Aujourd'hui que la parole se libère, à sa façon, n'importe quel taré peut se permettre d'interpeller. C'est bien et original, à la fois. Sauf que quand ce taré parle en son nom, automatiquement affilié à celui du peuple, là, ça coince et ça grince. Ça rappelle même la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf, et les interpellations, notamment liées au travail, ressemblent à une fable. Elles risquent ainsi de se perdre, dans les dédales d'une échelle sociale devenue obsolète. Le mérite, la compétence et le travail bien accompli sont les derniers de la classe, hélas. Du coup, les tarés deviennent «exemples» aux yeux de nos jeunes riches de pauvreté, les étudiants tous paliers confondus. Ces derniers, entre protesta et examens de fin d'année, se trouvent confrontés au sens même de la réussite, à percevoir en termes de leviers menant à la richesse. Richesse intellectuelle issue du savoir et du savoir-faire, ou richesse matérielle issue de magouilles et de crimes, sans scrupule ? La question est au cœur d'un problème loin d'être spécifique à la seule Algérie. Ailleurs, et dans un monde gagné par le pouvoir de l'argent, plus ou moins mal acquis, l'on se bat, on tient débats et l'on cherche où le bât blesse… Chez nous, on détourne l'attention sur la contestation estudiantine pour mieux la minimiser et l'infantiliser. Quantité négligeable, elle ne pèse pas lourd face à la recherche, ô combien populiste, de boucs émissaires de la faillite économique. Quant aux ivresses que procure le fantasme du magot tombé du ciel, sans protesta ni même un examen universitaire, elles carburent toujours au petit-lait, faute de whisky… Le taré, le beau, le laid, le petit, le grand, le gros, l'idiot, le futé, l'érudit ou le simple d'esprit, tous se confondent et se prennent les pieds dans le tapis d'un savoir-vivre aux abonnés absents. Les plus de 6.000 kms de frontières et autant de «no man's land», livrés aux contrebandiers et aux «coupeurs» de route, cela autorise tous les trafics socio-économiques. De plus, quand terrains à bâtir, logements toutes formules confondues, importations en tous genres sont administrés par «la vache laitière», tout se gère en dehors du savoir-vivre. Tous parlent de transparence et disent aimer ce pays, surtout en terre nourricière. Un pays pourtant abusé et avili, par ceux qui ne pensent qu'à le détrousser au coin d'une rue sombre ou d'un bureau cossu… Et que fait pendant ce temps «la classe» politique ? Elle tergiverse, ou interpelle au nom du peuple. Ceux qui dénigrent pour faire dans l'opposition, alors qu'elle est dans la configuration d'une soi-disant lutte politique, font dans la réunionite partisane, versée en désunion à durée illimitée. La belle affaire, en costumes-cravates ou en qamis… Pendant ce temps, sur le terrain, sur le plancher des vaches, des villes et des communes avec leurs millions d'habitants se retrouvent hémiplégiques, pour ne pas dire paralysées, à cause de demandeurs d'emplois ou de logements. En ce printemps renaissant, à qui parler, au fait ? Aux forces de l'ordre, en tenues de combat, pour un combat perdu d'avance ? Les riches de pauvreté, ces étudiants cherchant toujours à qui parler après des semaines, des mois de protesta, auront-ils le dernier mot ? Pour ça, faudrait qu'ils aient la chance d'être riches, non pas dans la tête, mais par la magouille, et ce au nom du peuple…