La catégorie des seniors est-elle prise en considération ? La génération qui a vécu de plein fouet les affres de la colonisation se sent abandonnée, délaissée et trahie. Place Kennedy, à El Biar. Ses palmiers rappellent un décor d'oasis en plein centre urbain. Cependant, elle perd peu à peu de son charme. Elle accueille quotidiennement des personnes du troisième âge, où tristesse et amertume se dessinent sur leur visage. «J'ai travaillé pendant 35 ans au service des urgences de l'hôpital de Béni Messous. Je perçois aujourd'hui une retraite de 10 000 DA», affirme Hadj Brahim, 72 ans. Et d'ajouter : «Cette modique somme ne suffit pas à subvenir à nos besoins. Les factures d'électricité et d'eau absorbent nos retraites, sans oublier l'achat du pain et du lait. Nous sommes pauvres et ils veulent nous appauvrir pour nous clochardiser. La vie est chère et les retraites sont dérisoires. J'ai des amis qui perçoivent 5000 DA par mois. C'est malheureux.» Un autre chibani déclare que «les vieux ne demandent qu'à mourir. Le mal vivre est notre quotidien. Nous demandons que nos retraites soient revalorisées. Elles sont insuffisantes. L'Algérie nous a trahis, pourtant nous avons été honnêtes toute notre vie. Les autorités ne doivent pas abandonner la génération de la Révolution, c'est déplorable», assène-t-il. «Nous ressentons de l'injustice, de la hogra, nous nous sentons trahis, nous nous sentons abandonnés», s'érige en porte-parole un vieux sur un ton coléreux. «Contrairement à la génération d'aujourd'hui, nous nous contentons du peu» Un autre vieux se rapproche. Pour lui, «la monotonie est notre principal ennemi. La mosquée, la place, la maison, tel est notre passe-temps. Lorsqu'il pleut, nous restons dans nos minuscules demeures. Pour changer d'air, je rends visite à ma famille dans un douar près de Ksar El Boukhari, dans la wilaya de Médéa». «Ceux qui ont bafoué nos droits auront à rendre compte devant Le Tout-Puissant.» A proximité de l'association des nécessiteux, un vieil El Biarois estime que «les seniors sont oubliés et marginalisés». «Mais el hamdoulillah, nous croyons en Dieu. Ceux qui ont bafoué nos droits trouveront leur compte auprès du Tout-Puissant le jour du Jugement dernier. Notre foi nous permet de positiver. Alors quand la force de la tristesse s'impose, nous résistons», philosophe-t-il. «Contrairement à la génération d'aujourd'hui, nous nous contentons du peu», souligne un vieux à la carrure d'ancien boxeur. A ses côtés, un autre senior, chéchia style afghan sur la tête, s'interroge : «Nous étions jeunes lors de la colonisation française. Ils n'ont tout de même pas libéré le pays pour appauvrir la majorité de la population et enrichir la minorité ?» Toutes les personnes interrogées souhaitent l'ouverture d'un centre d'animation. «Un espace où nous pourrions écouter de la musique chaâbi, débattre de sujets d'actualité, raconter les expériences vécues durant la guerre de Libération, tendre l'oreille aux jeunes en manque de repères.» Et de poursuivre : «Nous sommes utiles, mais ils ne nous donnent pas la chance d'être actifs.» Ils désirent également le réaménagement et le nettoiement des trottoirs de la place Kennedy, ainsi que l'entretien des palmiers. «Plusieurs de nos amis sont tombés à cause des trous sur la rue piétonne», soulève hadj Brahim. D'autres vieux affirment vouloir bénéficier d'aides pour effectuer le pèlerinage à La Mecque.