Au lendemain de l�ind�pendance de l�Alg�rie, le d�part massif des pieds-noirs laissait le pays sans administration et mettait � l�arr�t l�ensemble de l�appareil �conomique du pays. Les extr�mistes, surtout ceux de l�OAS, qui avaient travaill� � d�truire les espoirs d�une transition facile, esp�raient qu�ainsi l�Alg�rie sombrerait dans le chaos. Trois facteurs ont d��u ces espoirs. D�abord, pendant la colonisation, les Alg�riens vivaient en marge de la soci�t� dominante fran�aise et avaient de ce fait des besoins tr�s limit�s, souvent satisfait en dehors du circuit �conomique classique. Ensuite, les travailleurs de la terre �taient surtout des Alg�riens. Ils �taient capables de faire fructifier la terre, m�me si de mani�re moins efficace que les colons. Finalement, le combat de lib�ration servait notamment de stimulant � l�initiative entrepreneuriale. Tous ces �l�ments ont contribu� � faciliter les d�cisions qui ont mis l�Alg�rie sur une trajectoire vertueuse. La premi�re d�cision et la plus importante fut impos�e aux autorit�s par l�initiative citoyenne. Les travailleurs, de la terre et des usines, ont pris en charge leurs installations ou propri�t�s terriennes pour les sauvegarder. Ceci mena � l�autogestion, une forme d�organisation de la production inspir�e surtout de l�exp�rience coop�rative yougoslave et, en partie, des Kolkhoses et des Sovkhoses, les grands ensembles de production sovi�tiques. L�autogestion a �t� efficace pour faire face au vide de direction �conomique du lendemain de l�ind�pendance. Mais comme souvent, dans une sorte de paradoxe d�Icare, les bonnes choses pouss�es � leurs extr�mes deviennent destructives. L�autogestion �tait bonne pour le lendemain de l�ind�pendance. Elle �tait bien moins appropri�e pour le d�veloppement �conomique de l�Alg�rie. L�autogestion est devenue socialisme parce que cela �tait compatible avec les sentiments de fraternit� et de solidarit� que la R�volution avait g�n�r�s. Le socialisme mettait l�accent sur la justice sociale, une aspiration que les �lites et les r�volutionnaires alg�riens avaient mise de l�avant, depuis la cr�ation du PPA, pour souligner les injustices �conomiques consid�rables dont les Alg�riens �taient victimes au cours de la p�riode coloniale. L�aspiration de justice sociale devint un objectif et fut confirm�e au congr�s de la Soummam en 1956. Il faut cependant noter que la justice sociale ne veut cependant pas dire l��galit� sociale. Elle signifie que les personnes sont trait�es de mani�re juste par leurs institutions, de sorte que l�effort et la contribution soient r�tribu�s � leur juste valeur. Mais la diff�rence entre les deux a vite �t� n�glig�e. La justice sociale fut aussi confondue avec le socialisme et celui-ci, pour suivre l�exemple sovi�tique, �tait assimil� � l��tatisme. La centralisation du pouvoir que cela impliquait �tait cependant compatible avec le seul exemple que les �lites alg�riennes avaient fr�quent�, celui de l��tat fran�ais. Les conditions de mise en place du socialisme-�tatisme Le socialisme arrivait en Alg�rie � une �poque historique o� la concurrence entre socialisme et capitalisme �tait tr�s importante. Cette concurrence �tait non seulement id�ologique mais aussi g�opolitique. Les �tats- Unis d�Am�rique et l�Union sovi�tique �taient les acteurs principaux de la rivalit� entre socialisme et capitalisme. Au d�but des ann�es 1960, le gouvernement am�ricain de Kennedy avait exprim� un soutien r�el pour la R�volution alg�rienne, que le gouvernement am�ricain percevait comme une lutte d��mancipation l�gitime des peuples. Les Alg�riens �taient per�us alors comme un peuple fier et amoureux de la libert�, un peu comme l��taient les Am�ricains eux-m�mes. Mais l�Am�rique �tait repr�sentative du p�ch� originel de l�Occident colonisateur et imp�rialiste. De plus, l�Am�rique �tait en proie au doute sur son propre syst�me. La grande d�pression et la Seconde Guerre mondiale sugg�raient que le capitalisme �tait peut-�tre condamn� � se d�truire, comme l�avait pr�dit Marx. Finalement, un dernier �l�ment important dans l��quation �tait la situation au Moyen-Orient. Les Occidentaux