C�est � une longue et dense r�trospective sur la formation �litaire musulmane dans le domaine d�arabophonie que nous convie, cette fois-ci, l�universitaire et intellectuel Mohamed-Lakhdar Maougal. Cet ouvrage est le troisi�me d�une s�rie dont deux tomes avaient �t� respectivement publi�s en 2004 et 2005. Cet essai volumineux et consistant de 285 pages ouvre un chapitre singulier qui �difie magistralement sur cette question aussi sensible qu�actuelle de nos soci�t�s et de la soci�t� alg�rienne en particulier. Si la pr�sentation �lisse� qui en a �t� faite par l��diteur peut laisser penser � une publication �grand public averti �, il s�agit l� surtout et avant tout d�un authentique travail acad�mique et militant qui traduit un examen consciencieux de la question �litaire � l�aune de deux logiques fondamentales. La premi�re rend compte de l�engagement militant d�un intellectuel et nationaliste arabe qui se soucie prioritairement du devenir d�une civilisation (la civilisation arabo-islamique) qui lui appara�t, comme pour beaucoup d�autres, de plus en plus probl�matique en raison de ses d�rives actuelles, comme l�annonce l�extrait de la quatri�me de couverture. Il s�agit d�un discours plus ou moins doctrinaire d�un t�moin autant que d�un acteur averti et critique des luttes qui ont accompagn� la lente formation, la difficile maturation et la fulgurante et rapide usure du nationalisme arabe, tout particuli�rement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un discours incisif et sans complaisance pour expliquer la d�rive d�un projet pour lequel les soci�t�s musulmanes arabophones ont souvent pay� le lourd tribut des guerres et des crises d��mancipation avort�es. Ce discours intervient, aujourd�hui, apr�s les �checs du nass�risme, du boum�diennisme et enfin du saddamisme. Cet �chec, Maougal l�attribue, sans d�tour, aux tergiversations des pouvoirs politiques arabes et de leurs institutions qui ont rat� le rendez-vous de la d�mocratisation citoyenne qui s�impose de plus en plus comme la solution pour rompre le cercle �troit des repr�sailles dictatoriales et totalitaires que les r�gimes arabes, tous confondus, ont impos�es � leurs peuples. En situation de tensions internationales et de crises graves, la persistance de tels r�gimes, quasiment partout ailleurs r�volus, p�rim�s et d�suets, a abouti � des d�politisations graves qui ont rapidement conduit � hypoth�quer s�rieusement les finalit�s des combats �mancipateurs initi�s par les grands nationalistes, � l�instar de Djamal-Eddine El-Afghani, de Sa�d Zaghloul, de Georges Habache pour l�Orient, et de Abdelkrim El-Khattabi, de Habib Bourguiba et de l��mir Khaled pour le Maghreb. Se revendiquant explicitement de la r�volution modernitaire et progressiste, Maougal montre et d�monte la m�canique implacable de la recolonisation des anciennes possessions et autres protectorats avec l�assentiment et l�int�ressement des nouvelles classes sociales compradores et dictatoriales qui instrumentent des phalanges m�diocratiques promptes � vitup�rer contre qui ose seulement d�passer leurs �lignes� et qui agissent et s�vissent sur des soci�t�s chloroform�es par le terrorisme intellectuel et identitaire C�est ce qui se passe depuis la crise institutionnelle de 1929 en �gypte jusqu�aux toutes derni�res gesticulations t�l�guid�es de pr�tendus vigiles du patriotisme maghr�bin en passant par les crises identitaires provoqu�es comme en 1949 : crise dite berb�riste, 1953 : crise de la colline oubli�e, 1980 : la double crise dite identitaire islamo-berb�riste, et l�actuelle pitoyable autant que lamentable mise en sc�ne qui tente de cr�er des diversions dans des conjonctures de confrontations violentes et assassines. Il est vrai, qu�aujourd�hui, sonne le tocsin pour des bilans des d�veloppements et des d�rives mortelles comme les corruptions, les coups d�Etat d�inconstitutionnalit�, les tentatives de contr�les draconiens des populations civiles, tout cela en obtemp�ration aux injonctions des �ma�tres du monde� qui restructurent � leur guise et � leur unique profit un nouvel ordre international n�ocolonial s�appuyant sur des p�riph�ries remonarchis�es ou soumises � des projets des r�publicanismes bananiers. La seconde logique est, quant � elle, disciplinaire. Ainsi seront convoqu�es et articul�es l�anthropologie, l�arch�ologie, l�histoire, la linguistique, la litt�rature, la philosophie du langage, la p�dagogie, la sociologie et la traductologie. A partir du socle constitutif de deux langues de travail (l�arabe acad�mique