Le ramadhan est ce mois chargé de sens, de spiritualité, d'entraide. Son enracinement dans la société est tel que, et au-delà de son côté religieux, une façon de vivre et d'être. Et comme partout, le mois de ramadhan est sacré en Kabylie. Il est souvent précédé d'intenses préparatifs par les ménages qui font de leur mieux pour recevoir celui qu'on appelait habituellement «l'hôte sacré» ou «inebgi Ramdhan». Depuis des temps immémoriaux, en Kabylie pour recevoir l'hôte longtemps attendu, les ménagères accomplissent des travaux de grand ménage pendant plusieurs jours. Dans les villages où subsistent encore d'anciennes maisons kabyles ayant gardé leur architecture typique, subsiste une tradition qui consiste à donner un coup de neuf à ces «modestes» demeures faites en pierre et en argile. Un travail de longue haleine est alors accompli par les gardiennes du temple familial. Cette tradition fait que, quand le mois sacré intervient en période de chaleur, les femmes ramènent des régions les plus enclavées de l'argile blanche pour garnir les murs de leurs maisonnettes en raison de la fumée du qanoun qui entache de suie tous les recoins. Par la suite, elles s'exercent à tracer des dessins et symboles typiquement berbères pour orner les façades intérieures de la maison, sur les murs et les ikoufanes (greniers), de sorte qu'ils paraissent neufs. Elles préparent aussi des ustensiles de cuisine, à l'exemple de la marmite, du couscoussier et des assiettes... à base d'argile «talaght» pour la circonstance. Quelques jours avant le jour J, elles se réunissaient et ensemble vont dans l'oued qui coule en contrebas du village pour laver le grand linge comme les tapis, les couvertures et autres linges utilisés durant l'hiver, car il faut que tout soit propre pour le jeûne puisque la propreté est une condition immuable afin que le jeûne soit complet. Aujourd'hui, cette tradition tend de plus en plus à disparaître. Autres temps, autres mœurs. Avec les moyens modernes, la vie est devenue plus facile et l'entretien de la maison le devient aussi. Les ménagères procèdent au nettoyage complet de toute la maison en lavant les murs, le sol, les persiennes, la cuisine, le linge etc. Influences gastronomiques Même en termes de nutrition et d'alimentation, tout a changé. La cuisine kabyle considérée comme une cuisine gastronomique car étant riche de sa diversité et ses plats essentiels qui sont réalisés à base de semoule, de végétaux et d'huile, subit plusieurs influences. Elle cède le pas, notamment durant le mois de Ramadhan devant la cuisine algéroise, oranaise, constantinoise et même mondiale que les ménagères s'affairent à diversifier tant bien que mal. Au lieu de l'indispensable couscous aux légumes qui est sans conteste le roi des mets traditionnels de la région, préparé de différentes manières, à savoir avec ou sans viande rouge ou blanche, avec des légumes secs ou frais, les recettes varient d'une région à une autre. En lieu et place de taberkoukest, ou tahedourt et d'autres plats qu'on ne prépare que pour célébrer des occasions en raison du temps nécessaire pour leur préparation, la nouvelle génération jette son dévolu sur d'autres plats qu'on retrouve quasiment à toutes les tables. Ainsi on parle de poulet aux olives, de lekbab, de dolma, de différents gratins, et autres innombrables recettes pour bien garnir sa table. Ceci à côté des sucreries très en vogue en ce mois sacré à l'exemple du qelb louz et de la zelabia. Cependant et malgré toutes ces influences, certains repas et pains traditionnels disputent toujours la vedette aux mets venus d'ailleurs. C'est ainsi que la galette este incontestablement la reine de la table tout comme le couscous ou le mesfouf qui occupent toujours une place prépondérante dans les mets du Ramadhan. Notons que l'indispensable «hemis» ou la salade kabyle constituée de piment et de tomate grillée écrasés et agrémentée d'huile d'olive, accompagnée de pain fait maison qui est la galette sans levain appelée «aghroum mehri» est de mise durant toute cette période. Dans certaines régions, on mange la chorba avec un pain traditionnel appelé «aghum aquran». Rituel du premier jour du jeûne chez l'enfant : une tradition qui se perd De nos jours, rares sont ceux qui savent encore que le premier jour de jeûne chez l'enfant est chargé de sens, car étant une sorte de halte dans le passage de la période de l'enfance à celle de l'adolescence, de l'affirmation de soi. Ce besoin d'affirmation chez l'enfant se manifeste par non seulement son souhait d'imiter les adultes mais aussi pour se préparer à mieux supporter les dures épreuves de la vie. C'est pourquoi le premier jour de jeûne revêt un caractère particulier et reste un évènement important aussi bien pour le jeune jeûneur que pour sa famille qui lui accorde une attention particulière. Pour prouver sa foi, il montre sa langue dont la surface doit être blanchâtre et striée pour prouver son jeûne. Le moment le plus important du premier jour du jeûne reste sans doute l'appel du muezzin au ftour. Une cérémonie bien spéciale de rupture du jeûne lui est alors réservée par sa famille. Ainsi on lui prépare «ahdour» ou «lemsemen», un met qu'on ne prépare généralement que pour les fêtes, et des œufs durs avec lesquels il doit rompre le jeûne. Selon les régions, ont fait monter l'enfant sur le toit de la maison, ou bien sur le mur de clôture «aghalad», où il va manger de la galette ou «ahdour» qui lui a été spécialement préparé avec 3 œufs durs et un verre d'eau où on aura au préalable mis une pièce en argent, symbole de pureté. Dans d'autres régions, la cérémonie consistait à faire déguster l'enfant qui a jeûné, assis sur la poutre maîtresse «assalass» de la toiture de la maison, ce qui signifie que l'enfant est destiné à être le pilier de la maison. Solidarité agissante Le mois de ramadhan est aussi marqué par une solidarité agissante et légendaire. Si aujourd'hui sont apparues d'autres formes de solidarité, comme le couffin du ramadhan ou encore l'ouverture de restaurants Rahma notamment au niveau des villes et grands pôles urbains, la solidarité villageoise n'a pas connu une ride. Il est connu qu'en Kabylie chaque village prend en charge ses propres démunis, orphelins, veuves, personnes âgées sans assistance qui sont nourris grâce aux dons de chaque maison du village aussi pauvre soit-elle. La solidarité est une valeur ancestrale qui traverse les ans et es siècles. Cette organisation spécifique a toujours permis à cette région d'aller au-delà des temps difficiles. Même si la solidarité n'est pas conjoncturelle dans les villages où cette valeur fait partie du quotidien, il reste qu'elle devient plus accrue durant le mois de Ramadhan. Les valeurs ancestrales sont toujours là et la solidarité est toujours agissante au sein de la communauté villageoise qui n'abandonne jamais son prochain.