Contesté, Abdelkader Bensalah n'est aux yeux des algériens «pas habilité à mener une quelconque transition». «Il doit partir», ne cesse-t-on de scander dans la rue… Le mouvement populaire déclenché le 22 février entre dans son troisième mois. La force des manifestations du peuple algérien s'affirme de plus en plus, face à un régime qui refuse pour l'instant de céder, tentant de se régénérer par divers procédés. Aujourd'hui, le chef de l'Etat, sauf annulation de dernière minute, devra tenir une réunion de dialogue et de concertation au Palais des nations. Mais le rendez-vous est boycotté par tous les partis, les organisations de la société civile et les personnalités nationales. Contesté, Abdelkader Bensalah n'est aux yeux des algériens «pas habilité à mener une quelconque transition». «Il doit partir», ne cesse-t-on de scander dans la rue, au même titre que les autres figures du système en place. Certes, tous les observateurs qualifient ces revendications de légitimes, après des années de mépris, de silence et d'oppression imposés aux algériens. Mais, depuis le début du mouvement, une seule problématique se pose : la représentativité. On a beau repousser cette question pour préserver l'unité du mouvement. Cependant, face aux tenants du pouvoir qui veulent s'imposer pour mener la période de transition contre la volonté populaire, le mouvement peine cruellement à dégager des porte-paroles. Certains diront que ce n'est pas le moment, et qu'il faudrait d'abord arracher le départ de tous les symboles du régime, pour passer à désigner des personnalités honnêtes. Et c'est l'une des thèses soutenues. Pourtant, en attendant, il y a bien des figures propulsés par le «Hirak» qui, involontairement, se sont retrouvées suivies et écoutés par les algériens, sur le terrain ou à travers les réseaux sociaux. Jusqu'à présent, les propositions de sortie de crise mènent toutes vers la mise en place d'une instance collégiale, qui aura la charge de gérer les affaires de l'Etat, de nommer un gouvernement de compétences et d'organiser ultérieurement des élections présidentielles crédibles. Mais qu'elles sont ces personnalités ? C'est la question qui revient. Bouchachi et Tabbou En effet, à suivre de près le mouvement, il s'avère qu'il y a bel et bien des personnalités, des jeunes militants, d'anciens acteurs politiques ou des organisations qui s'imposent, en reprenant fidèlement les revendication, voire les aspirations des algériens et des algériennes. Il ne s'agit pas là de se substituer au peuple. Pourtant, la réalité est là et partagée par une grande majorité. L'exemple de l'avocat Mostefa Bouchachi ne soufre, d'ailleurs, d'aucune ambiguïté. Militant des droits de l'homme et n'ayant aucun antécédent de proximité avec le pouvoir, Me Bouchachi, ancien président de la LADDH, est devenu en l'espace de quelques jours, un symbole. Il est accueilli chaleureusement par la foule, et ses vidéos sont suivies par des milliers d'internautes. Ses positions quant aux différents rebondissements de la crise sont saluées. A lui, viendra s'ajouter le nom de Karim Tabbou, ancien Premier secrétaire national du FFS. Son franc-parler et les mots avec lesquels il s'oppose au régime ont attiré les algériens. A chaque vendredi, le Coordinateur de l'UDS (non agréé) est entouré de manifestants qui le réclament. En fin de semaine, Tabbou s'est distingué par une lettre ouverte au chef d'état-major de l'armée, critiquant ses positions. Bien que ces deux personnalités soient victime d'une campagne de dénigrement par un courant rétrograde qui rejette l'émancipation, les libertés individuelles et la démocratie, il n'en demeure pas moins que leurs noms semblent incontestables. Il y a également les noms de l'ancien président de la République, Liamine Zeroual, et de l'avocate Zoubida Assoul. Bouhired, Benbitour, Lalmas… Aussi, au moment où les partis sont discrédités, y compris dans l'opposition, il est difficile aux chefs des formations politiques de s'affirmer. D'où leur silence parfois utile pour l'unité du mouvement. Membre-fondateur du mouvement Mouwatana avant de se retirer, le président de Jil Jadi parvient quand même à se faire remarquer. Soufiane Djilali est présent sur le terrain, et arrive à maintenir une cohésion de discours inébranlable depuis des années, avant même l'élection de Bouteflika pour un 4e mandat. Les algériens puisent aussi leur force dans les symboles de la révolution. L'icône de la Guerre de libération, Djamila Bouhired, est ainsi réclamée par la foule. Ne ratant pas les marches de vendredi à Alger, cette Moudjahida et dame de fer est même proposée pour gérer la période de transition, rien que pour son honnêteté et sa fidélité au serment des valeureux martyrs de 54. Quand à l'expérience dans la gestion des affaires, nombre d'observateurs, mais aussi de citoyens, n'hésitent pas à désigner l'ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, et l'ancien diplomate, Abdelaziz Rahabi, comme personnalités pouvant mener à bon port le bateau Algérie. Des économistes sont aussi cités comme le nom de Smail Lalmas, dont les analyses pointues ne passent jamais inaperçues. RAJ, LADDH et Jeunes engagés En effet, il y a bien des noms. Mais, il suffit qu'ils se manifestent, ou qu'ils soient officiellement désignés dans des assemblées locales que peuvent organiser les algériens, pour en arriver à une représentation nationale du «Hirak». Pour ce, la société civile joue un rôle très important. Il y a d'ailleurs des associations qui se sont fait une place dans ce mouvement, telle que RAJ ou la LADDH. Leurs animateurs et militants, qui maintiennent les rassemblements à Alger durant la semaine, sont d'un atout à ne pas négliger dans le maintien de la dynamique. Par son forum organisé désormais en plein air, RAJ arrive à attirer du monde. Le Collectif des jeunes engagés, né dans la campagne anti-5e mandat, lui aussi, peut y contribuer. Dire qu'en fin de compte, il suffit d'une structuration qui commencerait peut-être au niveau local, pour que le mouvement du 22 février parvienne à désigner ses représentants. Lesquels pourront mener une période de transition, voire négocier le départ du régime, tout en préservant l'Etat.