On dit de Salah qu'il est «né dans sa charrette». Dans cette petite ville qui n'est ni au bord de la mer ni trop loin, tout le monde connaît Salah le vendeur de sardines. Les plus fins disent qu'il est là depuis le déluge. C'est vrai que Salah n'a pas d'âge, même si on peut le situer entre quarante et… soixante-dix ans ! D'autres disent qu'il a une «usine» cachée pour fabriquer les poissons. Qu'il fasse beau, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, Salah a toujours des sardines. D'autres encore se posent toujours la question de savoir s'il s'approvisionne chez les pêcheurs ou au contraire c'est lui qui les alimente les matins des retours bredouilles où ils doivent sauver la face. On se pose beaucoup de questions sur Salah. Lui ne se pose pas de question, il vend des sardines et ça lui va plutôt bien. Un boulot pas vraiment pénible et des revenus plutôt confortables. Parce que l'image de Salah avec son unique caisse à sardines qu'il traîne à travers les ruelles de la ville est déjà une vieillerie de l'histoire locale. Salah a tout de même prospéré un peu depuis ses débuts. Tout ceux qui, dans cette petite ville qui n'est ni au bord de la mer ni trop loin, sont en âge de se souvenir, se souviennent de ses débuts. Une image pourtant trop imprécise pour la situer dans le temps mais suffisamment vivace pour rester dans les mémoires. Tout le monde a la certitude de connaître Salah le «sardinier» et c'est quasiment faire injure à un homme qui revendique son ancrage local de lui poser la question. Quant à dire à quelqu'un qu'il ne connaît pas Salah, c'est carrément l'outrage à un fils du pays. On ne sait pas s'il a quelqu'un qui le connaît mais tout le monde doit le connaître sous peine de passer pour un demeuré. Pourtant on ne le voit plus arpenter les ruelles de la ville comme jadis ou alors quand il avait son coin du marché. Salah s'est multiplié, s'est élargi, s'est enrichi et personne ne trouve à redire. C'est que dans ces petites contrées sans prétention, il reste encore du respect pour l'effort. Et l'effort, Salah le symbolise un peu, dans le coin. Il a bossé, il a «réussi». Une réussite bien relative pourtant, mais de ces réussites qui ne font pas rougir. Salah a commencé avec une caisse de sardines, aujourd'hui il a plusieurs camionnettes qui livrent le poisson dans une dizaine de localités alentours, a donné du travail à d'autres, a donné du confort et de l'éducation à ses enfants et gagné du temps pour se faire plaisir. Aujourd'hui, Salah travaille à son rythme, celui de son âge, celui d'un homme qui n'est pas né avec une cuiller d'argent dans la bouche, qui a trimé, connu des hivers sans souliers et des journées au pain et à l'eau. Mais hier, il a lu ça dans le Temps d'Algérie : «Des vendeurs de poisson des wilayas d'Annaba, Guelma, Skikda et El Tarf peuvent désormais bénéficier d'un kit dénommé «poissonnerie ambulante». Un projet pilote qui consiste à accorder des microcrédits aux vendeurs de poisson. Salah s'est alors dit que les temps ont bien changé et alors décidé d'aller à la pêche.