialistes de la question. Ce travail harassant s�appuie sur le parrainage de cette citation de Shakespeare : �La po�sie la plus vraie est celle o� il y a le plus d�invention.� Coup classique : n� � l�initiative volontariste d�une association culturelle qui r�ussit la prouesse de secouer la tentation de la l�thargie, le festival ne b�n�ficie �videmment pas de l�ombre d�un centime de dinar de la part des institutions charg�es de la culture. Mais quand l�enfant commence � marcher, non seulement elles se montrent mais ses responsables s�adonnent au jeu innocent des inaugurations d��v�nements pour lesquels ils ne sont pour rien. Jusque-l�, pour rendre possible un festival aussi lourd pour de si maigres moyens, l�association culturelle Adrar N�Fad a couru les sponsorings. Elle en a obtenu, et c�est tant mieux ! Souvent dans le priv�. H�las ! Pour autant, � travers ses institutions culturelles, l�Etat ne devrait pas se d�rober au devoir de mettre la main au porte-monnaie. Si ce n�est pas pour cette synth�se embl�matique entre une culture de masse et de qualit� telle que pratiqu�e par le festival de po�sie d�A�t-Sma�l, je ne vois pas o� devraient aller les deniers publics. A moins que les strat�ges-cultureux pensent que la po�sie en tamazight et � A�t-Sma�l (o� c�est d�j� ?), bof, ma foi, y�a mieux � faire�. Le village d�A�t-Sma�l est nich� dans un creux du flanc de montagne, entour� d�un cirque de pierre. Sur les parois, il reste des virgules de neige qui brillent comme des lettres calligraphi�es dans la lumi�re crue du soleil qui, enfin, remontre son museau. D�s qu�on y p�n�tre, on voit bien qu�il vit au rythme du festival. Calicots �tendus d�un c�t� � l�autre de la grand-rue. Animation sobre des caf�s. Tumulte po�tique autour et dans la Maison de jeunes, �picentre de l��v�nement. Balades des festivaliers dans les rues escarp�es ponctu�es par des d�bats passionn�s. De loin, on observe les gestes qui accompagnent les d�monstrations. Discussions dans l�immense r�fectoire du CEM Zemour-Amar o� se prennent les repas. Bref, chaleureuse ambiance d�un festival de po�sie mu davantage par la volont� que par les moyens. La population est �videmment en plein dans le coup. Les d�clamations se font dans une salle archicomble. Guest star du festival : une troupe de l�Ahellil du Gourara. Le lien avec le festival de po�sie amazighe est double. D�abord, l�ahellil se chante en tamazight, on est en plein dans le sujet. L�autre lien est Mouloud Mammeri. On sait que c�est gr�ce � sa t�nacit� que le genre a fini par �tre inscrit en 2008 par l�Unesco comme chef-d��uvre au patrimoine immat�riel de l�humanit�. Chant, musique, danse, genre musical polyphonique, l�ahellil est pratiqu� par les Berb�res z�n�tes du Gourara comme on soude un rempart pour affronter, solidaires, l�adversit� d�un milieu naturel difficile. La s�ance d�ahellil offerte � A�t-Sma�l par une troupe du Gourara a fait �clater l��vidence, d�j� r�v�l�e justement par les travaux de Mouloud Mammeri, que sc�ne et salle sont dans la m�me culture. Slam. Je soup�onne Marc Smith, ce jeune �crivain de Chicago qui a baptis� dans les ann�es 1990 �slam� (�claquer � en anglais), le mouvement de po�sie issu de comp�titions (Uptown Poetry Slam) arbitr�es par le public d�avoir assist� � des d�clamations de po�tes en tamazight. Les po�tes en comp�tition ici sont d�partag�s aussi par leur �crit. Mais la d�clamation fait partie du jeu. Apr�s tout, s�agissant d�une po�sie qui a surv�cu par l�oralit� qu�elle a port�e � un niveau de perfection proche de la joaillerie, c�est dans l�ordre des choses. Si bien qu�on voit battre la tribune, dans des niveaux de th��tralisation divers, des po�tes des deux sexes et de tous �ges (le r�glement du festival impose l��ge limite � 18 ans), vivant leur parole, ou l�incarnant, la jouant, la surjouant, dans des registres vocaux et gestuels extr�mement vari�s. La d�clamation est en soi un spectacle, qui, parfois, se transborde de la sc�ne � la salle. A l��vidence, il y a quelque chose de fascinant � entendre cette parole po�tique dite par celui par qui elle arrive avec la volont� de convaincre, sinon de s�duire. Mises bout � bout, les d�clamations forment comme une cha�ne qui r�anracine la po�sie d�aujourd�hui dans le temps antique de la po�sie amazighe. Il y a de l�innovation et du pass�, voire du pass�iste. L�avis du jury ? Ouali Abdelkader, de B�ja�a, l�emporte. Mais il y a deux autres prix ainsi que des prix d�encouragement pour les diff�rents dialectes berb�res pr�sents. Mais aussi pour la meilleure po�sie f�minine, la meilleure po�sie de jeunes et la plus grande fid�lit� au festival. Qui doit durer et prosp�rer, car c�est un acte de culture.