Connu beaucoup plus comme écrivain romancier et anthropologue, Mouloud Mammeri est aussi, selon le docteur en linguistique Mohammed Lakhdar Maougal, un homme de théâtre qui a fait son entrée dans le 4e art d'une façon indirecte mais qui a toujours pensé ses pièces d'une façon très méticuleuse. Lors d'une conférence animée à Tizi Ouzou, à l'occasion de la Journée mondiale du 4e art, le professeur Maougal a expliqué que cette entrée a été faite à travers son œuvre la Colline oubliée qui n'est pas, selon lui, seulement un roman mais une pièce de théâtre, où tout les ingrédients de la tragédie grecque étaient réunis. Cette œuvre se voulait, selon Maougal, une sorte de démenti de Mouloud Mammeri aux historiens de la colonisation qui ont qualifié la société maghrébine de mortifère et aussi à l'enquête intitulée “Misère de Kabylie”, réalisée par Albert Camus en 1939. “Camus a voulu démontrer, à travers son enquête, que les Kabyles ne sont pas attachés à leur terre et qu'ils sont donc toujours saisis par l'envie de partir et Mammeri, après Mouloud Feraoun qui a répondu a Camus à travers le Fils du pauvre, l'a fait à travers la Colline oubliée en démontrant le contraire dans son style, et dans un fond théâtral.” Après cette œuvre, Mammeri fera son entrée directe dans le théâtre, dira Maougal, et ce, avec sa pièce théâtrale le Foehn, écrite en 1957 alors qu'il était dans la clandestinité. C'était à travers cette pièce, témoignant que “la famille algérienne se resserre les coudes au moment où la famille coloniale se disloque”, qu'apparaîtra tout le génie de Mammeri qui donnera à son œuvre les dimensions de citoyenneté et d'identité. Cette pièce a été présentée au TNA en 1967, expliquera Maougal, mais “juste dans l'intention de récupérer Mammeri, qui était un véritable producteur d'idées, car celle-ci risquait d'être dangereuse pour le système dans le sens où l'assassinat d'Abane Ramdane, un des personnages clés de la pièce, pouvait être réactivé”. En 1971, ajoute Maougal, Mouloud Mammeri écrivit sa deuxième pièce le Banquet dont une partie est consacrée à la disparition absurde des Aztèques. À travers cette pièce, Mammeri avait établi qu'il existe deux sortes de civilisations : d'un côté les civilisations identitaires, basées sur des processus de légitimation et qu'il qualifie de culturacides, et, de l'autre, les civilisations citoyennes qu'il qualifie de populaires. Dans cette pièce, dit le conférencier, Mammeri a mis également en évidence l'échec qu'entraîne l'absence de relation entre le sommet et la base. L'adaptation de cela à l'actualité algérienne fera dire au conférencier que “nous continuons actuellement à vivre la disparition absurde des Aztèques”. Evoquant la troisième et dernière pièce théâtrale de Mammeri la Cité du soleil, Maougal explique que celle-ci n'a malheureusement jamais été présentée et ne le sera de sitôt car personne n'a pris le courage de le faire. Dans la Cité du soleil, Mammeri voulait donner, selon Maougal, la clé qui ouvre la cité. Et cette clé consiste à en finir avec le culte des morts et le système mortifère. Samir LESLOUS