Sous Emmanuel Macron, la France fait le pas et reconnait sa responsabilité dans l'assassinat, en 1957, de Maurice Audin, mathématicien et militant du Parti communiste algérien (PCA), défenseur de l'indépendance de l'Algérie. 61 ans après, enfin la vérité ! Le président français a, personnellement, tenu à reconnaître ce crime, au nom de la République. La disparition de Maurice Audin, arrêté le 11 juin 1957 par des militaires français, puis porté disparu sans que son corps ne soit retrouvé, «a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement: le système appelé «arrestation-détention» à l'époque même, qui autorise les forces de l'ordre à arrêter, détenir et interroger tout «suspect», dans l'objectif d'une lutte plus efficace contre l'adversaire», a déclaré Macron, selon un document publié par le site de l'Elysée. Par cette déclaration, le chef de l'Etat lève le voile sur un épisode sombre de l'époque coloniale, et fait un pas dans la reconnaissance de la torture pratiquée par l'armée française durant la guerre de libération nationale (1954-1962). Un geste longtemps attendu, et par la famille Audin et des dizaines d'associations, mais aussi une promesse de campagne. On parle d'un moment historique, car aucun président avant Emmanuel Macron ne l'a fait. Le chef de l'Etat français s'est, en effet, rendu dans le domicile de Josette Audin, veuve du militant indépendantiste, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), et a tenu à présenter ses excuses au nom de la république française. «La seule chose que je fais, c'est reconnaître la vérité», a dit Macron à Josette Audin. Et d'ajouter quant elle voulait le remercier: «C'est à moi de vous demander pardon, donc vous ne me dites rien. On restaure un peu de ce qui devait être fait». Dans sa déclaration, le président français a, d'emblée, écarté la thèse officielle de «l'évasion», entretenue pendant de longues années concernant ce crime. «Le récit de l'évasion, qui figure dans les comptes-rendus et procès-verbaux officiels, souffre de trop de contradictions et d'invraisemblances pour être crédible. Il s'agit, manifestement, d'une mise en scène visant à camoufler sa mort», soutient-il, avant de reconnaître que le militant a été victime d'un système institué par la France en Algérie. Un système, rappelle Emmanuel Macron, «qui s'est institué sur un fondement légal: les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l'ordre en Algérie». Ce même système «a été le terreau malheureux d'actes parfois terribles, dont la torture, que l'affaire Audin a mis en lumière», tranche clairement le président Macron. Un pas, en attendant d'autres Quant à l'exposé des motifs, le locataire de l'Elysée, bien qu'il admet qu'une reconnaissance ne guérira pas leurs maux, néanmoins, elle «doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui ploient encore sous le poids de ce passé. C'est dans cet esprit, en tout cas, qu'elle est pensée et aujourd'hui formulée». Pour lui, «il en va de l'honneur de tous les Français qui, civils ou militaires, ont désapprouvé la torture». Pas que ça, mais aussi «du devoir de vérité qui incombe à la République française», a-t-il dit, car «il n'est pas de liberté, d'égalité et de fraternité sans exercice de vérité». Emmanuel Macron qui incarne la République en marche (LRM), ne veut, semble-t-il, pas s'arrêter à ce stade dans le travail de réconciliation avec l'histoire. A l'occasion de sa déclaration, il annonce qu'«une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation, tous les fonds d'archives de l'Etat qui concernent ce sujet». Il invitera, enfin, tous ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer «à se tourner vers les archives nationales pour participer à cet effort de vérité historique». Reste à savoir si ce pas mènera à d'autres qui feront la lumière sur les milliers d'Algériens arrêtés, puis portés disparus durant la guerre de libération. L'usage de la torture, désormais reconnu, révèlera-t-il encore l'autre visage de l'histoire commune entre l'Algérie et la France ? Avec Macron, la vérité est en tout cas … En marche ! Entretien téléphonique Bouteflika-Macron Le Président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, s'est entretenu au téléphone jeudi avec son homologue français, M. Emmanuel Macron des relations bilatérales “marquées du sceau du partenariat stratégique”, ainsi que de la situation au Mali et en Libye, a annoncé un communiqué de la présidence de la République. Cet échange entre les deux présidents de la république, “qui s'inscrit dans la tradition de concertation entre les deux chefs d'Etat, a porté sur les relations algéro-françaises marquées du sceau du partenariat stratégique dans tous les domaines ainsi que sur la situation dans la région, notamment en Libye et au Mali”, précise le communiqué. Réactions… Benjamin Stora, historien Pour l'historien, Benjamin Stora, la reconnaissance par Emmanuel Macron de “la responsabilité de l'Etat” dans la disparition du mathématicien Maurice Audin « permet d'aller vers une sorte de réconciliation, un apaisement des mémoires ». « C'est un geste qui vise à regarder la vérité des faits », estime le président du musée de l'Histoire de l'immigration, ajoutant qu'il faut prendre appui sur ce type de déclaration pour aller plus loin. Pour l'historien, « Emmanuel Macron appartient à une génération qui n'est pas encombrée par un passé historique politique qui a été mêlé à la guerre d'Algérie : il n'y a pas cette sorte de tyrannie de la mémoire autour de cette question ». Au micro d'Europe 1, Benjamin Stora a rétorqué à Le Pen : « Il y aura toujours des réactions très vives (…) parce que ceux qui ne sont pas d'accord avec ce type d'approche des faits historiques préfèrent peut-être vivre dans le déni de l'Histoire ». Il estime enfin que si l'on traite de toutes les questions liées à la Guerre d'Algérie, en avançant, « ça permettra de ne pas vivre en permanence dans la rumination, les sentiments, les rancœurs etc ». Cédric Villani, député de LREM Cédric Villani, député de LREM qualifie le texte de déclaration d'Emmanuel Macron d'important et majeur. « C'est la première fois que l'Etat français reconnait qu'il a failli en permettant le recours à la torture. C'est une décision historique », affirme Cédric Villani pour qui, « Au-delà du mot et du symbole, le texte remis à Josette Audin restera comme un texte important et majeur ». Selon lui, la force de cette reconnaissance, par le président de la République, dépasse le seul cas de Maurice Audin, car, a-t-il soutenu sur le micro d'Europe1, « c'est un texte qui prend bien soin d'insister sur le travail de vérité et sur la nécessité de décharger collectivement nos consciences de ces lourds fardeaux qui pèsent encore et qui sont liés à la guerre d'Algérie ». L'action du Président Macron « est une démarche qui vise à regarder notre histoire en face, une histoire dans laquelle il y a eu des erreurs et des choses qui ont été grandioses ». Marine Le Pen, présidente durassemblement national La présidente du Rassemblement national (RN, ex-FN), parti d'extrême droite français, Marine Le Pen, a critiqué la reconnaissance du crime d'Etat par Emmanuel Macron estimant que le président français « commet un acte de division, en pensant flatter les communistes ». « Maurice Audin a caché des terroristes du FLN qui ont commis des attentats. Macron commet un acte de division, en pensant flatter les communistes », a écrit Le Pen dans un tweet. Et de s'interroger dans un autre sur l'intérêt pour le président de la République de rouvrir des blessures, en évoquant le cas de Maurice Audin ? « Il souhaite surfer sur la division des Français, au lieu de les réunir dans un projet », a-t-elle ajouté.