et le fran�ais universitaire), des textes fondateurs tr�s pertinents sont visit�s. Dans le domaine proprement arabophone sont convoqu�s � cette fin d�exposition rigoureuse et p�dagogique, les textes anciens de la litt�rature arabe (la po�sie ant�islamique), la p�dagogie de l�histoire selon Ibn-Khaldoun, la p�dagogie disput�e et controvers�e de la litt�rature dans les d�buts du XXe si�cle en �gypte, la po�sie r�volutionnaire irakienne entre les deux guerres mondiales, ainsi que la diatribe et la controverse �difiante n�e de la crise �gyptienne de 1929. Dans le domaine proprement francophone, l�auteur s�appuie sur des textes faisant universellement et unanimement autorit� acad�mique comme les �tudes magistrales de certains orientalistes fran�ais connus pour leurs sympathies arabes et pour leurs soutiens aux causes nationalitaires, en particulier lors des d�colonisations aussi bien en Orient qu�au Maghreb, comme les essais de Jacques Berque et de Maxime Rodinson, voire l�histoire de la litt�rature arabe de R�gis Blach�re, grand premier traducteur du Coran. Dans cette m�me perspective anticoloniale s�inscrit la contribution de Frantz Fanon pour ce qui concerne l�Alg�rie. Deux textes fondateurs et n�anmoins probl�matiques ont retenu l�attention du chercheur en ce qu�ils d�veloppent des th�ses extr�mement utiles pour comprendre les d�veloppements actuels de la r�gression qui frappe maintenant de plein fouet le monde arabe et musulman. Le premier est un essai sur le mode confessionnel qui vient, toutefois, de faire l�objet d�une r�vision et d�une reformulation moins cadr�e et moins contr�l�e. Ce texte initialement en langue anglaise est l�ouvrage �difiant de Thomas Edouard Laurence dit d�Arabie, �tudi� en sa version de 1922 traduite en langue fran�aise. Il s�agit d�un aveu contrit mais par endroits sinc�re de la part de cet ancien agent des services secrets britanniques qui fut investi au d�but du XXe si�cle de la mission de lever une arm�e arabe pour abattre le califat ottoman et restaurer le califat musulman, soit en M�sopotamie pour les Hach�mites, soit pour les rejetons corrompus des kh�dives �gyptiens. Cet ouvrage dense et fort int�ressant qui se lit toutefois comme un mauvais �polar� �tablit la certitude devenue encore plus certaine plus tard que l��lite arabe aura �t� pr�fabriqu�e � des fins de perp�tuation d�h�g�monisme dans une contr�e fort convoit�e car elle laissait d�j� d�couvrir d�immenses r�serves de� p�trole ! La nouvelle �dition qui vient de voir le jour apr�s la lev�e des secrets pour versement dans le domaine public ne laissera pas de nous �tonner pour peu que les �diteurs ne fussent pas de nouveau contraints, pour des raisons d�Etat, � se conformer au diktat des politiques. Mais, pour monarchique qu�elle fut, la Grande-Bretagne n�en est pas moins terre de d�mocratie et l�on peut ainsi raisonnablement entrevoir la livraison des confessions de l�ancien colonel et n�anmoins honorable correspondant de Sa Gracieuse Majest�. Le second ouvrage, en fran�ais cette fois-ci, est franchement d�coiffant. Il s�agit de la biographie tr�s orient�e consacr�e par l�historien fran�ais Benoist-M�chin � qui fut l�invit� du Festival panafricain d�Alger en 1969 � � la dynastie des Saoud. Celle-ci fut pr�fabriqu�e par les Britanniques sur le terreau fondamentaliste wahhabiste et allait se distinguer dans son combat acharn� contre la Turquie aussi bien ottomane que surtout k�maliste, tout comme dans sa lutte � mort contre le nationalisme communautariste arabe en sa version �gyptienne et contre le r�publicanisme arabe en g�n�ral, aussi bien celui de l�Alg�rien Boumedi�ne que de l�Irakien Saddam Hussein, du Syrien Hafedh El Assad ou du Libanais Kamal Joumblatt. Le livre de Benoist-Mechin d�veloppe une th�se originale qui passera inaper�ue des lettr�s arabes mais inspirera au sulfureux historien isra�lien Shlomo Sand sa th�se sur la fabrication du peuple juif par les m�mes fabricateurs britanniques du peuple saoudien. Elites arabes et musulmanes, mythes et histoires illustre, sur un plan plus g�n�ral, la th�se que d�veloppe Maougal depuis une dizaine d�ann�es : les �lites se distinguent fondamentalement des cadres et elles se forment non dans les institutions plus ou moins sp�cialis�es mais dans les crises soci�tales. A lire et � �tudier pour mieux comprendre les enjeux actuels des combats �mancipateurs contre le n�o-colonialisme et pour prendre la mesure de l�inanit� des vigiles imb�ciles arc-bout�s au p�ril d�lirant et fantasm� du colonialisme traditionnel.