avaient cr�� l��tat d�Isra�l et le soutenait � bout de bras. En particulier, les �tats-Unis paraissaient �tre les champions de la domination occidentale du Moyen-Orient, en confisquant � leur avantage le p�trole saoudien et en organisant le coup d��tat qui a d�fait le gouvernement d�mocratiquement �lu de Mossadeq en Iran. De l�autre c�t�, le syst�me sovi�tique �tait en pleine expansion. Il �tait soutenu par la plupart des intellectuels des pays de l�Europe de l�Ouest. Il avait le vent en poupe et paraissait �tre porteur du futur. Ben Bella n�h�sita pas une seconde. Sa premi�re action diplomatique fut de faire un discours aux Nations-Unies et imm�diatement apr�s il visita Cuba, alli� de l�Union sovi�tique, en snobant Kennedy et les responsables am�ricains. Cela fut interpr�t� comme un acte hostile � l�Am�rique. Cuba, qui avait, bien entendu, soutenu la R�volution alg�rienne sans r�serve, a aussi contribu� � pousser l�Alg�rie dans le camp sovi�tique. Plus tard, l�Alg�rie devint l�un des champions du non-alignement, mais le mouvement des Non-align�s fut rapidement per�u comme une volont� de s��loigner du camp occidental et de se rapprocher du camp sovi�tique. Dans un tel contexte, le choix du socialisme, qui �tait un choix de circonstance, impos� par l�hostilit� de l�OAS et du colonialisme fran�ais, devint un choix id�ologique rigide. Comme tous les r�gimes socialistes, le r�gime alg�rien se transforma rapidement en �tatisme autoritaire, une sorte de national-socialisme centralis� avec un leader populiste charismatique � sa t�te, Ben Bella. Ce dernier, per�u comme m�galomane, �motif et centr� sur lui-m�me, d�rangea rapidement la logique rationnelle des �lites du FLN et de l�ALN, devenue ANP (Arm�e nationale populaire). Il fut remplac� par un groupe d�officiers dirig� par Houari Boumedi�ne, lors d�un coup d��tat le 19 juin 1965. Le coup d�Etat ne changea pas le choix id�ologique du socialisme. Il le renfor�a, parce que le groupe qui arrivait au pouvoir voyait le destin de l�Alg�rie comme r�volutionnaire et mondial. Les r�sultats du socialisme-�tatisme Le choix du socialisme�tatiste a toutefois apport� des r�sultats positifs, du moins dans sa premi�re phase, gr�ce aux acteurs qui l�animaient. D�abord Boumedi�ne, le chef de l�Arm�e de lib�ration nationale, qui se r�v�la un leader charismatique fort et talentueux. Il �tait second� au plan politique par un groupe de jeunes officiers de l�ALN, dont faisait partie le pr�sident actuel Abdelaziz Bouteflika, qui a jou� un r�le positif important dans la poursuite du d�veloppement de la diplomatie alg�rienne dans le monde. Intellectuellement et moralement, on dit que ce groupe �tait domin� par Ahmed Medeghri, l�un des officiers qui �tait le plus pr�occup� par la construction des institutions et qui devint de ce fait le ministre de l�Int�rieur. Au plan �conomique, il n�y avait pas de leader fort, mais il y avait, tout de m�me, un groupe de jeunes intellectuels s�duits par l��tatisme et qui avaient � leur t�te Bela�d Abdesslam. Celui-ci devint ministre de l�Industrie et de l�Energie. Les capacit�s et l�exp�rience en mati�re de d�veloppement industriel �tant tr�s faibles, ce groupe s�appuya sur les conseils d�universitaires, surtout fran�ais. Stan de Bernis, professeur d��conomie � l�universit� de Grenoble, fut le plus connu � cause du lien qui est fait entre ses conseils et le d�veloppement �tatique centralis� qu�a connu l�Alg�rie. Ses travaux portaient notamment sur ce qu�il est convenu d�appeler �la construction des industries industrialisantes�, qui signifiait qu�il fallait en priorit� d�velopper en amont l�industrie lourde, ce qui servirait alors de fondement au d�veloppement des multitudes d�industries l�g�res en aval. Les premiers r�sultats furent encourageants. L�Alg�rie �tait un pays dont l��conomie �tait simple et il �tait alors appropri� de g�rer cet ensemble de mani�re centralis�e. Cela �vitait les gaspillages et les lenteurs de la d�centralisation. De plus, en 1970, la premi�re crise du p�trole amena des ressources nouvelles consid�rables avec l�augmentation des prix du p�trole et la nationalisation du 24 f�vrier 