Il s'appelle Mohamed Flissi, vingt ans, un peu plus peut-être ou un peu moins. Il est devenu récemment vice-champion du monde de boxe amateur et d'après notre confrère Liberté qui relaie ses voisins, il habite avec sa famille une petite masure de 16 mètres carrés, propriété d'une exploitation agricole collective (EAC) située au Figuier, dans la wilaya de Boumerdès. Son frère, Salim de son prénom, d'une année ou un peu plus son cadet, est champion d'Algérie dans le même sport. C'est connu, la boxe, dans toute la localité a de solides traditions, c'est donc naturel qu'elle soit parfois aussi une affaire de famille. Il y a parfois comme ça, des traditions dont il n'est pas besoin d'aller chercher l'origine. Ni dans l'histoire, ni dans la géographie, ni dans la sociologie. L'effort serait dérisoire, surtout quand, de la tradition usée par l'incurie, il ne reste que le mythe. Mohamed et Salim Flissi doivent donc incarner ce qui reste du mythe. Ce qui, miraculeusement, a survécu à la longue et impitoyable érosion. Parce que si dans cette masure d'une EAC sans nom, perdue entre mer et plaine, il y a un champion qui se confirme et un autre qui attend dans l'antichambre sans chambre, c'est qu'il doit bien rester encore quelques hommes qui travaillent. Dans l'indigence des moyens sportifs et la précarité sociale. Autant dire que Mohamed Flissi a dû gagner sa médaille tout seul. C'est-à-dire lui et la petite équipe qui a dû l'entourer, dans la difficulté et dans l'anonymat, avec des moyens dérisoires. Oui, le talent intrinsèque existe mais il suffit rarement. Avant d'arriver en sélection, Mohamed Flissi a dû travailler dur. C'est toujours dur, quand on habite avec sa famille dans un 16 mètres carrés situé dans une EAC qui en est le propriétaire. Le sport de haut niveau devrait être une chimère, dans ces zones là, il en est sorti un miracle. Ce n'est pas tous les jours qu'un Algérien est vice-champion de quelque chose et quand ça arrive, ça vient rarement de là où on l'attendait. Enfin, de là où on a beaucoup – souvent trop – investi, pour être plus précis. Sinon, Mohamed Flissi serait l'émanation d'une salle de sport digne de son talent et de son effort. Il viendrait d'un toit confortable où il récupérerait après l'effort et mènerait une vie décente. Mais la boxe n'exalte pas les foules, alors on lui donne un minimum de survie et peut-être moins que ça, si ça se trouve. Et ce qui ne gâte rien, il y a parfois des Flissi pour aller en terre azerbaïdjanaise ou dans une autre contrée du monde, chercher un trophée providentiel. Et l'accueillir à l'aéroport. Juste pour les caméras. Il n'est pas question de l'accompagner chez lui. Non pas parce que c'est loin mais parce qu'il n'en a pas. Il habite une masure en terre agricole aux dimensions de la kitchenette du plus médiocre des footballeurs. On ne refait pas le monde, paraît-il. Alors, on met tout dans la qualification à la Coupe du monde. Pas pour la gagner, juste pour y être. Et si par miracle, le… miracle peut venir d'ailleurs que d'une salle vétuste au ring ravagé par les rats, on remportera peut-être un match. Mais on n'est pas encore qualifié. Même pas ça. On s'y met alors, ce n'est pas le moment de s'occuper d'un vice-champion du monde venu du Figuier pour aller faire parler de l'Algérie en terre azerbaïdjanaise. On l'a déjà oublié, seuls ses voisins de l'EAC ont cru bon de se déplacer dans une rédaction pour dire d'où vient le petit Mohamed. Et peut-être bien où il devrait aller.