Tâche n «Matinée, matinée, frais, frais». Le soleil qui était déjà très haut dans le ciel, n'empêchait pourtant pas les trois revendeurs de poissons de vanter la «qualité» de leur produit qui devrait être synonyme de fraîcheur. Placé, chacun dans son coin, côtoyant des boucheries, des revendeurs de volailles et des marchands des quatre-saisons qui ont plongé cette rue commerçante d'Alger dans une saleté et une puanteur repoussantes, les trois «compères» ne cessaient de s'égosiller, des heures durant, pour attirer une clientèle très hésitante car très avertie et, un tant soit peu, réticente à délier sa bourse pour se payer un kilo de sardines à... 150 DA. Et quand cette litanie ne produit pas d'effet sur la clientèle, les poissonniers recourent à des artifices comme celui d'asperger d'eau salée la sardine pour lui donner un aspect luisant qui caractérise le produit frais, sorti tout droit de la mer. Et là encore, personne n'est dupe. Car humectée d'eau, la sardine «se ramollit rapidement, perd ses écailles et sa raideur, qui sont les signes caractéristiques de sa fraîcheur, et se détériore très vite», confie un client qui s'éloignait de l'étal d'un revendeur après avoir «scruté» très attentivement les deux caisses de sardines posées sur une petite charrette, très pratique lorsque le poissonnier fait du porte-à-porte. «Voyez-vous, chuchota-t-il pour ne pas être entendu par le vendeur, la sardine a été tellement imbibée d'eau et manipulée qu'elle est devenue un magma de chair rougeâtre n'ayant de sardine que le nom», avant d'indiquer qu'un tel produit, exposé de surcroît au soleil de ce mois de juin, se gâte rapidement et devient, fort probablement, impropre à la consommation. En homme averti, difficile «à rouler dans la farine», il quitte finalement les lieux, préférant aller acheter sa sardine dans un marché où un minimum de règles d'hygiène est respecté. Selon lui, le poisson, qui doit être recouvert d'une couche de glace, doit être vendu dans un espace couvert et destiné aux produits de la mer. «Autrement, passée dix heures, la sardine vendue à même la rue doit être interdite à la vente en été» dans ces conditions, souligne-t-il, rappelant qu'il fut un temps où, passée cette heure, la sardine était arrosée de «crésyl»– désinfectant ménager – par les services d'hygiène pour empêcher sa vente. Le soleil est maintenant très haut dans le ciel et nos trois vendeurs continuent à proposer leur marchandise qui commençait à «tourner» et à dégager une odeur pestilentielle malgré le déploiement de parasols pour la protéger des ardents rayons de l'astre du jour. A 16 heures passées, l'un d'eux était encore là avec ses merlans et ses pageots qu'il n'avait pas pu céder, respectivement, à 1 200 et 600 DA le kilo. Chassant des essaims de mouches avec un éventail improvisé, il arrosait toujours ses poissons qu'il avait pris soin de couvrir d'une toile en jute pour maintenir une certaine fraîcheur, mais qui ne pouvait ralentir leur détérioration certaine sous l'effet de la chaleur devenue de plus en plus suffocante.