1971, ce qui permit de faire de l��tat un investisseur de grande envergure. Sans se pr�occuper des questions d�efficacit�, on pouvait construire les industries lourdes auxquelles les conseillers �conomiques faisaient r�f�rence. Plus important, le socialisme a march� au d�part parce que le groupe de direction �tait moralement au-dessus de tout soup�on. Boumedi�ne et ses jeunes officiers, Abdesslam et ses jeunes cadres, �taient tous d�une int�grit� � toute �preuve. Ils �taient d�vou�s � la cause du d�veloppement �conomique et social de la nation. En particulier, Abdesslam a �t� un exemple de vertus morales pour tous ceux qui ont travaill� avec lui. Je n�ai pas moi-m�me travaill� directement avec lui, mais j��tais suffisamment proche pour sentir les effets de son caract�re. Homme de principes, Abdesslam est rapidement devenu l�homme d�une seule cause, celle de l��tatisme centralis�. Malgr� tout le respect et je dois dire l�affection que j�ai port�s et que je porte encore � B�la�d Abdesslam et malgr� mon admiration pour sa g�n�rosit� au service de l�Alg�rie, je dois reconna�tre que sa th�orie, qui �tait pourtant bien formul�e, est fausse. Le socialisme �tatiste ne peut pas permettre de r�aliser un d�veloppement �conomique soutenable du pays. Comme les dirigeants alg�riens ont exp�riment� de mani�re maladroite avec l��conomie de march� et que leurs r�sultats sont faibles, ils pourraient �tre tent�s de revenir au socialisme �tatiste. Mon propos dans ce texte est de montrer que cette voie est sans issue. Le socialisme �tatiste m�ne aux pires r�sultats pour des raisons organisationnelles et non id�ologiques. C�est un bel id�al qu�on ne peut pas r�aliser ! Les probl�mes du socialisme-�tatisme et le march� comme alternative Le socialisme en Alg�rie �tait driv� par la recherche de la justice sociale. Cette derni�re, sous la pression des populations, devint rapidement �galit� sociale. C�est le grand m�rite des r�volutionnaires alg�riens d�avoir voulu r�aliser l��galit� pour tous, mais celle-ci n�est r�alisable qu�au plan institutionnel. C�est une utopie au plan �conomique. Nous devons �tre �gaux en droits et en devoirs, mais nous ne pouvons vraiment l��tre au plan social et �conomique, parce que la soci�t� et l��conomie sont en �volution constante et ne peuvent �tre maintenues statiques sans grand danger pour la survie. Voyons cela plus en d�tail. La th�orie du socialisme, surtout sous le contr�le centralis� de l��tat, est bas�e sur les hypoth�ses (implicites ou explicites) suivantes : H1 : les personnes sont toutes semblables et �quivalentes. Elles ont les m�mes besoins et elles ont les m�mes talents. H2 : Les personnes ne cherchent � satisfaire que des besoins de base (nourriture, g�te, s�curit�, descendance) et sont pr�tes au travail et � la discipline requise pour cela. H3 : Les personnes sont g�n�ralement altruistes et peuvent se sacrifier pour les autres. La cupidit� est une maladie facile � combattre. H4 : Pour une efficacit� de l�action collective, il suffit de mettre de l�ordre dans le travail, si n�cessaire par la force. H5 : On peut organiser la soci�t� comme on organise une usine de production. H6 : Il suffit de faire les bons choix (d�objectifs), d�avoir les bons principes pour r�ussir � atteindre les objectifs. H7 : Les dirigeants sont des philosophes-rois, capables � la fois de la r�flexion et de l�action n�cessaires pour l��mancipation de la soci�t�. Toutes ces hypoth�ses sont utopiques. Elles sont bas�es sur l�id�e que le monde est simple et que des actions claires se mettent en application d�elles-m�mes. Les tenants de l��tatisme pensent que les principales barri�res au d�veloppement de la soci�t� seraient alors le manque de clart� des objectifs et la d�viance des personnes et parfois des dirigeants. Ils affirment qu�avec la force de l��tat, on pourrait rem�dier � tout cela. Ceci est faux. Dans un monde simple o� les relations de cause � effet sont lin�aires, o� les personnes n�ont pas d�ambition, ni de d�sir de d�couverte, o� il suffit de voir clair pour r�aliser les choses, ces hypoth�ses pourraient �tre acceptables. Un exemple de situation simple