Depuis que Barack Obama a, sitôt après avoir pris ses fonctions le 20 janvier, annoncé la fermeture de Guantanamo, l'affaire, dont les Américains ont eu à rougir, semble passer désormais aux mains de l'Europe. Jeudi à Bruxelles, la question de cette prison de la honte où séjournent encore quelque 250 islamistes toutes nationalités confondues a été au centre de la réunion des ministres de l'Intérieur des 27 pays de l'Union européenne (UE). Le problème est délicat. Au plan politique d'abord, même si personne en Europe ne conteste la décision du président américain de fermer ce centre. Bien des pays européens, dont le Royaume-Uni sous Tony Blair, certains ex-Etats socialistes comme la Pologne, favorable en son temps à Guantanamo pour avoir été farouchement pro-Bush, l'Espagne sous Aznar, ont été à des degrés différents souvent complices du transit par leurs territoires des avions de la CIA qui transféraient dans le «secret» le plus absolu les «islamistes» capturés au Pakistan pour leurs présumés «liens» avec Al Qaïda. La suite de l'histoire tout le monde la connaît, du moins en partie, puisque l'un de ces prisonniers, qui vient de regagner Londres d'où il a été livré par Blair à Bush pour l'«enfer» de Guantanamo, a révélé cette semaine avoir été atrocement torturé par les services britanniques avant de l'être ensuite par la CIA. «Quelques Algériens» L'Europe a donné son accord de principe à Obama. Le ministre espagnol des Affaires étrangères a confirmé mercredi à Washington que l'Espagne était d'accord pour accueillir «quelques prisonniers». Il a dit clairement à Mme Clinton que son pays examinerait les dossiers de ces prisonniers «au cas par cas». Madrid, comme Paris, pose comme condition à cet effort pour venir en aide aux Etats-Unis que «la situation juridique de ces prisonniers soit acceptable». Le président du gouvernement, Zapatero, veut entretenir des relations toutes nouvelles, après la brouille avec Bush qui ne lui a jamais pardonné le faux bond du retrait précipité des troupes espagnoles d'Irak, en avril 2004. Le problème pour les Européens est de savoir combien d'islamistes séjourneront dans leurs prisons et à partir de quelle date. L'ONG britannique Reprieve, qui a défendu avec acharnement les prisonniers de Guantanamo, estime entre quatre et six prisonniers algériens et tunisiens qui auraient formulé le désir d'être transférés en Espagne.Visiblement, les Européens étaient embarrassés jeudi à Bruxelles, où ils se sont rendu compte que le dossier qui passe entre leurs mains est plus délicat qu'ils ne pouvaient l'imaginer. Un problème de justice. Bush avait réussi à prendre la justice de son pays de court et à compliquer, comme lui seul savait le faire, le dossier de Guantanamo, à l'ombre de la guerre en Irak, de celle en Afghanistan bien sûr et de l'argument de «la menace terroriste en Palestine et en Iran». Ce n'est pas le cas des vieilles démocraties européennes où les droits de l'homme sont sacrés et où la peine capitale n'existe plus comme aux Etats-Unis. La justice a son mot à dire, les 27 s'en sont rendu compte après avoir promis «assez vite» au président Obama de lui venir en aide dans cette affaire qui finit aux Etats-Unis, mais qui commence, sous un autre plan, en Europe. Au plan juridique. C'est là que les juges européens attendent leurs gouvernements. Problème juridiquement compliqué Rubalcaba, le ministre espagnol de l'Intérieur, a donc toutes les raisons de se demander «dans quelles conditions les Européens vont se saisir du dossier, quels seront le statut de ces prisonniers dans le pays d'accueil, leurs droits, leurs devoirs ?», avant de lâcher devant les journalistes : «C'est une affaire qui est loin d'être simple au plan juridique.» Les juges de son pays ne le lui répéteront pas, puisque des «opinions» sur cette question ont commencé à paraître dans les journaux. Washington n'a pas de réponse à ces interrogations. Le porte-parole du département d'Etat, Robert Wood, a refusé mercredi de se prononcer sur les détails de cette question, se limitant à confirmer qu'elle avait été en effet l'un des sujets débattus entre M. Moratinos et Mme Hillary Clinton, la veille à Washington. «Nous ne pouvons pas nous prononcer sur des détails qui sont discutés ailleurs», a déclaré M. Wood. La Maison-Blanche semble considérer déjà qu'il s'agit d'un problème européen. M. Wood faisant ici clairement allusion à la réunion des ministres de l'Intérieur de l'UE à Bruxelles. Pour l'instant, les 27 ont répondu, avec plus ou moins de conviction et d'engagement, selon les pays, à la question posée par la Présidence de «dire clairement s'ils acceptent ou non d'accueillir les prisonniers de Guantanamo et d'échanger les renseignements en leur possession avec le reste de ses partenaires». Le ministre tchèque de l'Intérieur, Ivan Lange, et le vice-président de la Commission européenne chargé de la justice, de la liberté et de la sécurité, Jacques Barrot, se rendront les 16 et 17 mars à Washington pour parler des détails du dossier du centre de Guantanamo qui restera longtemps ouvert, même (surtout) après sa fermeture en tant prison. Bruxelles De notre correspondant J. I. Navarro