Contrairement aux hommes politiques, les écrivains ont cette aptitude extraordinaire de produire à l'identique une société, un pays, des tranches de vie humaine, quand ils veulent nous alerter sur un évènement destructeur qui risque de survenir. Ils savent peindre la maquette «parfaite» de ce qu'il pourrait advenir. Le retour d'Ibn Toumert, le dernier roman de Slimane Saadoun, sorti en 2017 aux éditions Anep, en est un parfait exemple. C'est un roman qui met en garde le lecteur. Une sonnette d'alarme tirée par l'auteur pour parer en fait à ce que le retour d'Ibn Toumert n'ait pas lieu. Les personnages du roman évoluent dans une ville en proie à une religiosité extrêmement stricte et sans cœur quand il s'agit de sévir contre les pécheurs. Une ville dont les rues sont désertées par les femmes, les animaux et les oiseaux. «Il n'y a pas de femmes dans la rue, il n'y a pas non plus d'animaux. Pas même un moineau. Pas un bruissement, ni un chuchotement, ni pépiement. Les oiseaux sont partis. Ils ne reviennent plus», écrit l'auteur pour nous mettre devant le fait accompli. Anwa, un jeune qui ignore tout sur ses origines et ses parents n'a pas cessé de mener sa quête tout au long de l'histoire. Il a été accueilli et élevé par un homme, le Conservateur. Les questions s'enchaînent, les personnages aussi. En plus de ses amis avec qui il discute de la situation politique qui règne dans la ville et les montagnards qui mènent la résistance à l'ordre établi, deux femmes s'introduisent dans la vie d'Anwa. La fille du Conservateur qui lui envoie des billets d'amour et Nouara, la femme qui porte le voile intégral, l'amie d'enfance et la voisine qui entretient avec lui une relation sexuelle. Nouara est la femme d'Abdallah, un homme pieux, voué entièrement à la cause religieuse. Il ne voit en sa femme qu'un objet sexuel. Sans plus. D'ailleurs, il n'hésite pas à la battre, elle et sa petite fille. Nouara a donc décidé de faire de son corps qui a été longtemps diabolisé par son mari et considéré comme source de mal, un moyen de lutte contre toute forme d'obscurantisme. Elle décidé de rejeter les règles fixées par l'homme, le mâle. «Non, je ne les accepte plus. J'ai décidé de ne plus les accepter le jour où cette brute a corrigé sauvagement ma fille parce qu'elle avait fabriqué une petite poupée de chiffon», a-t-elle répliqué. Abdellah voit dans le geste innocent de sa fille un acte de blasphème, car elle a fait «rentrer le diable», «une effigie de Satan» chez lui. Nouara a voulu faire de son corps qui était le «lieu du péché», le «repaire du diable», un «sanctuaire du bonheur et de la vie». Cette prise de conscience l'a amenée à fuir son mari pour rejoindre la Montagne. Encouragé par Nouara, Anwa continue de creuser dans son histoire personnelle jusqu'à ce qu'il découvre qu'il est le fils du chef de la rébellion. L'auteur du roman a voulu apporter des réponses au lecteur qui demanderait quoi faire pour empêcher Ibn Toumert de revenir dans notre société. «Retrouvons nos racines, nos coutumes, notre mode de vie. C'est cela qui nous a permis d'exister en tant que nous-mêmes depuis des millénaires. Retrouvons notre culture qui nous a servi de bouclier contre l'acculturation», a écrit Slimane Saadoun qui fait de la femme et de la lutte pour ses droits l'élément central dans son univers littéraire. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont un recueil de nouvelles intitulé La femme de pierre, Le puits des anges et Soleil d'outre-tombe. Ali Cherarak