o� cela est possible est celui d�une petite entreprise familiale, o� les employ�s peu nombreux sont unis par des liens affectifs et o� le pater familial est juste et respect�. Dans un Etat moderne, rien de tout cela n�est vrai. D�abord, les �tres humains sont libres de leurs choix. Ils sont aussi libres de remettre en cause leurs choix. Ils le font constamment � la recherche de leur bien-�tre et de celui de leurs proches. Ils ne coop�rent que lorsqu�il faut faire des choses qu�ils ne peuvent pas faire par euxm�mes. C�est � cela que servent les organisations. C�est un m�canisme par lequel les personnes coop�rent vers une finalit� d�termin�e. Les personnes coop�rent lorsqu�elles consid�rent que les compensations (au sens large) qu�elles re�oivent de l�organisation sont en �quilibre avec les contributions (au sens large) qu�elles lui apportent. Chaque personne fait cette �valuation elle-m�me. Les dirigeants, les gestionnaires sont alors dans le m�tier de les convaincre qu�il y a �quilibre. Pour convaincre les membres de l�organisation, les dirigeants disposent de trois types d�outils : (1) une finalit� convaincante, (2) des incitatifs mat�riels (salaires, promotions, etc.) et (3) des incitatifs id�els, dont l�objet est de convaincre les membres de l�organisation que les objectifs de celle-ci ont de la valeur en soi. Une organisation, m�me parmi les plus simples, pose des probl�mes de compr�hension � ses dirigeants, ce qui explique que peu d�entre elles survivent longtemps. Nous savons aujourd�hui que c�est parce que le syst�me de coop�ration est tr�s difficile � maintenir que les organisations disparaissent. Sans coop�ration, � terme on ne peut avoir d�organisation. Les organisations qui survivent longtemps sont celles qui sont capables de maintenir la coop�ration de leurs membres. Barnard, qui fut l�un des plus importants th�oriciens du fonctionnement des organisations aux �tats-Unis, au moment o� l�Am�rique �tait frapp�e par une s�rie de grandes crises, affirmait que la coop�ration est l�exception plut�t que la r�gle et il avait raison. Lorsque l�organisation est un assemblage d�organisations, comme c�est le cas pour les tr�s grandes entreprises et pour l��tat, on est alors face � un probl�me nouveau que nous appellerons complexit�. C�est une situation o� les relations de cause � effet sont non lin�aires. On sait ce qu�on fait, mais on ne sait plus ce qui va arriver ! Dans toutes les grandes organisations, les dirigeants se retrouvent dans cette situation paradoxale o� ils ne savent plus comment g�n�rer les comportements qui vont permettre de maintenir la coop�ration et de r�aliser les objectifs. C�est ainsi que souvent on obtient des comportements contre-intuitifs. On croit, par exemple, que le comportement des personnes va �tre celui pr�vu et on obtient le comportement oppos�. Souvent, aussi, les dirigeants sont abasourdis, ou affol�s, par les comportements observ�s. Quelques exemples vont nous aider � comprendre ce ph�nom�ne. Au moment o� Barnard �crivait son livre, de nombreux chercheurs am�ricains entreprenaient � Hawthorne, une usine de Western Electric, l�un des projets les plus importants pour tester la th�orie taylorienne du management scientifique. Cette th�orie supposait que les personnes pouvaient �tre contr�l�es comme si elles �taient des machines. Il suffisait d�agir sur les conditions de travail. Cette recherche montra que ce n��tait pas le cas qu�en partie. En particulier, des facteurs sociaux, d�amiti�, de confiance, de relations interpersonnelles, venaient modifier consid�rablement la pr�diction des th�ories tayloriennes lorsque l�individu �tait impliqu� dans une action collective. On a appel� cela l�effet Hawthorne. Donc, on ne peut faire l�hypoth�se que les personnes ob�issent � des lois simples. Elles ont des comportements sociologiques et psychologiques qui peuvent d�fier l�entendement. Elles ne sont que tr�s partiellement pr�visibles. Un autre exemple plus parlant m�a �t� fourni par un entrepreneur alg�rien. Il avait une petite usine, autant dire un atelier, dans les ann�es qui ont suivi l�ind�pendance. Apr�s quelques essais et