Il ne se passe un jour sans que les douaniers, gendarmes et policiers n'interceptent d'importantes quantités de boissons alcoolisées comme l'attestent les saisies de cette semaine. Plus de 10 000 bouteilles, de différents types d'alcool et de vin, ont été saisies à bord de véhicules au niveau des axes routiers menant des wilayas limitrophes vers la wilaya de Tlemcen. Cette marchandise n'est nullement destinée à la contrebande avec le Maroc, mais alimente la consommation locale. Face à la fermeture des débits de boissons à Tlemcen, il a été donné naissance à des centaines de revendeurs d'alcool clandestins qui se sont organisés en un véritable réseau. Des dizaines de jeunes véhiculés sont engagés et les alimentent à partir des wilayas de Sidi Bel-Abbès et Aïn-Témouchent où il existe plusieurs dépôts de vente légaux. C'est un marché très juteux car les profits sont multipliés par trois et ces fermetures incompréhensibles n'ont pas pour autant atténué la consommation d'alcool. De véritables dépôts clandestins ont vu le jour et vendent au grand jour comme c'est le cas à la cité «Al-Moustaqbel» de la commune d'Hennaya où un revendeur a ouvert son dépôt juste à côté d'une école. Des centaines de personnes s'y aliment quotidiennement au vu et au su de tout le monde. Il en existe des dizaines, pour ne pas dire des centaines, qui s'adonnent à cette activité clandestine au niveau de toutes cités de la ville et dans toutes les communes de la Wilaya et les quantités interceptées ne représentent que la face apparente de l'iceberg. On dirait que nos responsables n'ont appris de l'histoire de la prohibition de l'alcool aux USA qui a donné naissance à toutes les formes de criminalité et du crime organisé. L'affirmation de l'un des revendeurs clandestins est pleine de sens : «Rana njibou chrab li zawaliya ; les riches 3andhoum win yachourbou !». Plus explicitement, il voulait dire que la fermeture des débits de boissons n'a pénalisé que les pauvres malheureux qui ne peuvent s'offrir une bière à plus de 500 dinars dans les hôtels «Renaissance», «Ibis» et «Les zianides». Les jeunes perçoivent cela comme une injustice. «Ils ont fermé les bars populaires et laissé ouvert les bars pour les riches», affirment-ils. Par ailleurs l'on ne comprend cette fermeture pour le moins «abusive et illégale» car la loi algérienne n'interdit pas la vente d'alcool, ni les débits de boissons. On dirait que chaque wilaya a sa propre loi. Les jeunes se ruent alors vers les wilayas limitrophes où l'alcool coule à flot, mais avec quelles conséquences ? Conséquences dramatiques La wilaya de Tlemcen est considérée parmi celles où il y l'un des plus forts taux d'accidents de la circulation, notamment durant ces dix dernières années. La conduite en état d'ivresse est la deuxième cause après l'excès de vitesse comme l'indiquent les bilans de la police et de la gendarmerie. La majorité des personnes se rendent à Béni-Saf, Aïn-Témouchent et Sidi Bel-Abbès, même jusqu'à Oran pour consommer de l'alcool ou comme ils disent «se défouler dans les bars et les boites de nuit». Au retour «c'est Bacchus qui guide les véhicules». Les gérants de tous les débits affirment sans aucun détour : «nous travaillons beaucoup avec notre clientèle de Tlemcen.» Ces déplacements sont l'une des plus grandes causes mortelles des accidents et tous les rapports le prouvent. Lors de son passage à la radio locale de Tlemcen, une vieille dame n'est pas allée avec le dos de la cuillère pour affirmer en direct : «nos enfants buvaient à coté de nous et rentraient à la maison, maintenant ils partent loin et retournent morts.» Ce phénomène n'est pas spécifique à la wilaya de Tlemcen, mais à toutes les régions où les débits de boissons ont été fermés. Les énormes saisies d'alcool le confirment. La consommation d'alcool dans les lieux non réglementés, dans les véhicules, à la forêt et dans les endroits retirés du regard est un autre facteur de risques. En 2017, deux jeunes s'adonnaient à l'alcool à la plage de Rachgoun et éclata entre eux une dispute qui finira par la mort d'un jeune à la fleur de son âge. L'interdit a toujours généré l'informel et on ne peut combattre l'alcool, un phénomène social, par l'interdit. L'on évoque aussi ces images de désolation laissées par les consommateurs ambulants. Les cannettes et bouteilles vides meublent le décor de chaque coin de rue et route. Nous nous interrogeons alors sur l'impact de toutes ces saisies et ces fermetures sur la consommation d'alcool. En Europe, les gouvernements se sont pliés à la réalité de la forte consommation des drogues douces. Ils ont fini par l'autoriser et la réglementer pour mieux la contrôler et accompagner les consommateurs. C'est une pédagogie qui doit pousser nos responsables à repenser cette politique de deux poids et deux mesures.