En procédant à l'inauguration, jeudi, de la 26e Foire de la production algérienne, Ahmed Ouyahia est venu livrer des messages lourds de sens aux chefs d'entreprise. Le premier ministre le dit sans détour : l'Etat ne pourra plus effacer l'endettement des entreprises, ni permettre l'épuisement rapide du peu qui reste des réserves de change. Accompagné par une forte délégation, dont des ministres, des ambassadeurs accrédités à Alger, du président des chefs d'entreprise, Ali Haddad, et du secrétaire général de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi Said, le premier ministre a eu à visiter durant plus de 2 heures les différents pavillons réservés à cette foire dédiée cette année à «l'économie diversifiée et la performance à l'export». Très décontracté et souvent souriant, M.Ouyahia s'est montré à l'occasion très attentif aux explications et doléances exprimées par les exposants soulevant de multiples difficultés rencontrées sur le terrain. Mais ses réponses ont été percutantes et succinctes à la fois renseignent parfaitement sur la détermination de l'Exécutif à revoir les mécanismes de financement des entreprises et la gestion du secteur public marchand. Dans l'espace réservé aux entreprises de l'Armée nationale populaire, Ahmed Ouyahia n'a pas hésité à demander aux gestionnaires des unités aéronautiques de prendre en charge les questions de la maintenance et de la fourniture de pièces de rechange au profit des compagnies Air Algérie et Tassili airlines, et ce, pour éviter le recours systémique et très onéreux aux services des sociétés étrangères. Au niveau du stand du Groupement industriel des ciments d'Algérie (GICA), le premier ministre a été offensif. «Est-ce que vous pouvez être moins cher que le privé ? Pourquoi n'avez-vous pas développé à ce jour le ciment pétrolier ?», s'est-il interrogé, citant l'exemple de la cimenterie d'El Hamel qu'il venait d'inaugurer à Adrar. Celle-ci, fruit d'un partenariat algéro-chinois, propose désormais le sac de ciment à 400 DA et produit en quantité suffisante. Le premier ministre s'est dit aussi contre la démultiplication des filiales et groupements, insistant à ce propos sur l'efficacité et la stabilité du partenaire social. Tout en partageant au passage les préoccupations soulevées à maintes reprises par des patrons d'entreprises privées et publiques présents à cette manifestation, l'hôte de la Safex ne manque pas d'appeler à la mobilisation et l'organisation de l'ensemble des intervenants afin de développer en commun le circuit de l'exportation. «Il ne faut pas compter uniquement sur l'Etat pour pouvoir aller aux marchés de l'export. C'est aux entreprises de s'organiser et de s'unir pour aller sur l'export», a-t-il en effet estimé. Montage automobile : «évitons l'expérience des minoteries» En se rendant à l'espace de Hyundai Camions et Trucks, où sont exposés en plein air des véhicules de transport de marchandises montés localement, M. Ouyahia n'a pas attendu la fin de la présentation du chef du stand pour mettre les points sur les «i» concernant cette nouvelle activité. «Beaucoup de monde se bouscule dans ce domaine. Nous n'allons pas refaire l'histoire des minoteries, car le nombre sera très limité», a-t-il répliqué aux responsables de Hyundai, alors que ces derniers assuraient que leur projet va atteindre un taux d'intégration de 50% en mai 2018 et que leur l'objectif principal est d'aller à la conquête du marché africain. Certains, parmi la délégation, qui n'ont pas encore saisi les propos du premier ministre, ne vont pas attendre encore longtemps pour comprendre la portée des décisions prises par le gouvernement. C'est au niveau du pavillon dédié aux concessionnaires automobiles, où sont présentés les modèles de véhicules assemblés localement, qu'Ahmed Ouyahia va apporter plus de précisions quant à cette «industrie naissante». D'abord, chez Renault Algérie, il invite les responsables de la marque à réaliser l'objectif de 100 000 véhicules assemblés par an, au lieu de 75 000 actuellement, et l'implication d'un potentiel sous-traitant comme compte le faire, a-t-il fait savoir, le constructeur Peugeot, ayant officialisé récemment la création d'une usine à Oran. Toutefois, le premier ministre sera plus clair dans son propos lors de ses discussions avec les patrons d'Iveco et de Sovac, respectivement Mohamed Baïri et Mourad Oulmi, qui sont les deux figures de proue du secteur de l'automobile algérien. S'adressant à ces deux industriels, il dira que le gouvernement a le devoir de préserver les réserves de change dont le montant ne cesse de s'effondrer pour atteindre les 98 milliards de dollars en novembre dernier. «Ceci ne va pas plaîre à certains mais, en tant que gouvernement, nous avons à défendre les intérêts du pays et non ceux des individus. Nous devons être rationnels et nous contenter aujourd'hui de 5 assembleurs d'automobile et 5 autres pour les camions», a-t-il clarifié. Et pour éviter toute critique, il a ajouté que «lorsque l'Algérie avait des réserves de change de 174 milliards de dollars, elle importait 500 000 véhicules/an pour une facture de 6 milliards de dollars. Mais, aujourd'hui, nous n'avons que 98 milliards de dollars. Nous n'allons pas quand même importer 600 000 véhicules en kits». Les PDG d'Iveco et de Sovac Production ne semblaient pas être surpris par ces précisions et «partageaient entièrement» son point de vue, assurant que leurs investissements sont entrepris pour répondre aux besoins nationaux et exporter. Ils s'engagent, également, à développer le réseau de la sous-traitance de manière à réduire les coûts et améliorer le taux d'intégration. Le déplacement d'Ahmed Ouyahia au palais des expositions de la Safex nous a permis de constater de visu que la multiplication des projets d'assemblage de différents produits industriels menés ces trois dernières années n'est tout à fait sans risques, surtout sur le plan du financement, étant donné la conjoncture difficile que traverse le pays.