erreurs, il avait trouv� le moyen de faire des tuyaux perc�s pour le forage d�eau. Il appelait cela des tuyaux � cr�pines. Ces tuyaux �taient � l��poque import�s. La technologie �tant sous contr�le. Il commen�a donc � en faire de mani�re artisanale. Comme la demande �tait forte, il fut bient�t contraint par le nombre de soudeurs qui participaient � la production. Ils �taient cinq. Il ne pouvait pas en augmenter le nombre parce que sa capacit� �lectrique �tait aussi limit�e. Il ne savait pas � l��poque comment l�augmenter. Il d�cida alors de faire travailler ses soudeurs � la t�che et, au lieu de les payer � la journ�e, il les payait au r�sultat. Ainsi, si en 8 heures de travail, chacun r�ussissait habituellement � faire une certaine longueur de soudure, il leur proposa de les payer plus au-del� de cette longueur et en proportion avec celle-ci. Par exemple, s�ils soudaient deux fois plus de tubes, ils seraient pay�s deux fois plus ! Il me racontait alors, encore impressionn� par le r�sultat : �Savez-vous combien ils ont �t� capables de produire dans le m�me temps ? Cinq fois plus ! Et je les ai pay�s cinq fois plus !� Il n�avait jamais imagin� que cela f�t possible. Ses soudeurs �taient bien mieux pay�s que lui, mais il estimait que c��tait m�rit�. Les �tres humains ne sont ni semblables, ni �quivalents. Ils ont des talents et des aspirations diff�rentes. Si on les met dans une situation o� ils peuvent les mettre en valeur, soit par association avec ceux qu�ils aiment, soit en �change de bienfaits (salaire, position, etc.), ils peuvent r�aliser des miracles. L�inverse est aussi vrai. Si on les contraint, ils utiliseront toute leur �nergie et leur cr�ativit� � d�truire le syst�me qui les contraint. Les personnes ont des besoins de base, certes, mais bien d�autres besoins plus �lev�s qui, dans des conditions particuli�res, peuvent prendre encore plus d�importance. Dans ces cas-l�, elles peuvent �tre altruistes mais pour de courtes p�riodes. Les g�n�ticiens appellent cela un altruisme faible ou �un int�r�t bien pens�. Cela veut dire, je suis capable de faire des choses gratuitement pour les autres, lorsque je m�attends � ce que cela me soit rendu d�une mani�re ou d�une autre dans d�autres circonstances. Les leaders sovi�tiques ont �t� surpris au d�part par la capacit� altruiste des personnes, mais le syst�me devenant incompr�hensible, ces m�mes personnes altruistes ont contribu� � l�affaiblir et ultimement � le d�truire. En particulier, un syst�me centralis� est un syst�me m�prisant qui fait fi de la capacit� de chacun � apporter sa contribution de mani�re originale. Il est alors une cible facile pour ceux qu�il essaie d�influencer. Aucun syst�me centralis� ne peut �tre comp�titif longtemps, sauf s�il est am�nag� pour laisser de la place � la n�gociation interne, comme nous l�expliquerons pour le cas fran�ais. Quand on parle de la soci�t� dans son ensemble, les caract�ristiques importantes � garder � l�esprit sont qu�on ne peut pas d�terminer des objectifs valables pour tous, sauf en des termes tr�s g�n�raux. Braybrooke et Lindblom (B&L), deux chercheurs qui se sont int�ress�s aux raisons qui font que les �tats-Unis d�Am�rique soient devenus le premier pays dans le monde, ont montr� qu�il n�est pas possible d��laborer, m�me avec une connaissance totale et des capacit�s de calcul infinies, une fonction bien-�tre globale pour l�ensemble de la nation. Ce qui affecte les uns de mani�re positive peut affecter les autres de mani�re n�gative et il en r�sulte souvent un r�sultat insatisfaisant pour tous. Il faut alors se rendre � l��vidence : �On ne peut pas optimiser dans une nation complexe. On ne peut qu�am�liorer !