La "Journée des martyrs" a fait long feu vendredi en Egypte où les Frères musulmans, apparemment toujours "sonnés" par la répression mise en place par le pouvoir militaire depuis le 3 juillet, n'ont pas réussi à mobiliser les foules. Les forces de l'ordre avaient d'ailleurs mis en place un dispositif de sécurité relativement discret en prévision des grands défilés annoncés à la sortie de la prière hebdomadaire dans 28 mosquées du Caire. Mais les prières de la mi-journée ont en fait été annulées dans certaines mosquées et peu de manifestations de quelque ampleur ont eu lieu au Caire, même si des témoins ont parlé d'une marche d'un millier de personnes dans le quartier de Mohandissine. Cette manifestation-là s'est déroulée sans violence. En revanche, le site internet des Frères musulmans a fait état de la mort d'une personne à Tanta, ville du delta du Nil, au cours d'affrontements avec les forces de sécurité. Le ministère de l'Intérieur a confirmé ultérieurement son décès. Les partisans des Frères sont également descendus dans la rue à Alexandrie, dans plusieurs villes du delta, mais aussi à Ismaïlia au bord du canal de Suez, à Rafah dans le nord du Sinaï, de même qu'à Assiout dans le sud du pays. Des échauffourées ont été signalées en certains endroits. Cinquante-quatre personnes ont été blessées vendredi au Caire et dans deux provinces du delta du Nil, a annoncé dans la soirée le ministère de la Santé, sans donner de précisions sur les heurts et sans dire de quel côté étaient les blessés. "Nous n'avons pas peur : c'est la victoire ou la mort", affirme Mohamed Abdel Azim, un cadre du secteur pétrolier à la retraite qui défilait en compagnie d'une centaine de personnes au sortir d'une mosquée proche de l'université du Caire. "Ils veulent frapper les musulmans. Mais nous préférons mourir dans la dignité que vivre dans la répression". Certains manifestants brandissaient des portraits de Mohamed Morsi, le président renversé le 3 juillet par l'armée après de gigantesques manifestations de rue. "Non au coup d'Etat", scandait aussi la foule. Les Frères musulmans, dont est issu Mohamed Morsi, s'estiment traqués par le nouveau pouvoir installé par les généraux. Ils avaient appelé à un grand mouvement de protestation pour dénoncer la répression et tester la résistance de leur base populaire. Quelques dizaines d'islamistes, dont beaucoup de femmes, ont défilé dans un quartier du vieux Caire. Certains arboraient des drapeaux égyptiens ou des portraits de Mohamed Morsi. LES LIMITES DE L'INFLUENCE US Les forces de l'ordre surveillaient de près les cortèges, sans toutefois submerger par leur nombre les rues de la capitale, y compris aux abords de la mosquée de Fateh, siège de batailles rangées vendredi et samedi dernier qui ont fait des dizaines de morts. Le portail métallique de l'édifice religieux et sa grande porte étaient verrouillés vendredi à l'aide de chaînes. La prière hebdomadaire a été annulée. Deux véhicules blindés stationnaient au bas de la rue, non loin d'un marché très fréquenté. Près de la mosquée de Rabaa al Adaouiya, site du principal campement des Frères démantelé le 14 août par les forces de sécurité au prix de centaines de morts, la police n'avait déployé qu'un seul camion. La mosquée, en partie détruite et incendiée lors de l'assaut, est fermée pour réparation. Des ouvriers en bleu de travail s'affairent sur des échafaudages à repeindre les murs calcinés. Des enfants fouillent les détritus laissés par les occupants du campement improvisé qui a été depuis rasé. Sur le site du deuxième sit-in de protestation, près de la place Al Nahda, non loin de l'université, le principal axe d'accès a été barré par des rouleaux de barbelés déroulés par les militaires. On estime qu'au moins 900 personnes, dont une centaine de militaires et de policiers, ont péri dans les violences qui ont embrasé le pays depuis l'assaut du 14 août. La confrérie islamiste évoque un bilan bien plus élevé. Les Frères musulmans, une organisation fondée en 1928 qui a survécu à des décennies de clandestinité, étaient jadis capables de mobiliser d'immenses foules. Mais leur popularité s'est considérablement érodée lors de l'année de présidence Morsi. Ils ont en outre été affaiblis par l'ampleur de la répression qui s'est abattue sur eux ces jours derniers avec, notamment, l'arrestation mardi de leur Guide suprême. Mohamed Badie, qui se cachait dans un appartement du Caire, devrait comparaître dimanche en justice pour incitation à la violence, en même temps que deux autres figures du mouvement, Khairat al Chater et Saad al Katatni. Sa recrudescence est une source de grande inquiétude pour les alliés occidentaux de l'Egypte, au premier rang desquels les Etats-Unis. Mais dans une interview diffusée vendredi par CNN, le président Barack Obama a reconnu les limites de l'influence des Etats-Unis, qui versent chaque année à l'Egypte une aide comprise entre 1,5 et 1,6 milliard de dollars, dont 1,3 milliard vont à l'armée. Par ailleurs, un groupe islamiste actif dans le Sinaï a menacé de mener de nouvelles attaques contre l'armée et la police. Le groupe Djihadiste salafiste a déclaré condamner les "crimes odieux" des forces de sécurité contre des partisans des Frères musulmans. Lundi, des islamistes présumés ont abattu au moins 24 policiers dans le Sinaï.