Destinataire de nombreux prix litt�raires (prix �Cyb�le�, �Marguerite Audoux�, �Grand Prix de la nouvelle � de la Soci�t� des gens de lettres, �Grand Prix du livre d�Alger�), connue et reconnue internationalement, l��crivaine Ma�ssa Bey n�est plus � pr�senter. PAR LE�LA ASLAOUI-HEMMADI Puisque mon c�ur est mort est son dernier-n�, paru en co�dition aux Editions de l�Aube et Editions Barzakh 2010. Un roman dont je souhaiterais dire quelques mots. Il va de soi que cette note ne se veut pas une critique de l�ouvrage. �tre critique litt�raire est une profession. Ceux qui l�exercent savent qu�elle ne s�accommode pas d�amateurisme, d'improvisation et d�incomp�tence. Mon objectif de lectrice est plus modeste : je voudrais partager avec d�autres les moments de bonheur, mais aussi de douleur que m�a procur�s la lecture de ce livre. Un ouvrage que j�ai lu d�un seul trait et dont on peut dire : �Lorsqu�on le prend on ne le l�che plus.� D�s les premi�res pages, Ma�ssa Bey nous replonge dans les �ann�es rouges�, celles du terrorisme islamiste, celles de l�horreur. Professeur d�anglais, A�da, principal personnage du roman, voit sa vie basculer lorsque son fils (enfant unique) est assassin� par un islamiste. Pour survivre, pour ne pas mourir tout � fait �puisque son c�ur est mort�, elle se raccroche � la vie, le jour o� elle voit la photo de l�assassin de son enfant. Elle d�cide de rechercher le tueur et d��crire chaque jour � son fils disparu pour lui raconter la vie sans lui, pour conjurer son absence, pour dire sa solitude. Nous souffrons avec A�da, nous pleurons avec elle, mais nous la suivons jusqu�au bout, jusqu�� la derni�re page dans ses recherches. Je ne raconterai pas �videmment la fin afin de ne pas �ter aux lecteurs (trices) le plaisir de la d�couvrir, je dirai seulement que dans ce roman le mot douleur pourrait �tre inscrit de la premi�re � la derni�re page. A celles et ceux qui ont v�cu pareil drame, A�da insuffle la force de continuer comme si elle nous disait dans chacune de ses lettres : �Je ne peux plus le voir mais je le sais pr�sent � mes c�t�s�, ou encore : �Ceux qui partent aussi violemment ne s�en vont pas. Certes, ils sont invisibles mais ils demeurent aupr�s de ceux qui les ont aim�s.� Ma�ssa Bey d�crit la solitude, l�absence, la douleur, mais aussi le courage de A�da avec une puissance telle et un r�alisme sans pareil qu�on pourrait croire que A�da c�est elle. Dieu merci, il n�en est rien. Mais il n�y a rien d'�tonnant � cela. Durant les ann�es de terrorisme, professeur de lettres fran�aises et r�sidant (jusqu�� ce jour) � Sidi-Bel-Abb�s, Ma�ssa Bey n�a pas fui et n�a pas opt� pour la solution facile de l�exil. Elle a ainsi partag� avec ses compatriotes les souffrances, les horreurs et la peur des ann�es de terrorisme. Voil� pour-quoi son livre nous parle. L�on ne peut pas en effet imaginer �les ann�es rouges� si on ne les a pas v�cues. Voil� pourquoi, �galement, l�on se surprend � croire que les lettres de A�da � l�absent s'adressent � tous les absents. Pas seulement. Lorsque A�da se remet debout, qu�elle d�cide de vivre (ou de survivre) pour son fils, qu�elle recherche son assassin, elle nous prend par la main, nous l�accompagnons : �Pour tout te dire, je nage � contre-courant de la douleur qui a failli m�emporter. C�est pour toi que j�essaie de revenir sur la rive. C�est difficile, les ressacs sont trop violents. � (page 21) Ou encore ce passage particuli�rement beau : �Sais-tu comment j�ai r�ussi � ne pas sombrer ? Je peux l�expliquer � pr�sent. C�est comme si je m'�tais d�doubl�e. Un sentiment �trange d�irr�alit�. Un peu comme si j�assistais � une pi�ce qui se donnait sans moi� Ces pr�paratifs, ces all�es et venues, ces paroles, tout ce qui se passait ne me concernait pas vraiment.� (page 25) A l�absent, A�da parle du �pardon� d�cr�t� et de la pr�tendue r�conciliation. Chaque mot choisi par Ma�ssa Bey nous parle : �On me parle de r�conciliation, de cl�mence. De concorde. D�amnistie. De paix retrouv�e � d�faut d�apaisement. A d�faut de justice et de v�rit�. Alors je cherche partout�� (page 37) �Mais je n�entends que le bruit sec des armes que l�on recharge et le crissement acide des couteaux qu�on aiguise.� (page 38) Lors de la vente-d�dicace de son ouvrage � la librairie du Tiers-Monde (24 avril 2010), Ma�ssa Bey a longuement d�battu avec le public venu nombreux � la rencontre sur le th�me du pardon. Un d�bat enrichissant et qui nous a appris que ses longues recherches sur ce th�me (le pardon) l�ont amen�e � conclure que nul pardon n�est possible sans acte de justice et sans sanction de l�assassin. Si l��crivaine ne pardonne pas, on ne d�c�le chez elle aucune haine. Pour autant, nous dit-elle. �Jamais une vraie r�conciliation ne peut na�tre l� o� les blessures d�une mortelle haine ont p�n�tr� si profond�ment.� (page 165) Et l�on re�oit parfaitement le message de A�da lorsqu�elle dit : �A pr�sent, c�est la haine qui me tient debout. Je la porte en moi.� (page 147) Au moment pr�cis o� les adeptes du �pardon�, de la �r�conciliation� reviennent � la charge, le livre de Ma�ssa Bey arrive � point nomm�. Il nous rappelle ce dont nous sommes convaincus � jamais : on ne d�cr�te pas l�oubli, on n��touffe pas la voix de la haine, on n�impose pas le pardon � l�offens�. Un ouvrage qui est un cri de col�re mais aussi d'esp�rance, puisqu�il nous laisse croire que le silence impos� � celui qui r�clame justice n�est jamais immuable. Cet ouvrage, enfin, est un hommage � la m�moire de celles et ceux qui ont quitt� ce monde parce que la b�tise et la haine en ont d�cid� ainsi. Et comme l��crit Marina Da Silva dans le Monde diplomatique: �Le lecteur qui ne conna�t pas encore Ma�ssa Bey a beaucoup de chance. Il va d�couvrir une �criture solaire dans tous ses �clats.� Lutter contre l�oubli impos�, lutter contre la douleur, la solitude, lutter pour survivre � d�faut de vivre. Autant de messages que nous adresse A�da dans ses lettres �crites � tous les absents, puisque son fils est celui qu�ont perdu de nombreux parents alg�riens durant les �ann�es de braise�. Un ouvrage douloureux mais si beau et si bien �crit ! A lire absolument.