� L�am�lioration en Am�rique ob�it � ce que B&L appellent �l�incr�mentalisme disjoint�. Cela veut dire que lorsqu�on doit prendre une d�cision qui affecte toute la nation, on appelle cela une d�cision de politique, on ouvre la table pour que tous ceux concern�s puissent apporter leurs contributions. Ainsi, gr�ce � la participation ouverte et institutionnalis�e, tout probl�me en Am�rique est �tudi� bien mieux qu�ailleurs puisque toutes les perspectives viennent se prononcer sur la meilleure fa�on de prendre la d�cision. Sur cette base-l�, on peut prendre la d�cision en sachant qu�on n�a pas laiss� de c�t� un aspect important du probl�me. Lorsque la d�cision est prise, cependant, il y aura des gagnants et des perdants. Pourquoi les perdants reviennent � la table pour la d�cision suivante ? Pourquoi n�abandonnent-ils pas ? Parce que toutes les d�cisions aux �tats-Unis sont des d�cisions incr�mentales, c'est-�-dire petites qui ne rajoutent qu�un petit incr�ment � ce qui existe d�j�. Donc, on ne perd jamais d�finitivement dans ce pays. On peut revenir et gagner au tour suivant. Ce processus constant fait que les d�cisions sont prises au mieux et corrig�es au mieux. On change par petites touches, comme si on peignait un tableau de ma�tre. Ainsi donc, dans une soci�t� complexe, on ne peut s�entendre que sur des grands principes de fonctionnement. C�est ce que, g�n�ralement, on appelle les institutions. Celles-ci comprennent trois grands ensembles : (1) les lois et r�glements qu�on peut consid�rer comme l�appareillage coercitif de l��tat. Il sert � fournir les grandes balises qui permettent le fonctionnement de la soci�t�. Ces balises sont relativement faciles � ajuster. C�est pour cela que parlement, gouvernement et appareil judiciaire travaillent constamment dessus. (2) Les normes professionnelles et les normes de comportement g�n�ral. Il s�agit l� de normes g�n�ralement non �crites qui sont le r�sultat des pratiques professionnelles et des fa�ons de se comporter qui sont sanctionn�es comme bonnes avec le temps. Les pratiques professionnelles sont g�n�ralement sanctionn�es par les ordres professionnels (m�decins, avocats, comptables, etc.), tandis que les normes g�n�rales sont sanctionn�es par l�acceptation de la soci�t� et de ses leaders. Dans les villages africains, par exemple, le respect des a�n�s et leur statut sont une norme qui s�est impos�e avec le temps. Elle n�est pas coercitive, elle est normative. C�est cela qui est consid�r� comme bon et juste par la soci�t� ou par le groupe professionnel concern�. (3) Finalement, le troisi�me groupe d�institutions est quasiment invisible. Il s�agit de notre culture, de notre formation de base, de notre �ducation, des choses qui affectent notre comportement mais auxquelles nous ne pensons que rarement. Nous les prenons pour acquis. Ces institutions sont cruciales parce qu�elles sont � la base de l�unit� d�un groupe de personnes, d�une soci�t�. Plus la soci�t� est complexe et plus les int�r�ts de ses membres sont diff�renci�s et plus ils ont besoin d�institutions solides. Sans ces institutions, face � l�adversit�, les soci�t�s se d�feraient aussi s�rement qu�un groupe de personnes qui ne se connaissent pas. Les institutions, lorsqu�elles sont accept�es et respect�es par les citoyens, permettent alors � chacun de poursuivre ses int�r�ts sans autre consid�ration que le respect des institutions. Cela lib�re les individus et permet � la diversit� de s�exprimer pour le bien de tous. Comment cela se passe-t-il ? Encore un petit bout de th�orie avant de revenir au socialisme �tatiste alg�rien. Une des plus importantes institutions est le march�. Le march� n�est pas un choix id�ologique, comme les id�ologues marxistes modernes l�ont cru et comme ils l�ont impos� en Union sovi�tique puis � tout le monde. Le march� est seulement un m�canisme de coordination des activit�s des personnes d�une soci�t� diff�renci�e. Comment fonctionne le march� ? T. H. (A suivre) * Biographie de Ta�eb Hafsi Ta�eb Hafsi est professeur titulaire de la chaire Walter J. Somers de Management strat�gique international des organisations � l'�cole des hautes �tudes commerciales de Montr�al. Ses recherches portent essentiellement sur la gestion strat�gique des organisations complexes, notamment les entreprises diversifi�es, les entreprises dispers�es g�ographiquement, les organisations � but non lucratif, les entreprises d'�tat et les gouvernements. Il s�int�resse actuellement en particulier aux effets des institutions sur le comportement strat�gique des organisations. Au cours des dix derni�res ann�es, il a conduit des recherches importantes sur le d�sinvestissement, dans les secteurs priv� et public, sur les r�ponses organisationnelles � la mondialisation des march�s, sur le changement strat�gique, sur les questions de comp�titivit� et de strat�gie nationale, sur l�innovation, sur la gouvernance en situation de complexit� et sur la strat�gie et les institutions. Ces sujets sont toujours sur sa table de travail. Ses recherches ont �t� g�n�ralement financ�es par le Centre canadien de recherche en sciences humaines (CRSH), par le Fonds qu�b�cois de recherche sur les soci�t�s et la culture (FQRSC), par le Centre francophone de recherche en informatique des organisations (Cefrio), par le Centre canadien de gestion et par des entreprises. Il a �crit de nombreux articles dans beaucoup de revues acad�miques ou professionnelles notamment : Administrative Science Quarterly, Management International Review, Academy of Management Review, Journal of Management Studies, Long Range Planning, Interfaces, La Revue fran�aise de gestion, Gestion, Harvard l'Expansion, Politiques et management publics, Revue fran�aise d�administration publique, management decision, Asia-Pacific Journal of Management, Business and Society. Il a aussi �crit vingt-huit livres et monographies et a contribu� � de nombreux autres dont: 1. Strategic issues in state-controlled enterprises, JAI Press, Greenwich, Connecticut, 1989. 2. Le changement radical dans les organisations complexes, Ga�tan Morin, Boucherville, Canada, 1989 (avec C. Demers). 3. La strat�gie nationale de Ta�wan de 1895 � 1990, C�tai, Montr�al, 1993 (avec M.D. Diab�). 4. Comprendre et mesurer la capacit� de changement, Editions Transcontinental, Montr�al, 1997 (Avec C. Demers) [prix Coopers-Lybrand 1998]. 5. Les fondements du changement strat�gique, Editions Transcontinental, Montr�al, 1997 (avec Bruno Fabi). 6. La strat�gie des organisations : une synth�se, 2e �dition, Editions Transcontinental, Montr�al, 2000 (avec F. S�guin et J-M. Toulouse). [Prix Fran�ois-Albert Angers 2001]. 7. La strat�gie des organisations : de l�analyse � l�action. �ditions Transcontinental. Montr�al, 2009 (Avec F. S�guin et C. Demers) [Prix du meilleur livre d�affaires 2009]. Il est le fondateur de la revue Management international et l�a dirig�e jusqu�en 2004. Il est membre fondateur de la Strategic Management Society et membre du �advisory board� de la World Association of Case Research and Application (Wacra). Il est aussi membre de l�Asac et de l�AIMS. Il participe r�guli�rement � de nombreux colloques et congr�s acad�miques et en a organis� plusieurs dont ceux importants de la Strategic Management Society, de l�AIMS et de la Wacra. Il a re�u plusieurs prix dont le prix de la recherche Pierre Laurin 1989, celui de la p�dagogie 2000 (octroy� une seule fois dans la carri�re d�un professeur), le prix du meilleur livre d�affaires en 1998 et 2009, et le prix du meilleur article 1990 et 2004 dans la Revue canadienne des sciences de l�administration et du meilleur article dans Public Administration Review. Il est membre de plusieurs conseils d�administration, notamment de petites entreprises de haute technologie au Canada et � l��tranger. Il a �t� impliqu� dans de nombreuses actions de consultation aupr�s d�entreprises complexes, notamment des entreprises diversifi�es et des entreprises d�Etat au Canada, aux Etats-Unis et aupr�s de gouvernements au Canada et dans quelques pays en d�veloppement d�Asie, d�Afrique et du Moyen-Orient. Avant de d�marrer sa carri�re acad�mique, T. Hafsi a �t� ing�nieur en g�nie chimique et a termin� sa carri�re comme directeur g�n�ral de la division raffinage et p�trochimie d'une grande soci�t� p�troli�re : Sonatrach en Alg�rie. Avant de rejoindre l'�cole des HEC, en 1984, il a �t� professeur � la facult� de management de l'universit� McGill et � l'�cole sup�rieure des sciences �conomiques et commerciales (Essec) de Paris. Il d�tient un dipl�me d'ing�nieur en g�nie chimique, une ma�trise en management de Sloan School � MIT, ainsi qu'un doctorat en administration des entreprises de Harvard Business School, Cambridge, Massachussetts.